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Avant-propos

Table des matières

Au seuil de cet ouvrage, contribution curieuse à l’histoire des perversions humaines, nous nous devons et nous devons aux lecteurs d’évoquer la physionomie sympathique du jeune érudit qui l’a conçu.

Le Destin a voulu que ce livre fût, non pas son dernier, car il en a laissé plusieurs, mais celui auquel il travaillait encore peu de temps avant de partir vers le pays où l’attendait une mort cruelle.

Gaston Dubois-Desaulle a vu se démasquer avant l’heure le visage fleuri d’espoir que la vie montre aux âmes adolescentes.

Son père ne voulut pas croire à sa vocation pourtant très réelle d’artiste et tenta de le diriger vers la carrière de marin et de soldat. Il mourut trop jeune pour imposer sa volonté et l’enfant, sous la tutelle infiniment douce de sa mère, connut un peu de joie.

Ce fut une trêve.

Il travailla, étudia, fit de la peinture, de la musique, mais son esprit se passionnait chaque jour davantage pour les questions sociales dont les vivants problèmes le hantaient.

Un événement survint qui le jeta dans la lutte.

En 1894, Dubois-Desaulle faisait son année de service au fort d’Ecrouves, près de Toul. Un sergent, nommé Paul Guillon, fut arrêté pour avoir reçu un paquet de brochures révolutionnaires. Dubois-Desaulle écrivit à Jean Grave et à Mme Séverine pour les avertir de cette arrestation. Le brouillon d’une de ces lettres fut saisi; on fouilla son paquetage, on y trouva des livres subversifs: un traité d’anatomie, un volume de Haeckel, l’Origine des Espèces de Darwin, le Livre de la Voie et de la Vertu de Lao-Tseu. C’était tout. Mais à ces livres étaient joints des carnets où le jeune soldat consignait ses réflexions. Celles-ci furent jugées offensantes pour l’armée et les chefs; on mit Dubois-Desaulle en cellule où il resta 75 jours. Il fut privé de son droit à la dispense, expédié aux compagnies de discipline, à Gafsa (Tunisie). Accueilli par des injures révoltantes, mis en prison sous les prétextes les plus futiles, il finit par s’échapper. Repris, il fut de nouveau mis en cellule, au secret, et en décembre 1895, conduit à Tunis pour passer devant un conseil de guerre. Il était passible d’une condamnation aux travaux publics. C’était le terrible engrenage qui ne lâche sa victime qu’au tombeau. Sa mère fit des miracles. Aidée par des amis dévoués dont la plus dévouée fut cette admirable Séverine dont tant de malheureux bénissent le nom, elle put sauver son fils qui, en janvier 1898, après une incorporation de quelques mois au 4e zouaves, à Tunis, obtint sa libération définitive.

Dès lors, Dubois-Desaulle vit son chemin nettement tracé. Les atrocités qu’il avait vu commettre et dont les victimes gardaient le secret, par lâcheté ou par crainte, lui oserait les dire. Son premier livre «Sous la Casaque» fut une autobiographie, le récit de ce qu’il avait souffert et de ce que d’autres avaient souffert devant lui.

Puis, dans un second ouvrage au titre pittoresque: Camisards, Peaux de lapins et Cocos, il raconta l’histoire des corps disciplinaires depuis 1788. Toute une campagne fut menée par lui, avec une ardeur où il se dépensait sans compter et il eut la joie de voir ses efforts aboutir en partie. L’opinion publique s’émut. Il y eut une interpellation à la Chambre des députés et le ministre de la guerre lui-même ayant eu communication des épreuves d’un article de Dubois-Desaulle, partit incognito pour le pénitencier militaire de l’Ile d’Oléron et cette visite eut pour résultat une certaine amélioration du sort des condamnés.

Epris des recherches historiques, Dubois-Desaulle publia en 1902 un livre composé tout entier de documents extraits des Archives de la Bastille: Prêtres et moines non conformistes en amour.

Le 25 janvier 1903, il partit pour Djibouti comme correspondant d’un journal illustré. Il devait assister à l’inauguration du chemin de fer de Harrar, cérémonie que devait rehausser, croyait-on, la présence du négus Ménélik. Le négus ne vint pas. Dubois-Desaulle trouvant son voyage insuffisamment pittoresque, gagna par chemin de fer la station terminus de Diré-Daouali. C’est là qu’il fit la rencontre de M. Mac-Millen, un riche américain qu’il avait déjà vu à Aden et qui voyageait escorté d’une nombreuse caravane. M. Mac-Millen demanda s’il lui plairait de l’accompagner jusqu’à Addis-Ababa. C’était pour l’aventureux jeune homme une offre bien séduisante; il accepta.

Le 8 mai, la caravane quitta le camp d’Erlabulla vers six heures et demie du matin. M. Morgan-Browne, secrétaire de M. Mac-Millen, qu’énervait la lenteur de la marche, partit en éclaireur avec son saïs et Dubois-Desaulle. Ils devaient reconnaître la route jusqu’à Bobé où l’on allait camper. Une première fois, le jeune voyageur s’arrêta pour prendre une tortue qu’il avait admirée au passage. Il retrouva facilement les traces de ses compagnons, les rejoignit au moment où ils venaient de s’arrêter pour faire boire leurs mules, puis tous trois se remirent en marche. M. Morgan-Browne, pressé d’arriver, activa son allure, suivi par son saïs, mais la mule de Dubois-Desaulle refusait d’avancer, il resta en arrière.

Quand ses compagnons, ayant atteint Bobé, ne le virent pas, ils crurent qu’il avait été rejoint par la caravane, qu’il arrivait avec elle. Aucun pressentiment fâcheux ne les agita. M. Morgan-Browne était persuadé qu’il n’y avait d’autre danger que de s’égarer. Il savait que son ami, malgré sa jeunesse, était habitué à voyager seul, qu’il avait une grande expérience du pays, beaucoup de sagacité et d’intelligence. Il fit néanmoins allumer de grands feux pour diriger sa marche.

Quand la caravane rejoignit le camp, on eut quelque surprise de la voir sans Dubois-Desaulle, mais nul ne songea à une catastrophe. Ce ne fut donc que le lendemain matin que M. Morgan-Browne partit avec quelques soldats à la recherche du disparu. Ils s’enquirent d’abord à un village près du camp; Dubois-Desaulle n’y avait point été aperçu. On alla quérir des Abyssins très habiles à relever les pistes, on revint sur la route précédemment parcourue et, à une bifurcation, on aperçut des traces de la mule et, à côté, celles des pas d’un homme. Cette piste fit aboutir à l’une des rives du Bobé et c’est là que dans un fourré, on retrouva le corps du malheureux jeune homme. Il avait le cœur traversé d’un coup de lance et son assassin l’avait affreusement mutilé. Ses vêtements ne présentaient aucune trace de lutte. Son bras droit était plié sur sa poitrine, les doigts légèrement recourbés semblant tenir encore les guides; l’autre pendait à son côté. La mort avait dû être foudroyante.

On recouvrit le corps, auprès duquel une garde d’honneur fut placée. M. Mac Millen, prévenu, vint avec un détachement de soldats, et l’on se mit de suite à préparer l’inhumation de ce jeune homme si plein d’une vie ardente quelques heures auparavant et dont une brute sanguinaire avait fait un cadavre. Les voyageurs choisirent une clairière où se dressaient quelques arbres; tous furent abattus, sauf un, le plus beau, et l’on creusa la fosse à son pied. Au fond, des pierres plates furent disposées pour le lit funèbre qu’on recouvrit de feuilles, de palmes et d’herbes aquatiques.

«Le dimanche 10 mai, au matin, écrit l’un des témoins oculaires, nous enveloppâmes pieusement notre ami dans son linceul, fait de haïcks de soie blanche et d’une étoffe blanche très souple, et il fut déposé au milieu des palmes et des feuilles, sur un brancard fait avec des branches des arbres abattus.

«Les trois blancs de la caravane auxquels se joignirent un chef somali et un chef abyssin, le portèrent à sa dernière demeure.

«Derrière, suivaient les soldats, les conducteurs, les indigènes. Quand on fut arrivé, tous défilèrent en ordre devant le brancard déposé à terre, puis formèrent le cercle autour de la tombe. Spectacle grandiose et tragique dans sa simplicité, funérailles des temps primitifs s’harmonisant avec la nature sauvage et magnifique qui nous entourait.

«Il n’y eut ni discours solennel, ni chants religieux, ni prêtres pour bénir la terre où il allait dormir. Le juste que nous ensevelissions n’en avait pas besoin. Il n’y eut rien que notre profond respect, nos regrets désespérés, l’adieu muet de notre douleur. Non sans angoisse, nous pensâmes, en cet instant suprême, à la mère, dont hier encore, il nous parlait avec tant de tendresse, avec laquelle, il vivait dans une si rare communion d’âmes et d’idées.

«Lorsque nous le déposâmes sur sa couche de feuillage, ce fut vers elle qu’allèrent nos pensées douloureuses, associant ainsi son souvenir à notre dernier adieu.

«Puis on recouvrit le corps de feuilles et de terre, et chacun apporta de grosses pierres afin d’élever à cette place un petit tumulus.

«L’assassin, nommé Myrrha, de la tribu des Débéneth, était un fanatique du crime. Tuant pour tuer, il avait déjà assassiné quarante-trois hommes, dont plusieurs blancs. Il a dû rencontrer notre ami à la bifurcation de la route, et ayant conçu l’idée du crime en le voyant seul, il lui proposa peut-être de l’accompagner, l’entraîna dans un chemin écarté et marcha près de lui avant de le frapper traîtreusement. Il ne fouilla même pas les poches de sa victime.

«Le jour de sa mort, M. Dubois-Desaulle était vêtu d’un pantalon de kaki, d’une chemise de flanelle blanche rayée de bleu, fermée par une cordelière de soie blanche, d’un képi de piqué blanc et, lui serrant les reins, une ceinture de laine bleue, celle qu’il avait aux compagnies de discipline, et qu’il avait tenu à emporter dans ce voyage.»

M. Dubois-Desaulle disait souvent à ses compagnons de route que depuis fort longtemps il désirait faire ce voyage, que cette vie aventureuse était pour lui pleine de charmes, qu’il s’y retrempait pour bientôt retourner en France travailler avec une nouvelle ardeur. Rempli d’entrain, de gaîté, bienveillant pour tous, il avait vu apprécier par tous ses grandes qualités: la bonté de son cœur, sa haute intelligence, la loyauté et la noblesse de son caractère. Alors qu’il rêvait de grandes choses, la mort l’a frappé sournoisement, inutilement, misérablement. C’est un nom de plus à ajouter à cette liste funèbre d’esprits marqués pour un beau destin et que la fatalité éteint avant l’heure. Travailleur infatigable, Dubois-Desaulle a laissé de nombreux ouvrages inédits: deux romans, Didiel Hairiel et la Faim et l’Amour; une étude sur Les Conseils de révision, une étude sur Les Joyeux et cinq volumes tirés des Archives de la Bastille: Madame l’Abbesse; Benjamin Deschauffours; Bardaches de Seigneurs; Le Marquis de la Touche; La Police de la Manchette.


Étude sur la bestialité au point de vue historique, médical et juridique

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