Читать книгу Essai sur Talleyrand - Henry Lytton Bulwer Baron Dalling and Bulwer - Страница 11
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ОглавлениеJe me suis étendu un peu longuement sur les traits caractéristiques «de ces joyeux temps d'aise et d'élégance, où le plaisir enseignait à plaire avec tant de grâce, où les beaux esprits et les courtisans se rencontraient ainsi, les courtisans étant des hommes d'esprit, et les hommes d'esprit pouvant briller dans les cours: où la femme, accomplie dans son art de sirène, subjuguait les esprits et se jouait des cœurs, où les lumières de la sagesse brillaient dans des temples de fantaisie, où le goût avait des principes lorsque la vertu n'en avait pas; où les écoles dédaignaient ce qui, jusqu'alors, s'était appelé la morale, tandis que les sceptiques se vantaient d'avoir découvert quelque bien meilleur, époque où tout ce qui frappait le regard semblait appartenir à une terre enchantée, où toutes les vérités avaient eu leur théorie, et où aucune théorie ne se trouvait vraie [8].»
Je le répète, je me suis étendu un peu longuement sur les traits caractéristiques de ces temps, parce qu'il ne faudra pas oublier que le personnage dont j'ai à parler en était l'enfant. Jusqu'à la dernière heure de son existence, il en chérit tendrement la mémoire; c'est à eux qu'il doit plusieurs de ces grâces dont ses amis se souviennent encore avec délices, ainsi que la plupart de ces défauts que ses ennemis se plaisent si souvent à rappeler.
Il échappa à toutes les illusions les plus grossières de cette époque, ce qui nous est un témoignage de sa haute capacité. Je puis donner une preuve frappante de ce que j'avance là. J'ai déjà dit que M. de Talleyrand fut élevé à la dignité épiscopale en janvier 1789, quatre mois avant l'assemblée des états généraux. Il fut immédiatement nommé à cette grande assemblée par le bailliage de son diocèse, et peut-être serait-il impossible de trouver dans les annales de l'histoire un exemple plus remarquable de prudence humaine et de jugement droit que ce discours du nouvel évêque au corps qui l'avait nommé son représentant.
Dans ce discours, que j'ai maintenant sous les yeux, il sépare toutes les réformes praticables et utiles de tous les plans chimériques et dangereux (les uns et les autres étaient alors mêlés d'une manière confuse dans le cerveau à demi égaré de ses compatriotes), il n'omet aucun des biens que cinquante ans ont graduellement donnés à la France pour ce qui est du gouvernement, de la législation et des finances; ces avantages, il les passe tous en revue; il ne fait mention d'aucun des projets dont le temps, l'expérience, et la raison ont démontré l'absurdité et la futilité.
Une charte donnant à tous des droits égaux: un grand code simplifiant toutes les lois nécessaires et déjà établies, les réunissant en un seul corps; des mesures prises pour que la justice fût promptement rendue; l'abolition des arrestations arbitraires; l'adoucissement des lois entre débiteurs et créanciers; l'établissement du jugement par jury; la liberté de la presse, et l'inviolabilité de la correspondance privée; la destruction de ces impôts intérieurs qui séparaient la France en provinces, aussi bien que de ces restrictions par lesquelles les différents métiers étaient fermés à tous ceux qui n'étaient pas membres des corporations industrielles; l'introduction de l'ordre dans les finances au moyen d'un système bien réglé de comptes publics; la suppression de tous les priviléges féodaux; et l'organisation d'un plan général d'impôts bien répartis: tels furent les changements que l'évêque d'Autun proposa en 1789. Il ne dit rien de la perfectibilité de la race humaine; rien de la réorganisation complète de la société par un nouveau système de répartition du capital et d'organisation du travail; il ne promit pas une paix éternelle, et ne prêcha pas une fraternité universelle entre toutes les races et toutes les classes. Les améliorations qu'il proposa étaient claires et simples; elles s'accordaient avec des idées déjà reçues, et pouvaient être greffées sur le tronc d'une société qui existait déjà.
Elles ont résisté à l'épreuve de quatre-vingts ans, favorisées quelquefois par d'heureux événements, parfois retardées par des circonstances adverses. Quelques-unes ont été dédaignées par les démagogues, d'autres dénoncées par les despotes; elles ont passé par l'épreuve de révolutions successives; et ce sont actuellement les seuls fondements sur lesquels tous les Français sages et éclairés désirent établir les conditions du gouvernement et de la société dans leur grand et noble pays. Rendons hommage à une intelligence qui a pu tracer ces limites pour une génération qui s'élevait; à une prudence qui a su résister à la tentation de s'aventurer et de s'égarer en dépassant cette frontière.