Читать книгу Essai sur Talleyrand - Henry Lytton Bulwer Baron Dalling and Bulwer - Страница 21

XVI

Оглавление

Table des matières

Dans le triomphe du moment, toutes les idées modérées furent mises de côté et remplacées par un enthousiasme aveugle en faveur des changements les plus brusques. Et cette excitation n'était pas produite simplement par les calculs vulgaires de l'intérêt personnel,

par d'égoïstes espérances agitant l'esprit de gens qui espéraient améliorer leur propre condition: des émotions plus nobles et plus élevées faisaient palpiter d'un généreux enthousiasme le cœur de ceux-là même qui n'avaient que des sacrifices à faire. «Nos âmes,» dit Ségur aîné, «étaient alors enivrées d'une douce philanthropie, qui nous portait à chercher avec passion les moyens d'être utiles à l'humanité, et de rendre le sort des hommes plus heureux.» Le 4 août, «jour mémorable pour un parti,» observe M. Mignet, «comme la Saint-Barthélemi de la propriété, et pour l'autre comme la Saint-Barthélemi des abus,» les corvées personnelles, les obligations féodales, les immunités pécuniaires, les corporations de métiers, les priviléges seigneuriaux, les cours de loi, tous les droits municipaux et provinciaux,—tout le système de judicature basé sur l'achat et la vente des charges judiciaires, système qui, chose étrange à dire, quoique absurde en théorie, avait jusqu'alors produit dans la pratique des magistrats instruits, capables et indépendants,—en un mot, presque toutes les institutions qui formaient la charpente du gouvernement et de la société par toute la France furent balayées sans hésitation, d'après l'avis et à la demande des premiers magistrats et des premiers nobles du pays; ils ne considérèrent pas assez que ceux qui détruisent d'un seul coup toutes les lois existantes (quelles que soient ces lois), détruisent en même temps toutes les associations d'idées qui gouvernaient jusque-là l'esprit du peuple;—c'est-à-dire toutes les habitudes d'obéissance, tous les sentiments spontanés de respect et d'affection, sans lesquels une forme de gouvernement n'est tout simplement qu'une idée sur le papier.

Plus tard, M. de Talleyrand, parlant de cette époque, disait, avec cette forme concise et pittoresque qui le caractérise: «La Révolution a désossé la France.» Mais il est plus aisé d'être le critique spirituel d'événements accomplis, que d'être acteur froid et impartial dans des événements qui suivent leur cours; et, au temps auquel je fais allusion, l'évêque d'Autun était, sans aucun doute, parmi les plus pressés de détruire les traditions qui sont la base d'une communauté, et de proclamer les théories qui captivent la populace. L'abolition en masse d'institutions qui devaient avoir en elles-mêmes quelque chose de bon et qui méritaient d'être conservées (sans cela elles n'auraient jamais produit une société grande et raffinée, honorablement désireuse de réformer ses propres défauts), cette abolition, dis-je, fut sanctionnée par son vote; et les «droits de l'homme,» dont l'établissement fit si peu pour assurer la propriété ou la vie du citoyen, furent proclamés dans les termes qu'il suggéra.

Il est difficile de concevoir comment un homme d'État si froid et si sagace avait pu croire qu'une vieille société pourrait être bien gouvernée par des lois entièrement nouvelles, ou que la liberté pratique pouvait être fondée sur une déclaration de principes abstraits.

Quoi qu'il en soit, un esprit sain n'échappe pas toujours à une folie épidémique; pas plus qu'un corps sain à une maladie qui a ce même caractère. Du reste, à des époques où censurer des changements inutiles vous fait passer pour être le protecteur, et souvent le soutien, d'abus invétérés, personne ne réalise ou ne peut espérer réaliser juste ses propres idées. Les hommes agissent en masse: le désir qu'éprouve l'un des partis de marcher en avant est réglé et modéré par la force d'opposition d'un autre parti: pour poursuivre une politique, il peut être utile de feindre une passion si on ne l'éprouve pas en réalité; et un homme habile peut excuser sa participation à un enthousiasme absurde en faisant observer que c'était là le seul moyen de vaincre des préjugés plus absurdes encore.

Cependant, si M. de Talleyrand était alors un réformateur exagéré, du moins il ne ressemblait pas à beaucoup de réformateurs exagérés qui sont si occupés d'établir quelque plan chimérique de perfection future, qu'ils méprisent les nécessités pressantes du moment.

Il vit dès l'abord que, si la nouvelle organisation de l'État devait réellement s'exécuter, elle ne pouvait réussir qu'en rétablissant la confiance dans ses ressources, et qu'une banqueroute nationale serait une dissolution sociale. Quand, par conséquent (le 25 août), M. Necker présenta à l'assemblée un mémoire sur la situation des finances, sollicitant un emprunt de quatre-vingts millions de francs, l'évêque d'Autun appuya cet emprunt sans hésitation, démontrant combien il était important de soutenir le crédit public; et peu après (en septembre) quand l'emprunt ainsi accordé se trouva insuffisant pour satisfaire aux engagements de l'État, il aida de nouveau le ministre à obtenir de l'Assemblée une taxe de 25 pour 100 sur le revenu de tout individu en France.

Rarement on a vu un plus grand sacrifice national s'accomplir dans un moment de calamité nationale; et jamais dans une intention plus honorable. Il est certainement impossible de ne pas s'intéresser aux efforts d'hommes animés, au milieu de toutes leurs erreurs, d'un si noble esprit, et impossible aussi de ne pas regretter qu'avec des aspirations aussi élevées et des capacités aussi hautes, ils aient échoué d'une manière si déplorable dans leurs efforts pour unir la liberté à l'ordre, la vigueur à la modération. Mais c'est une loi presque universelle de la Providence que tout ce qui doit durer longtemps doit se former lentement. Et ce n'est pas tout: il faut s'attendre à ce que, aux époques de révolution, les partis en lutte soient constamment précipités dans des collisions contraires à leur raison, et fatales à leurs intérêts, mais amenées d'une manière inévitable par leur colère ou leurs soupçons. D'où il résulte que les plus sages intentions sont à la merci des incidents les plus insignifiants en apparence. Un de ces incidents se présenta alors.

Une fête militaire à Versailles, fête à laquelle la famille royale eut l'imprudence d'assister, et se donna peut-être la folle jouissance d'exciter un enthousiasme inutile parmi ses gardes et ses partisans, alarma à Paris la multitude qui, déjà irritée par la rareté croissante des vivres, redoutait de la part du souverain un appel à l'armée, comme le souverain redoutait un appel au peuple de la part des chefs populaires. Les hommes du faubourg Saint-Antoine, et les femmes de la halle, poussés par leurs besoins pressants et leur craintes vagues encore, ou bien guidés (comme on l'a dit, je crois, à tort) par la secrète influence du duc d'Orléans, sortirent bientôt des coins les plus obscurs de la capitale, et se répandirent sur la route large et princière qui conduit au palais longtemps vénéré, où, depuis l'époque du «Grand Roi» ses descendants avaient tenu leur cour. Au milieu d'un tumulte accidentel, cette populace sans loi pénétra dans la résidence royale, massacrant ceux qui la défendaient.

Le roi fut à l'abri de la violence, quoique insulté, et il fut escorté avec une sorte de décorum jusqu'aux Tuileries, qu'il habita depuis lors comme premier magistrat de l'État, mais, en réalité, comme prisonnier. L'Assemblée nationale le suivit à Paris.

Les événements dont je viens de parler se passèrent le 5 et le 6 octobre; et ils furent, pour les avocats de la monarchie constitutionnelle, ce que l'insurrection précédente, en juillet, avait été pour les défenseurs du pouvoir absolu. Les hommes modérés commencèrent à craindre qu'il ne fût plus possible de concilier la dignité et l'indépendance de la couronne avec les droits et les libertés du peuple: et MM. Mounier et Lally-Tollendal, considérés comme les chefs de ce parti qui tout d'abord avait exprimé le désir d'établir en France un gouvernement constitutionnel mitigé, semblable à celui qui existait en Angleterre—découragés et dégoûtés—quittèrent l'Assemblée. Jusqu'alors, M. de Talleyrand avait paru disposé à agir dans le même sens que ces hommes d'État, mais cette fois il n'imita pas leur conduite; au contraire, ce fut précisément au moment où ils se séparaient ainsi de la Révolution, qu'il présenta une proposition qui le liait à elle d'une manière irrévocable.

Si les affaires eussent présenté un aspect différent, il est probable qu'il ne se serait pas compromis si décidément en faveur d'un projet qui devait certainement rencontrer une opposition violente et déterminée; cependant il n'est que juste de remarquer que sa conduite dans cette circonstance était en parfait accord avec la ligne qu'il avait jusqu'alors suivie, et les sentiments qu'il avait exprimés, par rapport aux exigences de l'État et aux biens de l'Église.

J'ai montré, en effet, combien il s'était préoccupé de maintenir le crédit public, d'abord en appuyant un emprunt de 80 millions de francs, et secondement en votant un impôt de 25 pour 100 sur la propriété. Mais l'une de ces mesures n'avait produit qu'un soulagement temporaire, et l'autre n'avait pas donné ce qu'on en attendait; car toute l'administration du pays ayant été désorganisée, le recouvrement des impôts était précaire et difficile. Il fallait évidemment chercher quelque nouvelle ressource. Une seule restait. Le clergé avait déjà renoncé à ses dîmes, que l'on avait d'abord désignées seulement comme rachetables, et il avait aussi abandonné sa vaisselle plate. Lorsque M. de Juigné, archevêque de Paris, fit les deux premières donations au nom de ses collègues, il avait été secondé par l'évêque d'Autun; et ce fut l'évêque d'Autun qui proposa alors (le 10 octobre) que tout ce qui restait au clergé—savoir, ses terres—serait, à certaines conditions, placé à la disposition de la nation.

Essai sur Talleyrand

Подняться наверх