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§ III.
SUPPRESSION DES LIQUIDES.—GRASSEYEMENT.

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Les Français sont enclins à grasseyer, surtout les Parisiens. Cela vient de leur aversion native pour les doubles consonnes. L'r et l'l ne sont liquides qu'à condition d'occuper la seconde place; mais à la première, elles sont très-dures. En ce cas, on avait deux ressources: supprimer absolument la liquide, ou la transposer. On écrivait marbre et arbre, par respect de l'étymologie marmor et arbor; mais en parlant, on supprimait la première r, abre, mabre, qui sont restés ainsi chez le peuple. Nous disons encore un candélabre; on le disait ainsi, mais on écrivait candelarbre, arbre qui porte des chandelles ou candelles, candelas:

Et quant il volt aler coucier,

Les candelarbres volt drecier.

(Partonopeus, v. 1697.)

Il arrive même souvent que cette r est supprimée dans l'écriture. M. Méon, dans son glossaire du Roman de la Rose, fait cette note sur le mot chartre:—«Aux Quinze joyes du mariage, on lit geolier chatrin, parce que les anciens ôtaient l'r de plusieurs mots; ils écrivaient quatier, mabre, paler, bone (borne).» (Méon, R. de la Rose, IV, p. 228.) On voit que le grasseyement parisien remonte très-haut.

Garson est le mot gars, avec la forme augmentative italienne one. La Normandie a retenu l'usage de gars, qu'elle prononce gâs, très-long:—Mon gâs;—N'a-vous point vu mon gâs? On prononçait donc aussi gâçon. C'est la prononciation légitime et primitive; il est fâcheux qu'elle soit devenue ridicule, comme il est fâcheux que le féminin de gars, qui ne signifiait d'abord qu'une jeune fille, soit devenu une grossière injure.

Fors, qui est aujourd'hui hors, éteignait également l'r et sonnait . La preuve existe dans le mot faubourg, dont la vraie et primitive orthographe est forsbourg;—bourg extérieur, du dehors.—Les gens qui écrivent, abusés par leur oreille et leur ignorance, ont noté faux-bourg. Il n'y a rien de faux dans un faubourg; mais il est situé foras burgi.

Armure se prononçait amure, et souvent on le rencontre figuré ainsi. Anséis frappe Turgis, et lui met au corps l'armure de son bon épieu:

Del bon espiet el cors li met l'amure.

(Ch. de Roland, st. 97.)

Arme et ame se confondant par la prononciation, on ne doit pas être surpris que les copistes aient fréquemment confondu aussi l'orthographe des deux mots, et mis l'un pour l'autre.

Dans le Fabel d'Aloul:

Tel loier a qui ce encharge;

Ma dame n'a soing de hontage.

Évidemment on prononçait enchage sans r.

Arsi, participe du verbe ardre, se prononce encore actuellement en Picardie asi. Le Livre des Rois écrit indifféremment l'un et l'autre:

—«Il volt que d'iloc en avant nuls sun fil ne sa fille al deable ne offrist ne nen arsist

(Rois, IV, p. 427.)

—«Il voulut que dorenavant nul en ce lieu n'offrist au démon ni ne bruslast son fils ou sa fille.»

—«E a sa quesine (de Salomon) furent asis chascun jor dis bues gras.»

(Rois, III, p. 239.)

Rue des Arsis;—rue des Asis, des brûlés.

Lard rimait très-bien avec gras:

Car il sait bien que el plus gras

Est tout ades li mieudres lars.

(Le Fabel d'Aloul.)

«Car il sait bien qu'au plus gros cochon se trouve aussi le meilleur lard.»

Mecredi, en grasseyant, bonne prononciation, conforme aux vieux textes, et non mere-credi.

Robert se prononçait Robet:

Estes vous poignant a droiture

Contre lui son bouvier Robet:

Qu'as tu? fait il; qu'as tu, vallet?

(De Constant Duhamel, v. 312.)

—«Voici accourant droit à lui son bouvier Robert: Qu'as-tu, valet? demanda-t-il.»

Ce mot valet, bien qu'on écrivît par abus varlet, ne s'est jamais prononcé autrement que valet, en grasseyant. Il est certain que l'étymologie commandait avant l'l une consonne; mais c'était l's et non l'r, puisque valet vient de vassallettus, diminutif de vassallus. La bonne orthographe est donc vaslet, et c'est celle aussi qu'on rencontre le plus souvent.

L'autre liquide, l, était absolument dans les mêmes conditions.

On prononcera très-bien couple, sans qu'il faille insérer un e muet rapide entre le p et l'l;—coulpe (de culpa) éteignait l'l devant le p et sonnait coupe, comme une coupe, vase.

Le sire de Coucy faisant sa déclaration d'amour à la dame de Fayel:

Dame, pour vous amours sentir

Me fait ses maus à son plaisir.

—Sire, ma coupe nesse mie.

(R. de Coucy, v. 555.)

«Monsieur, ce n'est pas ma faute.»

Nous disons inculpé, on disait au moyen âge encoupé, bien plus raisonnablement, puisque in se traduit d'habitude par en, et u par ou.

Coucy, surpris par Fayel dans le vestibule de la châtelaine, jure qu'il ne venait pas pour elle. Il n'hésite pas à faire un faux serment, à damner son âme pour sauver sa maîtresse:

Et ainsi soit m'ame sauvee

Qu'a tort l'en avez encoupee.

(Coucy, v. 4771.)

Pour qui donc venait-il?—Pour la suivante. Isabelle, dévouée à sa maîtresse, prend tout le déshonneur sur son propre compte:

J'aime trop mieux estre encoupee

Que ma dame en fust diffamee.

(Ibid., v. 3659.)

La locution qu'on reproduit encore quelquefois est donc battre ma coupe, et non pas ma coule-pe.

Le mot sépulcre revient plusieurs fois dans Garin. Il est écrit partout sepucre, sans l.

Ha, sire Abes, por l'amor Dieu merci,

Por saint sepucre, ne faites mie ainsi!

(T. II, p. 250.)

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