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XVII
ОглавлениеM. Pozzo di Borgo, homme qui n'était nullement inférieur à M. de Talleyrand, quoique quelque peu jaloux de lui, me dit une fois: «Cet homme s'est fait grand en se rangeant toujours parmi les petits, et en aidant ceux qui avaient le plus besoin de lui.» Le penchant que M. Pozzo di Borgo signalait alors avec une certaine amertume, mais avec autant de perspicacité, fut surtout visible dans les circonstances dont je parle en ce moment; c'était peut-être, dans une certaine mesure, la conséquence de cette perception nette de ses propres intérêts qui guida à travers la vie, presque avec la sûreté de l'instinct, le personnage que je désigne comme le type du politique. Personne ne peut penser, qu'au moment où toute autre institution était bouleversée en France, il fût possible à l'Église de France, contre laquelle l'esprit du dix-huitième siècle avait été particulièrement dirigé, d'éviter un changement complet de situation. Seule au milieu de la prodigalité générale, cette corporation, par sa condition particulière, avait pu conserver toutes ses richesses, bien qu'elle eût perdu presque toute sa puissance. Dans les temps de commotion, les faibles et les riches sont la proie naturelle des forts et des nécessiteux; et, par conséquent, du moment où la nation eut entrepris une révolution pour éviter la banqueroute, les propriétés ecclésiastiques devaient, un peu plus tôt ou un peu plus tard, être sacrifiées aux nécessités publiques. Néanmoins, une telle appropriation n'était pas sans difficultés; et les laïques avaient besoin avant tout d'un ecclésiastique distingué et haut placé qui voulût sanctionner un plan destiné à livrer la propriété de l'Église. Les opinions exprimées par un homme aussi haut placé dans les rangs du clergé et de la noblesse que l'évêque d'Autun, étaient donc d'une importance considérable, et, étant populaires, elles devaient le conduire à une position importante qui aboutirait certainement (si un nouveau ministère se formait du côté libéral), à un portefeuille; le sol était déjà miné sous les pieds de M. Necker.
En effet, Mirabeau, dans une note écrite en octobre, note qui propose une nouvelle combinaison ministérielle, laisse M. Necker chef nominal du gouvernement «afin de le discréditer,» se propose lui-même comme membre du conseil royal sans portefeuille, et donne le poste de ministre des finances à l'évêque d'Autun, en disant: «La motion du clergé lui a conquis cette place [12].»
L'argumentation dont l'évêque se servit pour introduire la motion à laquelle il est ici fait allusion, a été si souvent répétée depuis l'époque à laquelle je me reporte, et a tellement influencé la condition du clergé dans une grande partie de l'Europe, qu'il est impossible de la lire sans intérêt.
«L'État depuis longtemps est aux prises avec les plus grands besoins: nul d'entre nous ne l'ignore; il faut donc de grands moyens pour y subvenir. Les moyens ordinaires sont épuisés; le peuple est pressuré de toutes parts; la plus légère charge lui serait, à juste titre, insupportable. Il ne faut pas même y songer. Des ressources extraordinaires viennent d'être tentées, mais elles sont principalement destinées aux besoins extraordinaires de cette année, et il en faut pour l'avenir, il en faut pour l'entier rétablissement de l'ordre. Il en est une immense et décisive et qui, dans mon opinion (car autrement je la repousserais) peut s'allier avec un respect sévère pour les propriétés. Cette ressource me paraît être tout entière dans les biens ecclésiastiques.
«Déjà une grande opération sur les biens du clergé semble inévitable pour rétablir convenablement le sort de ceux que l'abandon des dîmes a entièrement dépouillés.
«Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de discuter longuement la question des propriétés ecclésiastiques.
«Ce qui me paraît sûr, c'est que le clergé n'est pas propriétaire, à l'instar des autres propriétaires, puisque les biens dont il jouit (et dont il ne peut disposer), ont été donnés, non pour l'intérêt des personnes, mais pour le service des fonctions. Ce qu'il y a de sûr, c'est que la nation, par cela même qu'elle est protectrice des volontés des fondateurs, peut, et même doit supprimer les bénéfices qui sont devenus sans fonction: que, par une suite de ce principe, elle est en droit de rendre aux ministres utiles, et de faire tourner au profit de l'intérêt public le produit des biens de cette nature, actuellement vacants, et qu'elle peut destiner au même usage tous ceux qui vaqueront dans la suite.
«Jusque-là point de difficulté, et rien même qui ait droit de paraître trop extraordinaire; car on a vu, dans tous les temps, des communautés religieuses éteintes, des titres de bénéfices supprimés, des biens ecclésiastiques rendus à leur véritable destination et appliqués à des établissements publics, et sans doute l'Assemblée nationale réunit l'autorité nécessaire pour décréter de semblables opérations, si le bien de l'État les demande.
«Mais peut-elle aussi réduire le revenu des titulaires vivants et disposer d'une partie de ce revenu?
«Je sais que des hommes d'une autorité imposante, que des hommes non suspects d'aucun intérêt privé, lui ont refusé ce pouvoir: je sais tout ce qu'on dit de plausible en faveur de ceux qui possèdent.
«Mais d'abord il faut en ce moment partir d'un point de fait, c'est que cette question se trouve décidée par vos décrets sur les dîmes.
«D'ailleurs, j'avoue qu'en mon particulier les raisons employées pour l'opinion contraire, m'ont paru donner lieu à plusieurs réponses: il en est une bien simple que je soumets à l'Assemblée.
«Quelque inviolable que doive être la possession d'un bien qui nous est garanti par la loi, il est clair que cette loi ne peut changer la nature du bien en le garantissant; que, lorsqu'il est question de biens ecclésiastiques, elle ne peut assurer à chaque titulaire actuel que la jouissance de ce qui lui a été véritablement accordé par l'acte de fondation. Or, personne ne l'ignore, tous les titres de fondation des biens ecclésiastiques, ainsi que les diverses lois de l'Église qui ont expliqué le sens et l'esprit de ces titres, nous apprennent que la partie seule de ces biens qui est nécessaire à l'honnête subsistance du bénéficier lui appartient; qu'il n'est que l'administrateur du reste, et que ce reste est réellement accordé aux malheureux ou à l'entretien des temples. Si donc la nation assure soigneusement à chaque titulaire, de quelque nature que soit son bénéfice, cette subsistance honnête, elle ne touchera point à sa véritable propriété individuelle; et si en même temps elle se charge, comme elle en a sans doute le droit, de l'administration du reste; si elle prend à son compte les autres obligations attachées à ces biens, telles que l'entretien des hôpitaux, des ateliers de charité, des réparations des églises, les frais de l'éducation publique, etc.; si surtout elle n'a recours à ces biens qu'au moment d'une calamité générale, il me semble que toutes les intentions des fondateurs seront remplies, et que toute justice se trouvera avoir été sévèrement accomplie.
«Ainsi, en récapitulant, je crois que la nation, dans une détresse générale, peut, sans injustice: 1o disposer des biens des différentes communautés religieuses qu'elle croira devoir supprimer, en assurant à chacun des religieux le moyen de subsister; 2o faire tourner à son profit, dès le moment actuel, toujours en suivant l'esprit général des fondateurs, le revenu de tous les bénéfices sans fonctions, qui sont vacants, et s'assurer celui de tous les bénéfices de même nature, qui vaqueront; 3o réduire dans une proportion quelconque les revenus actuels des titulaires, lorsqu'ils excéderont telle ou telle somme, en se chargeant d'une partie des obligations dont ces biens ont été frappés dans le principe.
«Par toutes ces opérations, soit actuelles, soit futures, que je ne fais qu'indiquer ici, et où je ne puis voir aucune violation de propriété, puisqu'elles remplissent toutes les intentions des fondateurs; par toutes ces opérations, dis-je, la nation pourrait, je pense, en assurant au clergé les deux tiers du revenu ecclésiastique actuel, sauf la réduction successive à une certaine somme fixe de ce revenu, disposer légitimement de la totalité des biens ecclésiastiques, fonds et dîmes [13].»