Читать книгу Essai sur Talleyrand - Henry Lytton Bulwer Baron Dalling and Bulwer - Страница 24
XIX
ОглавлениеLa proposition de M. de Talleyrand relative aux biens de l'Église fut adoptée le 2 novembre après des débats orageux, et le parti vaincu le rangea alors parmi ses plus violents adversaires. Mais le 4 décembre il remporta une victoire beaucoup plus éclatante, autre chose qu'un triomphe de parti, par la lucidité singulière avec laquelle, à propos de la proposition qui avait été faite d'établir une banque à Paris et de rétablir d'une manière générale l'ordre dans les finances françaises, il expliqua les principes de la banque et du crédit public, enveloppés alors pour le public de ce mystère dont l'ignorance se plaît presque naturellement à entourer les sujets dont le détail ne peut être compris qu'en posant des chiffres, mais où sont engagés des intérêts aussi graves que ceux d'une nation, avec les ressources sur lesquelles elle peut compter et les nécessités auxquelles il lui faut faire face.
Le talent admirable déployé en cette occasion par M. de Talleyrand consista à rendre clair ce qui paraissait obscur, et simple ce qui semblait abstrait. Après avoir montré qu'une banque ne pouvait exister qu'à la condition de faire du bien à elle-même et aux autres par son crédit, et que ce crédit ne pouvait être l'effet d'un papier-monnaie à cours forcé, comme quelques personnes semblaient disposées à le croire, un cours forcé n'étant rien moins qu'une démonstration de l'insolvabilité de l'institution qu'il était destiné à protéger, il arriva à la condition générale et au crédit de l'État, et dit: «Messieurs, le temps est passé des plans financiers compliqués, des plans préparés d'une manière habile et savante, et inventés simplement pour retarder, par des expédients, la crise inévitable. Tous les efforts de l'esprit et de la ruse sont épuisés. A l'avenir, il faudra que l'honnêteté remplace le génie. A côté de l'évidence de nos calamités, nous aurons à placer l'évidence du remède. Tout devra être réduit à la simplicité d'un livre de comptes, tenu par le bon sens, gardé par la bonne foi.» Ce discours valut à son auteur une approbation universelle: il fut loué pour l'élégance de son style dans le boudoir des belles dames; pour la solidité de ses vues, dans la maison de campagne du banquier; le faubourg Saint-Germain lui-même reconnut que M. de Talleyrand, quoique scélérat, était homme d'État, et que, dans ces temps difficiles, un scélérat, homme de qualité et homme d'État, pouvait être utile à son pays. Mais une popularité si universelle ne devait pas durer longtemps. Le mois suivant (le 31 janvier 1790), le libéral évêque se prononça pour l'opinion qui voulait accorder aux juifs les droits de citoyens français. Cette opinion considérée par plusieurs comme une double révolte contre les distinctions jusqu'alors maintenues entre les castes et les croyances, ne pouvait être pardonnée à M. de Talleyrand par la meilleure partie de cette société qu'il avait autrefois fréquentée; et j'ai lu, dans quelque chronique du temps, que le marquis de Travanet, fameux joueur de «tric-trac,» prit alors l'habitude de dire, en faisant ce qui s'appelle «la case du diable:» «Je fais la case de l'évêque d'Autun.» Toutefois, quand se déchaîne l'esprit de parti, il n'est pas rare que la réputation d'un homme se fasse, grâce à ses contradicteurs eux-mêmes; et le nom de M. de Talleyrand grandit alors dans le pays et dans l'Assemblée à mesure qu'il perdait son prestige dans les cercles de la cour et parmi les partisans exagérés de l'intolérance cléricale et des prérogatives royales.
C'est qu'en effet peu de personnes avaient rendu d'aussi importants services à la cause qu'il avait épousée. Ainsi que nous l'avons vu, c'est à ses efforts que l'on dut principalement la réunion du clergé aux communes dans l'église Saint-Louis, et, par conséquent, la constitution des états généraux. Peu de temps après, en contestant la nature impérative des mandats que les membres des états généraux avaient reçus de leurs commettants, il avait fortement contribué à affranchir l'Assemblée nationale d'instructions qui auraient certainement entravé ses futurs progrès. Élu membre du comité qui devait préparer la constitution nouvelle, ses travaux avaient compté parmi les plus remarquables qui eussent été produits devant la commission, et les futurs droits des Français avaient été proclamés dans les termes qui lui avaient paru le plus convenables. Déployant dans toutes les questions financières cette ferme connaissance des principes qui seule produit la clarté de l'exposition, il avait secondé avec habileté M. Necker, dans les mesures par lesquelles cet homme d'État avait cherché à raffermir le crédit public et à accroître le revenu, et, enfin, il avait fait l'abandon des richesses et de la puissance de l'ordre auquel il appartenait, et cela comme un sacrifice fait (il le prétendait du moins) au bien public.
La part qu'il avait prise aux actes de l'Assemblée était, en effet, si considérable, que l'on pensa que personne ne pouvait être mieux qualifié pour expliquer et défendre sa conduite. Il fut donc chargé de cette explication, ou plutôt de cette apologie; et il s'acquitta de sa tâche par une sorte de mémoire ou de manifeste à la nation française. Ce manifeste fut lu à l'Assemblée nationale le 10 février 1790, et ensuite il fut publié et circula dans toute la France. Il a depuis longtemps été oublié parmi les nombreux papiers d'origine analogue qui ont marqué et justifié les changements successifs que la France a eu à subir pendant les quatre-vingts dernières années.
Mais, à l'époque où ce manifeste fit son apparition, on en loua universellement le tour habile et mesuré, et il demeure à présent un remarquable témoignage des idées, et une justification adroite et digne des actes d'une époque qui attend encore le jugement définitif de la postérité.