Читать книгу Étude sur la bestialité au point de vue historique, médical et juridique - Gaston Dubois-Desaulle - Страница 20
Оглавление— 1606 —
Pierre Gauthier, dit Barat, était commis de Monsieur l’Intendant de Riom, cet emploi lui permettait la fréquentation de la petite bourgeoisie de la ville, ayant en plus des appointements de sa place un petit revenu, il aurait été un bon parti pour les filles à marier s’il n’avait eu un malheureux penchant qui l’éloignait des femmes.
Par la nature de ses fonctions il n’était pourtant pas appelé à fréquenter exclusivement des animaux, l’argent ne lui manquait pas, il pouvait donc, habitant une ville, satisfaire normalement ses besoins sexuels. Comment lui vint pour une brebis noire la détestable passion qui devait causer son malheur, c’est ce que les documents ne disent pas.
Bientôt des bruits suspects circulèrent sur son compte. A l’oreille on se chuchotait que Monsieur Je commis de l’Intendant avait un goût singulier pour une brebis; on l’épia, et bientôt des témoins affirmèrent qu’ils avaient vu Pierre Gauthier en commerce abominable avec la brebis noire.
Le Sénéchal de Riom apprit ces faits et le mardi 28 avril 1606 fit comparaître Pierre Gauthier devant lui.
Le commis avait été arrêté par Pierre Legeret, exempt et chef de la brigade de maréchaussée, escorté de ses cavaliers Barthélémy, Didier, Joseph, Ignace, Lafleur, Besnard, Labbé du Timont, sous l’inculpation «d’avoir connu détestablement et contre nature une brebis noire».
Dans les procès de bestialité les accusés appartiennent généralement au monde rural: travailleurs des champs, garçons de ferme, domestiques, les témoins sont des paysans ou les petits marchands en rapports quotidiens avec eux.
Dans le procès de Gauthier des témoins occupant une position bien supérieure à celle de l’accusé vinrent déposer contre lui.
La qualité de Conseiller du Roi qu’ils possédaient dut certainement faire une certaine impression, sinon sur l’accusé au moins sur le juge.
Le sieur Melchior Gaspard du Trollet, écuyer, seigneur de Ravière, président et trésorier du bureau des finances de Riom, déposa que le nommé Pierre Gauthier, dit Barat, commis de Monsieur l’Intendant, s’était rendu coupable du crime affreux et détestable de bestialité, montrant pour une brebis noire un attachement désordonné, lui prodiguant des caresses hors nature et se livrant sur elle aux «pratiques charnelles».
Le sieur René du Manoir, écuyer, conseiller du Roi, notaire et garde-note royal de Riom, commença sa déposition en exprimant tous ses regrets d’entretenir Monsieur le Sénéchal d’une si honteuse et abominable action, mais il ne pouvait par son silence donner un encouragement tacite à un crime qui fait horreur à Dieu et aux hommes, il déclara donc que Gauthier était fortement soupçonné d’avoir eu habitation charnelle avec la brebis noire, qu’il préférait même à une jolie fille.
Puis vinrent des témoins de moindre importance mais dont les dépositions furent tout aussi catégoriques.
Pierre Jacques Mantrey, marchand de vins; Jean Joseph de la Maripaudière, commis intéressé dans les affaires du Roi; Lancelot de Pradel, bourgeois de Riom. A ceux-ci se joignirent deux dames qui ne se montrèrent pas les moins indignées, Michelle Françoise Desportes, veuve de Toussaint Bellemontée, qui de son vivant était écuyer, conseiller du Roi, secrétaire du Roi, maisons, couronne de France et de ses finances. La haute situation qu’occupait Madame Bellemontée ne l’empêchait pas d’être fort bien renseignée sur les gestes, plutôt hasardés, du petit commis de l’Intendance. Elle ne le ménagea pas. Du reste on ne peut s’empêcher de remarquer que lorsqu’ un homme est accusé de bestialité, si des femmes viennent déposer contre lui, leurs dépositions sont beaucoup plus haineuses que celles des témoins masculins. Il semble que les femmes prennent comme une injure grossière, faite à leur sexe, la préférence d’un homme pour un animal et cela se comprend, une femme, quel que soit son rang, pardonnera toujours à un homme un manque de respect provoqué par ses charmes, jamais le dédain de sa personne.
Certes Madame Bellemontée n’eut pas pardonné à Gauthier une avance même insignifiante, elle aurait au premier mot, au premier geste, vite fait comprendre à l’imprudent qu’entre la veuve d’un conseiller et secrétaire du Roi et un petit commis d’Intendance était une distance qu’il ne devait pas franchir. Et pourtant dans la déposition de la grande dame il y avait comme une rancune, une hostilité cachée, elle se trouvait offensée en tant que femme qu’un homme pût à ce point mépriser tout le sexe.
Une autre femme déclara aussi au Sénéchal ce qu’elle savait du crime abominable de Gauthier, c’était la dame Barbé Tescot, femme d’Adrien Gentillet, marchand de blé, habitant Clermont.
Pierre Gauthier savait quelle peine était réservée à celui qui était convaincu de ce crime, il essaya de sauver sa vie, nullement intimidé par la qualité des témoins, il donna à tous un démenti formel.
Le samedi 16 mai il faisait au magistrat une requête verbale demandant à ce qu’il soit visité ainsi que la brebis noire, alléguant qu’il était impuissant et inhabile.
Le Sénéchal obtempéra à ce désir et par une sentence du lundi 18 mai nomma en qualité d’experts Pierre Saget, chirurgien, Thomas Hilaire Barbeville, chirurgien juré, qui procédèrent le 20 mai à leur expertise. Ils déclarèrent que Pierre Gauthier «avait bien pu connaître charnellement la brebis, mais non l’engendrer».
Cette dernière affirmation semble d’une grande naïveté et superfétatrice, mais à cette époque on croyait que l’union sexuelle d’un homme et d’une femmeavec un animal pouvait avoir pour conséquence la procréation. Le samedi 23 mai le Sénéchal convoqua les témoins qui confirmèrent leurs précédentes déclarations. La confrontation eut lieu, les témoins précisèrent les détails de ce qu’ils savaient et à bout d’arguments Gauthier se décida à avouer son crime.
Le samedi suivant la sentence de mort fut rendue contre lui: il était condamné à être brûlé vif.
Il interjeta appel, mais par arrêt du 3o juin 1606 il vit la sentence confirmée par le Parlement de Paris.
Cet arrêt édictait que le condamné serait étranglé avant d’être brûlé, que ses biens seraient confisqués au profit de Sa Majesté et frappés de 200 francs d’amende envers le Roi.
La sentence du Sénéchal n’ayant pas fixé le sort de la brebis, le Parlement la condamna à être également étranglée et son corps jeté à la voirie.