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LE ROI QUI VOULUT ÉPOUSER SA FILLE
Оглавление2e version de Cendrillon
CAMPBELL. — (HIGLANDS.)
Il y avait une fois un roi et une reine qui n’avaient qu’une fille unique. Quand la reine mourut, le roi décida qu’il n’épouserait d’autre femme que celle à laquelle iraient les vêtements de la feue reine. La fille ayant un jour, par passe-temps, essayé les vêtements de sa mère, vint voir le roi, el lui demanda comment il la trouvait ainsi. Le roi lui répondit que ces vêtements lui allaient à merveille, et qu’en conséquence, il voulait l’épouser. Elle se réfugia en pleurant près de sa nourrice, qui lui demanda la cause de son chagrin. Elle répondit: «Mon père veut faire de moi sa femme! — En ce cas, reprit la nourrice, dis à ton père que tu ne l’épouseras que s’il te donne une robe faite avec le dos d’un cygne.» Le roi partit et revint après un an et un jour, rapportant la robe. Alors la princesse retourna chez sa nourrice. Celle-ci lui conseilla de dire à son père qu’elle ne l’épouserait que quand elle aurait une robe faite avec le canach du marais. Lorsque le roi eut connu ce nouveau désir de sa fille, il partit encore, et au bout d’un an et un jour, revint avec la robe. «Demande-lui maintenant, dit la nourrice, de te rapporter une robe de soie d’or et d’argent qui se tiendra debout toute seule.» — Un an et un jour après, le roi revint avec la robe. «Demande-lui encore, dit la nourrice, un soulier d’or et un soulier d’argent.» Le roi donna à sa fille le soulier d’or et le soulier d’argent. «Demande encore, dit la nourrice, un coffre qui se ferme en dedans et en dehors, et qui puisse, à ta volonté, flotter sur la mer ou rouler sur la terre.» Quand la princesse eut le coffre, elle y enferma les plus belles des robes de sa mère, et n’eut garde d’oublier celles que lui avait données son père; puis elle entra dans le coffre en priant son père de le placer sur la mer afin qu’elle pût en faire l’épreuve. Le roi y consentit, et quand le coffre fut sur la mer, il vogua, vogua, puis on le perdit de vue.
Le coffre aborda sur une autre rive; un berger s’en approcha dans l’intention de le briser, espérant y trouver de grandes richesses. Tout à coup, il entendit une voix qui disait: «Ne brise pas ce coffre, mais va trouver ton père et dis-lui de venir; le bonheur de sa vie est enfermé ici.» Le père du berger vint aussitôt et emmena chez lui la princesse. Or il était lui-même berger d’un roi et demeurait près du palais. «Ne puis-je, dit la princesse, me mettre en service dans cette grande maison?» Le berger répondit: «On n’y a besoin de personne, si ce n’est d’une fille de cuisine.» Le berger parla en sa faveur, et elle fut prise comme servante sous les ordres du cuisinier. Le dimanche, tous les gens de la maison partirent pour le sermon, et quand ils demandèrent à la princesse de les accompagner, elle répondit qu’elle avait un petit pain à cuire et qu’elle était obligée de rester à la cuisine. Dès qu’ils furent partis, elle courut à la maison du berger, revêtit sa robe de cygne, se rendit au sermon et alla s’asseoir en face du fils du roi. Le fils du roi se prit d’amour pour elle. Elle s’esquiva un peu avant la fin de la cérémonie, retourna à la maison du berger et reprit ses vêtements de laveuse de vaisselle. Quand les domestiques furent de retour, ils ne parlaient que de la gentille femme qu’ils avaient vue à l’église. Le dimanche suivant, ils dirent à la princesse: «Venez-vous au sermon?» Elle répondit qu’elle ne le pouvait pas, parce qu’elle avait un petit pain à cuire. Dès qu’ils furent partis, elle courut chez le berger, passa sa robe en canach du marais, puis elle alla au sermon. Le fils du roi était à la même place que le dimanche d’avant, et elle s’assit en face de lui. Elle sortit avant tout le monde, changea de vêtements et revint à la cuisine avant eux. Quand les domestiques arrivèrent, ils ne parlaient que de la belle fille qu’ils avaient vue au sermon. Le troisième dimanche, ils lui demandèrent encore si elle venait à l’église, et elle répondit qu’elle ne le pouvait pas, parce qu’elle avait un petit pain à cuire. Aussitôt qu’ils furent sortis, elle courut chez le berger, revêtit la robe d’or et d’argent qui se tenait debout toute seule; en outre, elle chaussa le soulier d’or et le soulier d’argent et se rendit au sermon. Le fils du roi était assis au même endroit que le dimanche d’avant; elle se plaça près de lui. Cette fois, le roi avait donné ordre de garder les portes. Avant la fin de la cérémonie, elle se leva et profita d’une échappée pour s’esquiver, mais en s’enfuyant, elle laissa tomber un de ses souliers. Le fils du roi dit: «J’épouserai. celle qui pourra chausser ce soulier.» Maintes femmes l’essayèrent et tentèrent d’y fourrer leurs doigts et leur talon, mais ce fut en vain. Pendant ce temps, sur le haut d’un arbre, un petit oiseau s’en allait sautant de branche en branche, et disant: «Essaie, essaie tant que tu voudras; ce soulier ne te va pas, mais il ira à la fille de cuisine.» Quand le fils du roi vit que personne ne pouvait chausser la pantoufle, il tomba malade et se mit au lit. La reine alla à la cuisine causer de tout cela: «Montrez-moi donc le soulier, dit la laveuse de vaisselle; avez-vous peur que je ne le salisse? — Eh! fille malpropre! crois-tu donc pouvoir mettre. ton pied dans cette jolie pantoufle!» — La reine alla dire à son fils que la fille de cuisine voulait aussi essayer la pantoufle.
«Pourquoi pas? dit le prince qui sait si le soulier ne lui ira pas? Dans tous les cas, qu’elle l’essaie si bon lui semble.» Aussitôt que la pantoufle toucha le parquet, elle sauta au pied de la fille de cuisine. «Que direz-vous donc, dit-elle, si je vous montre la pareille?» Elle alla à la maison du berger, mit les souliers et revêtit la robe d’or et d’argent qui se tenait debout. Dès qu’elle fut revenue, on n’eut plus qu’à envoyer chercher le ministre, et elle épousa le fils du roi.
M. Campbell donne d’autres versions gaéliques de ce conte. Dans une de ces variantes, la princesse demande à son père et obtient de lui uue robe de dos d’oiseau, une autre couleur du ciel tissée d’argent, une troisième couleur des étoiles et tissée d’or, enfin des souliers de verre. Elle s’enfuit alors avec son coffre sur une pouliche portant une bride magique. — Une autre variante est intitulée: le Bélier aux cornes grises. Elle est fort curieuse. Une reine persécutait la fille que son mari avait eue d’un premier lit; elle lui donnait à peine de quoi manger et l’envoyait aux champs faire paître les moutons. Or, dans ce troupeau se trouvait un bélier qui, saisi de pitié, apportait de la nourriture à la persécutée. La reine, étonnée de ne pas voir dépérir sa belle-fille, la fit surveiller par une fille de basse-cour nommée Mhaol. Pendant que Mhaol était là, le bélier se garda bien d’approcher. Alors la princesse dit à Mhaol: «Mets ta tête sur mes genoux et je te coifferai» — Mhaol s’endormit et le bélier profita de la circonstance pour apporter à manger à la princesse. Mais l’œil qui était derrière la tête de Mhaol était ouvert et il vit ce qui se passait. La reine ordonna de faire tuer le bélier. Alors le bélier s’approcha de la princesse et lui dit: «Quand je serai mort, tu prendras tous mes os et tu les envelopperas dans ma peau; aussitôt je renaîtrai à la vie.» La princesse se conforma au désir du bélier, mais elle oublia, dans sa précipitation de mettre dans la peau les sabots de devant et quand le bélier revint à la vie, il était boiteux . Un jeune prince devient ensuite amoureux de la princesse et lui fait présent d’une paire de souliers d’or. Le reste comme dans le récit ci-dessus. Telle est la manière dont on raconte en Écosse les récits que Perrault nous a donnés de Peau dâ’ne et de Cendrillon.
On serait tenté d’y voir d’abord des imitations quelque peu défigurées de nos deux célèbres contes, d’autant plus que les œuvres de Perrault, répandues dans toutes les classes de la société anglaise, sont réellement devenues populaires chez nos voisins. Mais il n’en est pas ainsi. On trouve en effet mentionné avec plusieurs autres, dans un pamphlet politique intitulé : Complaynt of Scotland de l’année 1548, le conte de Rashie-Coat qu’on vient de lire plus haut. Les Contes de Perrault n’ayant paru qu’en 1697, on voit que les traditions populaires de l’Angleterre n’ont pas eu besoin de tirer Cendrillon du fonds français. — Les histoires de Cendrillon et de Peau d’âne étaient au contraire connues dans toute l’Europe, bien avant qu’elles tentassent la plume de Perrault. Ainsi les Facétieuses Nuits du seigneur Straparole, dont la première édition fut publiée en 1550, contenaient un récit analogue à celui de Peau d’âne; Basile en 1636 rendait célèbre le conte de Cendrillon sous le nom de Gatta Cenerentola, mais sans l’épisode de la pantoufle. De son côté, Bonaventure Despériers, en ses Récréations et joyeux devis, publiés en 1544, traitait le sujet de Peau d’âne. Enfin Grimm fait connaître que Cendrillon est citée dans un poëme allemand du XVIe siècle, Frosch Maüseler, par Rollenhagen. — Si Perrault a été l’imitateur de quelqu’un, il n’a eu que le choix parmi ces écrivains, mais il est au contraire fort probable que ni les uns ni les autres n’ont eu besoin de s’emprunter ces sujets; tous les ont puisés directement à la source populaire dans leur pays, Perrault comme les autres, et nous ne devons à ce grand conteur que la forme incomparable dont il a revêtu les histoires de sa nourrice ou de quelque grossier campagnard. C’est à dessein que j’ai confondu dans ces citations les récits de Cendrillon et de Peau d’âne; si du premier on enlève l’épisode de la pantoufle et du second l’épisode de l’âne faisant de l’or, épisodes absolument distincts du récit principal et qui figurent dans des contes très-nombreux sans que le sujet ait le moindre rapport avec ceux des deux héroïnes de Perrault, on se trouve en présence de deux versions différentes de la même histoire. Peut-être même a-t-il existé jadis un conte plus général dont Peau d’âne et Cendrillon ne sont que des extraits et qui renfermait les aventures de l’une et l’autre. Ce qu’il y a de certain, c’est que les contes anglais et gaéliques donnés ci-dessus sont aussi bien des versions de Cendrillon que de Peau d’âne.
Le type de Cendrillon appartient à toutes les littératures populaires anciennes et modernes; ses variétés de formes sont nombreuses. Tantôt les contes nous représentent un idiot ou un innocent qui, ignoré pendant longtemps des autres et de lui-même, accomplit tout à coup des prodiges de force; quelquefois de belles princesses sont retenues prisonnières par des géants ou des ogres dans des demeures souterraines, des prisons ou des puits. Chez les Grecs nous trouvons le type de Cendrillon dans Proserpine, qui passait six mois chez Pluton et revenait au printemps auprès de sa mère Cérès, la déesse des moissons. D’autres fois, la beauté de l’héroïne du conte est dissimulée par le vêtement qu’elle porte et les humbles fonctions qu’elle remplit à l’étable ou à la cuisine; nous avons alors les types de Peau d’âne et de Cendrillon, et dans l’antiquité ceux d’Apollon, berger du roi Admète, ou maçon chez Laomédon, et Hercule serviteur d’Eurysthée pendant douze ans.
Citons maintenant quelques-uns des contes similaires pour en démontrer l’universalité :
IRLANDE. — Contes de Kennedy (Fire Side Stories): Princesse Peau de Chat; même sujet dans Hallivell’s Nursery Tales.
FRANCE. — Les récits de Perrault; — Contes bretons de Luzel: le Poirier aux poires d’or (pour l’épisode de la pantoufle seulement); le Roi Serpent et le prince de Tréguier; — Contes agenais de Bladé : La Gardeuse de dindons — Em. Souvestre: Péronik l’Idiot; ce conte est une version populaire de notre vieux roman de Perceval et fournit le type celtique de Cendrillon. Le héros commence par être stupide à ce point qu’il prend des biches pour des chèvres, et il finit par les plus hautes destinées.
ITALIE. — Facétieuses Nuits de Straparole: Histoire de Tebaldo et de Doralice (1re Nuit, fable IV); Pentamerone: Cenerentola.
ALLEMAGNE. — Plusieurs contes de Grimm avec ou sans l’épisode de la pantoufle: le Pauvre garçon meunier; Aschen püttel (Cendrillon); Peau de Chat; les Trois Sœurs.
PAYS SCANDINAVES. — Norwége (traduction Dasent): Katie Wooden Cloak; Hacon à la Barbe grise; Suède: Contes de Cavallius et Stephens (traduction Thorpe): Le Petit soulier d’or. (La fée y est un brochet; dans une autre version, une hermine.) En tout sept versions différentes.
DANEMARK. — Conte de Molbeck (traduction Thorpe: la Fille vêtue de peaux de souris;
RUSSIE. — Conte d’Afanasieff: la Petite Marie (citée par Gubernatis).
INDE. — Contes du Deccan (M. Frère): Sodewa Bai (pour l’épisode de la pantoufle seulement).
Enfin l’épisode de la pantoufle est cité par Strabon et Élien à propos d’une courtisane nommé Rhodope, dont la pantoufle, enlevée par un aigle, est jetée sur les genoux d’un pharaon. Le monarque, émerveillé de la petitesse de la chaussure, en fait chercher partout la maîtresse et l’épouse.
Le mythe représenté sous ses formes diverses est le sommeil de la nature pendant l’hiver et son réveil au printemps. Pour symboliser ce phénomène, nos ancêtres aryens aimaient à dépeindre le soleil sous les traits d’un jeune héros qui, après une série d’aventures, devait remettre à une princesse l’attribut symbolique représentant l’union du soleil printanier avec la nature, mariage fécond d’où doivent sortir, comme de nombreux enfants, les fleurs et les fruits.
L’imagination des Aryens s’est d’ailleurs donné toute carrière dans le choix de ces attributs. Tantôt c’est l’anneau que Peau d’âne laisse tomber dans le gâteau qu’elle pétrit, ou bien c’est la pantoufle qui, dans le conte gaélique, saute d’elle-même au pied de la fille de cuisine; souvent le héros doit rapporter des vêtements particuliers ou, comme dans les Trois Filles du roi de Lochlin (Conte XIV), les couronnes qu’elles avaient dans les demeures souterraines des géants. 11 n’y a guère de contes mythiques où ne se retrouvent ces attributs symboliques sous les formes les plus diverses; dès qu’ils parviennent dans les mains de celui qui doit les posséder, c’est l’indice que le mythe est accompli ou totalement ou au moins dans une de ses parties. De même, dans nos cérémonies, nous indiquons l’accomplissement d’un acte par la remise d’un attribut symbolique; aux rois: la couronne et le sceptre; aux fiancés: une bague; aux guerriers: l’insigne du commandement, etc. Ces idées mythiques sont, comme on le voit, beaucoup plus simples qu’on ne le croit d’abord. Notre esprit seul n’y est pas habitué, accoutumés que nous sommes à ne considérer ces récits que comme des contes d’enfants et non comme les débris de croyances disparues.