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PRÉFACE DE L’ÉDITEUR ALLEMAND.
ОглавлениеAprès avoir achevé son livre sur le Rôle de la volonté dans la possession, JHERING avait formé le projet de se vouer exclusivement à son Zweck im Recht; mais cédant aux instances amicales de BINDING, auquel il avait promis d’écrire, pour son Systematischer Handbuch der deutschen Rechtsmissenschaft, une Histoire du développement du droit romain, il se résolut à commencer en même temps cet ouvrage. Son projet était de consacrer quelques après-midi de chaque semaine à exposer librement, à mon collègue J. Merkel et à moi, l’histoire du droit romain telle qu’il l’avait dans l’esprit, en nous laissant ensuite le soin de la rédaction et de la réunion des matériaux nécessaires. Nous avions d’avance les doutes les plus sérieux quant à la praticabilité de ce plan, car dans les écrits d’JHERING la forme est au moins aussi caractéristique que le fond, et dès le premier essai, nous vîmes combien nos scrupules étaient justifiés: JHERING ne pouvait se retrouver lui-même dans les formules que nous essayions de donner à ses pensées, et le plan fut abandonné.
Mais JHERING avait «goûté le sang» comme il le disait, et l’histoire du droit ne le lâchait plus. Il eut d’abord le projet de ne faire des Réminiscences de l’époque primitive qu’un seul chapitre, de les traiter donc assez brièvement; mais avec sa nature toujours portée à creuser les profondeurs, chaque solution amenant une nouvelle question, jusqu’à ce qu’enfin il crût être arrivé au dernier pourquoi, ce chapitre s’élargit de plus en plus jusqu’à former tout un ouvrage. Quels sont les éléments de civilisation que les Romains emportèrent de leur patrie primitive? Quels furent ceux que la migration et leur seconde patrie (il la croyait située au sud de la Russie) y ajoutèrent? Il ne lui suffit pas même de répondre à ces questions. Il se demanda enfin quelles traditions les Romains reçurent des Sémites (Babyloniens, Phéniciens, Carthaginois). Et ce fut ainsi qu’il consacra les deux dernières années de sa vie exclusivement à l’étude de la culture babylonienne dont il chercha à ramener le précoce et gigantesque épanouissement, à quelques nécessités purement pratiques, peu nombreuses et causées par la nature du sol. Le résultat de ces études forme le second livre du présent ouvrage, comprenant la moitié du volume. Le § 34 dirigé contre RENAN est le dernier qu’il ait écrit. Au moment où il allait s’occuper en détail de la race des Aryas et des Sémites (§ 35 et 36), matière qu’il abordait avec une satisfaction particulière — la plume lui tomba de la main. Au surplus, bien qu’inachevé, l’ouvrage est parvenu néanmoins à former un tout pleinement satisfaisant.
De l’étude d’abord projetée sur l’Histoire du développement du droit romain, JHERING a achevé l’introduction et quelques chapitres. Je voulais d’abord joindre cette œuvre comme appendice de la présente publication, mais lorsque, par la suite, je trouvai dans les papiers du défunt les autres fragments, il me sembla plus opportun de faire paraître le tout ensemble, sous la forme d’un petit livre séparé. La publication se fera au premier jour().
J’ai exposé la génèse des INDO-EUROPÉENS AVANT L’HISTOIRE avec tous ces détails, d’abord pour faire comprendre maintes inégalités, même quelques contradictions qu’un dernier remaniement aurait sans aucun doute fait disparaître, ensuite pour expliquer comment ce volume paraît non seulement chez ceux qui depuis de longues années ont publié les écrits de JHERING, mais en même temps chez les éditeurs des travaux de BINDING.
Si je ne produis cet ouvrage que plus d’un an et demi après la mort de JHERING, ce retard doit être attribué surtout à l’état du manuscrit. Pendant de longs mois, la veuve du défunt s’est infatigablement occupée du déchiffrement mot pour mot d’un texte en partie presqu’illisible; c’est grâce à elle seule, à son excellente copie, que l’œuvre peut enfin voir le jour. Ma tâche propre a été relativement faible. Après avoir réussi à établir le plan d’ensemble et les divisions qu’il comportait, j’avais à revoir la transcription, à vérifier les citations, à combler quelques lacunes, à corriger de légères négligences de rédaction, à couper par ci par là des périodes devenues trop longues. Je me suis néanmoins imposé la plus grande discrétion dans ce travail, bien que JHERING m’ait enjoint, à plusieurs reprises et instamment, d’agir à l’égard de son œuvre posthume comme je le croirais juste, et en particulier d’abréger et de modifier à mon gré. Je crois que le monde a le droit de recevoir la dernière œuvre capitale de JHERING telle qu’il l’a écrite, dût-il subir quelques répétitions et des inégalités de style. J’ai observé une réserve plus grande encore quant au contenu de l’ouvrage, là surtout, naturellement, où je ne pouvais me rallier aux opinions de l’auteur; il m’aurait paru peu convenable d’exprimer mon dissentiment même sous forme de notes . Ceci s’applique aussi aux passages où JHERING se met en contradiction avec des résultats acquis de la science allemande, et à ceux où se fait sentir le défaut de connaissance du droit germanique qu’il regrette lui-même (p. 358). Moins encore pouvait-il m’incomber d’anticiper sur la critique inévitable (à laquelle JHERING tout le premier fait appel, p. 354); je crois néanmoins pouvoir dès ce moment aller au devant de la contradiction sur un point important.
Dans son tableau du caractère du peuple fils aryen (Livre I), JHERING admet presque complètement les données de ZIMMER Altindisches Leben (1879), et comme celui-ci, il considère la civilisation du Rig-Veda comme l’état aryen primitif. Cette opinion pourra ne pas paraître étonnante aux Romanistes, car la culture des Romains, dès les premiers temps de la royauté, était bien plus avancée que celle des Indiens du Rig-Veda, d’après la conception de ZIMMER. Mais il en est autrement des savants qui connaissent le droit allemand. Lorsqu’ils apparurent à la lumière de l’histoire, les peuples germaniques se trouvaient à un degré plus bas pour le développement de l’Etat et du droit que les Indiens du Rig-Veda — même d’après la description de ZIMMER — ils devraient donc avoir reculé pendant la migration ce qui, improbable déjà pour les autres rapports , est littéralement inadmissible pour les institutions de l’État et du droit et aurait été certainement combattu avec la plus grande vivacité par JHERING lui-même . Or, et mon attention a été appelée sur ce point de source très autorisée, les derniers travaux des indianistes considèrent la civilisation du Rig-Veda comme déjà hautement développée, et ne remontant nullement à l’époque aryenne primitive. Que l’on compare notamment ce que disent PISCHEL et GELDNER Vedische Studien, Tome I (1889) p. XXI et XXV, et l’on obtiendra un tout autre tableau que celui tracé par ZIMMER, et d’après lui par JHERING. Pour juger du degré de développement du peuple père aryen il faut donc se restreindre aux renseignements fournis par la linguistique comparée, aux analogies qu’offrent d’autres peuples pastoraux et aux conclusions que l’on peut tirer de la condition primordiale des Germains et des Slaves. Le peuple père aryen était un peuple pastoral, nomade, exclusivement composé de groupes familiaux; il n’était ni établi à poste fixe ni politiquement organisé ; sa véritable organisation politique ne date que de la migration; chez les Germains, elle s’est même encore continuée et achevée, comme la migration elle-même, dans les temps historiques.
Je crois donc que JHERING se trompait sur ce point , mais cette erreur ne présente aucune importance pour son ouvrage. En effet, plus l’état de culture du peuple père aryen était réellement bas, et plus il faut avoir égard pour la civilisation des nations européennes, et spécialement des Romains, à la migration et à l’influence exercée par d’autres peuples; les décrire est précisément la tâche qu’JHERING se proposa.
C’est donc plein d’espoir, mais aussi sous une douloureuse impression, que je publie cet ouvrage auquel le cœur d’JHERING tenait avec passion; composé par un homme plus que septuagénaire, il est le témoignage vivant d’une intarissable vigueur juvénile. A moins que je ne me trompe entièrement, il va de pair, dans son genre, avec l’ESPRIT DU DROIT ROMAIN, et le ZWECK IM RECHT; je vais plus loin, les chapitres traitant de la civilisation babylonienne et de la migration aryenne forment peut-être l’expression la plus caractéristique de la pensée d’JHERING et de cette méthode qu’il a qualifiée lui-même de réaliste. Personnellement, je puis le dire à cette place, j’ai puisé dans le travail consacré à ce livre autant d’encouragements que de leçons. Bien plus, il m’a semblé vivre encore quelques courts instants avec celui qui était pour moi un second père, dont tous connaissaient l’esprit, dont peu soupçonnaient l’âme, mais chez les siens vivra jusqu’au dernier souffle le souvenir de l’infinie bonté de ce grand cœur.
VICTOR EHRENBERG.
Göttingen, 30 mai 1894.