Читать книгу Les Indo-Européens avant l'histoire - Rudolf von Jhering - Страница 14
1. POINT D’AGRICULTURE.
ОглавлениеIV. Les motifs sur lesquels l’opinion dominante appuie la proposition contraire ne tiennent point. Les seuls qui méritent examen sont, à mon avis, les suivants.
Ils connaissaient certaines espèces céréales. Conclure de là qu’elles avaient été gagnées artificiellement par culture agricole est erroné ; il est possible que ce fussent des graines venues à l’état sauvage, que l’on récoltait comme on le fait de nos jours pour les baies qui poussent dans les bois.
Vient ensuite la concordance des mots sanscrit ajras, grec ἄγρóς, lat. ager, goth. akrs, allemand acker. Mais il est inexact de dire que ajras voulait dire terre cultivée, ce mot signifiait pâture (§ 5).
Enfin la dérivation du grec ́ἀρoũν, lat. arare, goth. arjan: labourer, de la racine sanscrite ar. Seulement, cette racine n’avait pas le sens de labourer, mais celui de diviser; les deux substantifs de la langue mère qui en ont été formés (aritra: rames, aritar: rameur, conservé dans le suéd. anc. ar: rame et district obligé de fournir des rameurs) n’ont pas pour objet la division de la terre, mais celle de l’eau: la navigation déjà connue à cette époque du peuple père, comme le montre la concordance de nau, nav (sanscrit) avec νϰῦς, navis, nacelle. Avec cette signification de ramer, les deux expressions se sont conservées dans ἐρέ́της rameur, τρίή́ρης trirème, ratis radeau. Les Aryas n’ont appris à connaître la charrue qu’après la séparation du peuple fils. Eux-mêmes rattachent leur connaissance à cet égard au peuple soumis des Açvin, lesquels, d’après le Rigveda, «en semant des grains avec la charrue ont donné beaucoup de bonheur au peuple aryen ,» et cela est confirmé par la circonstance que l’expression employée dans le Rigveda: vrka (loup c.-à-d. l’animal sauvage, déchirant la terre) ne se retrouve dans aucune des langues filles. Mais la circonstance que l’expression servant à désigner la charrue est commune à toutes les langues filles , montre que les Indo-européens ont appris à connaître la charrue à une époque où ils ne s’étaient pas encore séparés les uns des autres. Ils se servaient pour la désigner de l’expression servant dans la langue mère à désigner la rame; l’idée qui les guidait, c’est que comme la rame divise l’eau, la charrue divise la terre. A côté de cette expression, on rencontre encore chez les Slaves et les Germains plugŭ, pliuges, pflug, ce qui doit être l’expression au moyen de laquelle le peuple dont ils ont appris l’agriculture désignait lui-même la charrue.
De même que la langue de l’Aryas ne possède point d’expression pour désigner la charrue, de même elle n’en possède aucune pour désigner l’automne; en fait de saisons elle ne distingue que l’été (samā) et l’hiver (himā̄). L’automne n’a aucune importance pour les pâtres, rien ne pouvait les porter à distinguer cette saison des autres, puisqu’elle ne leur apporte rien de particulier. Sous les climats chauds, où le bétail hiverne à l’air libre, aucune saison n’a en général, quant à ses occupations, une importance prépondérante; elles sont toutes égales. Mais elles ne le sont point pour le cultivateur; il connaît deux saisons tranquilles, sans occupations: l’été et l’hiver, et deux saisons de travail: le printemps et l’automne, le temps des semailles et celui de la récolte. L’apparition de la désignation linguistique pour l’automne est un signe certain de l’apparition de l’agriculture, son absence chez un peuple à langage perfectionné, comme le peuple aryen, est une attestation certaine de son existence de pâtre. L’automne est le temps de la prospérité, de la joie et des fêtes, un peuple qui le connaît possède aussi pour le dénommer un mot spécial. Les expressions servant à désigner l’automne dans les langues indo-européennes ne datent, leur diversité l’atteste, que du temps qui a suivi la séparation des peuples .
Je rapporterai plus tard (§ 39) à l’occasion du sacrifice votif du ver sacrum, une autre preuve en faveur de l’assertion que les Aryas ne connaissaient point l’agriculture; l’offrande n’avait pour objet que du bétail. Si l’agriculture avait été connue des Aryas, ces sacrifices auraient dû s’étendre aux fruits des champs qui partout où la terre est cultivée, apparaissent comme objets de sacrifices non sanglants à côté des sacrifices sanglants d’animaux.