Читать книгу Essai sur Talleyrand - Henry Lytton Bulwer Baron Dalling and Bulwer - Страница 23
XVIII
ОглавлениеAinsi M. de Talleyrand soutenait:
1o Que les membres du clergé n'étaient pas comme les autres propriétaires, puisque, s'ils avaient des biens, ce n'était pas pour leur jouissance personnelle, mais pour l'accomplissement de certains devoirs, et que la seule chose qu'ils pussent attendre du revenu de ces biens était une existence honorable, le reste étant destiné au soutien des pauvres et à l'entretien des édifices religieux;
2o Que l'État pouvait modifier la distribution des propriétés ecclésiastiques, ou plutôt le traitement du clergé, et aussi supprimer totalement les établissements ecclésiastiques qui lui paraissaient dangereux ou inutiles, ainsi que les bénéfices de peu d'utilité qui étaient alors vacantes ou qui pourraient le devenir, et, naturellement, employer le revenu qui y avait été jusqu'alors consacré, de la manière qui semblerait le mieux adaptée au bien général;
3o Que, dans un moment de grande calamité nationale, l'État pourrait même s'emparer de tous les biens du clergé et les employer pour les nécessités publiques, si en même temps il prenait sur lui les charges confiées au clergé, et s'il assurait en même temps aux membres de ce clergé un traitement fixe et suffisant.
Toutefois, il ne proposa pas (comme quelques-uns ont eu la sottise de le croire et l'injustice de l'avancer), de réduire son ordre à l'état d'indigence; au contraire, pensant que le revenu des biens de l'Église, y compris les dîmes (qu'il aurait encore levées comme revenu de l'État), était d'environ cent cinquante millions de francs, il conseilla au gouvernement de consacrer par an d'abord une somme de cent millions, qu'on ne pourrait jamais réduire à moins de quatre-vingt-cinq millions, au soutien du clergé, dont aucun membre ne devrait recevoir moins de douze cents francs, auxquels s'ajouterait un presbytère; et si l'on considère que les dîmes ayant été sacrifiées, le revenu du clergé était alors réduit à soixante-quinze millions, revenu de ses terres; et aussi que le budget ecclésiastique, comprenant le traitement des ecclésiastiques de tous les cultes, ne s'est jamais, depuis cette époque, élevé jusqu'à la somme que M. de Talleyrand était disposé à accorder, l'on est forcé de reconnaître que les propositions dont je viens de parler, considérant les difficultés du moment, n'étaient pas à dédaigner, et que le clergé français aurait agi plus prudemment s'il les avait tout d'abord acceptées; d'ailleurs, il faut l'avouer, toute convention faite, dans des périodes de bouleversement, entre un pouvoir qui baisse et un pouvoir qui s'élève, est rarement observée fidèlement par ce dernier.
Mais le clergé, à tous hasards, et, en particulier, le haut clergé, ne voulut pas accepter ce contrat. Ce dont il se plaignait, ce n'était pas tant de l'insuffisance de la provision qu'on devait lui accorder, que de l'obligation où on le mettait d'échanger son revenu de propriétaire contre un salaire de fonctionnaire. Bref, il soutenait qu'il était propriétaire aux mêmes titres que les autres, et que l'évêque d'Autun avait mal exposé son cas et autorisé sa spoliation.
Dans cet état de choses,—quelle que fût la nature réelle du titre en vertu duquel l'Église tenait ses biens—quelle que fût l'imprudence du clergé lui-même à repousser le compromis qui lui était proposé comme compensation pour l'abandon de ces biens, il était impossible de confisquer d'autorité une propriété qu'une grande corporation avait possédée pendant des siècles sans qu'elle lui fût disputée, une propriété qu'elle déclarait ne pas vouloir abandonner, sans affaiblir le respect de la propriété en général, et aussi, par les questions et les discussions qu'une telle mesure devrait certainement soulever, le respect de la religion; on aurait ainsi affaibli et miné ce qu'il était si important de fortifier et de maintenir au milieu des ruines prêtes à s'écrouler d'une vieille société et d'un vieux gouvernement, je veux dire ces fondements sur lesquels toute société qui aspire à être civilisée et tout gouvernement qui veut être honnête, doivent établir leur existence.
«Les sages,» dit un grand réformateur, «devraient y regarder à deux fois avant de faire de grands changements, alors que les sots demandent à grands cris de dangereuses innovations.» Mais, quoique cette maxime puisse être bonne, il me semble qu'elle peut être professée par le philosophe spéculatif plutôt que suivie par l'homme d'État ambitieux.
Il y a, par le fait, dans l'histoire des nations, des moments où certains événements, par les forces multiples de circonstances qui concourent toutes à une même fin, sont inévitablement arrêtés d'avance; et, dans de tels moments, tandis que l'ignorant s'obstine et s'entête, que l'orgueilleux fait admirer sa fermeté, que le chrétien baisse la tête et se résigne, «l'homme politique» se prête aux circonstances, et se contente d'essayer de mêler autant de bien que possible au mal qu'il faut nécessairement accepter.
Il est facile de concevoir, par conséquent, que lorsque M. de Talleyrand proposa que l'État s'appropriât les biens de l'Église, il le fit parce qu'il vit d'avance qu'en tout cas cette confiscation aurait lieu; parce qu'il pensait qu'il serait bon pour lui d'obtenir la popularité que cette proposition attirerait nécessairement à celui qui en serait l'auteur; et aussi parce que de cette manière il pouvait obtenir des conditions qui auraient assuré une existence honorable au clergé et un immense soulagement à l'État, si elles eussent été franchement acceptées par le premier de ces partis et loyalement exécutées par le second. Je dis que ces conditions auraient assuré à l'État un immense soulagement, puisque, suivant les calculs que l'évêque d'Autun soumit à l'Assemblée,—et les éléments de ces calculs semblent avoir été mûrement pesés,—si l'immense propriété, évaluée à deux milliards de francs, eût été convenablement vendue, et que les sommes résultant de cette vente eussent été convenablement employées, ces sommes, en aidant à rembourser de l'argent emprunté à d'énormes intérêts, auraient pu, moyennant une économie passable, convertir un déficit de quelques millions de francs en un excédant d'environ la même valeur. Mais il arriva alors, comme cela se voit souvent quand la passion et la prudence s'unissent pour quelque grande entreprise, que la partie du plan qui était l'œuvre de la passion fut réalisée complétement et d'un seul coup, tandis que celle qui s'inspirait de la prudence fut transformée et gâtée dans l'exécution. J'aurai à revenir plus tard sur ce sujet.