Читать книгу Étude sur la bestialité au point de vue historique, médical et juridique - Gaston Dubois-Desaulle - Страница 18
Оглавление— 1600 —
Gilles Dobremer, âgé de cinquante-deux ans, était natif de Montdidier; il habitait Flavencourt, en Picardie, où il travaillait comme laboureur. Aimant à boire, il avait pour camarade André Potelle, fervent disciple de la bouteille avec lequel il faisait des parties de ribotte.
Un jour qu’il était chez Potelle, celui-ci lui montra une vache rousse qu’il venait d’acheter depuis peu. Cet animal fit une telle impression sur Dobremer qu’il regarda attentivement, examinant sa taille, sa forme, etc., et, finalement, proposa à Potelle de la lui acheter pour vingt-cinq écus; Potelle tenait à sa vache, et ne voulait pas la vendre; il fit donc observer à Dobremer qu’elle n’avait pas beaucoup de lait et qu’elle n’avait encore vêlé que trois fois. «C’est justement ce qu’il me faut», s’écria Dobremer, paraissant enchanté, et, sur-le-champ, il offrit une pistole d’arrhe à Potelle qui ne savait que penser d’un tel enthousiasme qu’à son avis elle ne méritait pas.
Survint la femme de Potelle. Etonnée d’abord de l’empressement de Dobremer à leur acheter cette vache, elle se méfia et, en paysanne avisée, pensa qu’il fallait que sa vache possédât des qualités qui leur étaient restées inaperçues pour qu’un laboureur aussi madré que Dobremer lui en offrît un si bon prix. On voulait acheter sa vache, elle ne voulait pas la vendre. Gourmandant son mari, elle rompit le marché, alléguant que la vache était, au contraire, une excellente laitière, qu’elle était très contente de l’avoir dans son étable.
Dobremer, un peu penaud, s’en retourna, maudissant les femmes qui se mêlent de tout. Mais le lendemain, il revint à la charge, sut amadouer son ami, et enleva la vache pour cent livres.
Les époux Potelle parlèrent longtemps de ce marché inespéré et cherchèrent, mais en vain, ce que cette vache avait d’extraordinaire pour valoir un tel prix; ils ne l’apprirent que le 25 novembre 1599, le jour de la Sainte-Catherine. Tout Flavencourt se répétait la singulière aventure de Dobremer; alors leur fut expliquée la cause de «l’attache» qu’avait montrée Dobremer pour leur vache rousse.
Un jour, Aizon Soquier passant par une ruelle qui communiquait par derrière aux maisons de son mari, Benjamin Crespet, se trouva tout à coup en face d’un spectacle qui la cloua quelques instants sur place, sans pouvoir ni avancer ni crier; sa stupeur s’étant changée en une peur horrible, elle prit la fuite éperduement, fermant aux verroux la porte du jardin, croyant avoir le diable à ses trousses. Encore toute apeurée, elle raconta à son mari ce qu’elle avait vu: Dobremer en copulation charnelle avec la vache rousse qu’il avait achetée!
Benjamin Crespet partagea l’indignation de sa femme, déclarant qu’il ne voulait plus fréquenter un pareil individu, malgré la vieille amitié qui les liait et les réjouissances qu’ils prenaient ensemble tous les dimanches et jours de fête.
De cabaret en cabaret, Crespet colporta l’aventure et la décision qu’il avait prise de rompre avec son camarade, pendant que sa femme faisait partager son effroi à toutes les commères.
Le boulanger Gilles Guérin affirma qu’il savait depuis très longtemps que Dobremer «avait habité charnellement avec cette vache», qu’il l’en avait même réprimandé, mais que Dobremer avait toujours tourné les choses en raillerie. Le récit de la frayeur éprouvée par Aizon Soquier fit tant et tant de chemin que le jeudi 2 décembre 1599, Gilles Préaucourt, chef de la brigade de maréchaussée d’Abbeville, Mathurin Ardon, Benoist la Vallée, Bernard Trippet et Raoul Hamon, cavaliers, conduisaient devant le Lieutenant criminel d’Abbeville «un quidam vêtu de drap rouge», qui n’était autre que Gilles Dobremer, «accusé et pris en flagrant délit et crime abominable de sodomie avec une vache rousse.»
Le 9 janvier 1600, le Lieutenant criminel rendait sa sentence qui condamnait Gilles Dobremer à être pendu, étranglé, brûlé avec la vache, les cendres jetées dans la rivière de Somme; ses biens confisqués au profit du Roi, avec cent livres d’amende envers Sa Majesté.
Par arrêt du g février 1600, le Parlement de Paris confirma la sentence en spécifiant que Gilles Dobremer serait exécuté sur le grand chemin de Favencourt à beville et que ses cendres seraient jetées au vent.