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1er Mai 1915

Table des matières

A L’OUVROIR MUNICIPAL

Le 1er Mai 1915, une ouvrière, interprète de ses 300 compagnes, adressa à Monsieur le Maire et à ses collègues l’allocution suivante:

MONSIEUR LE MAIRE,

C’est avec un plaisir mêlé d’un sentiment de profonde gratitude que nous venons à l’occasion de la triple date de votre anniversaire, de votre fête patronale et de la fête du travail, vous offrir, avec nos meilleurs souhaits, cet humble gage de notre sincère reconnaissance.

Nous sommes heureuses de trouver cette occasion pour vous remercier de l’appui que toutes nous avons trouvé dans cet Ouvroir créé par la Municipalité du VIIIe arrondissement et du réconfort moral que vous nous apportez soit par vos visites, soit par vos conseils si bienveillants, soit, en un mot, par les bontés de toutes sortes que vous ne cessez de nous prodiguer.

Vous ne vous contentez pas de nous venir en aide et de nous donner la satisfaction de nous rendre, nous aussi, utiles à notre chère Patrie en travaillant pour nos soldats.

La matinée que vous avez organisée pour nous dimanche dernier et à laquelle nous avons été si heureuses d’assister, nous montre, une fois de plus, le souci délicat que vous avez de nous faire oublier, autant que possible, les tristesses de l’heure présente.

Aussi nous nous réunissons toutes pour vous en témoigner notre gratitude du fond du cœur et crier bien haut un grand merci à Monsieur le Maire et à la Municipalité du VIIIe arrondissement.

Monsieur le Maire répondit en ces termes:

MESDAMES,

Vous me voyez profondément ému, mais aussi profondément troublé et je ne crains pas de dire... profondément embarrassé !

Ce témoignage de votre sympathie, que je sens si spontané, ne me surprend pas de votre part, car, ainsi que je le disais avant-hier devant vous à Madame Poincaré, vous êtes de vraies Françaises, animées des sentiments les plus délicats et aptes à organiser les manifestations les plus exquises, celles qui viennent du cœur même.

Je n’en reste pas moins très embarrassé, car je ne puis laisser sans réponse les paroles si affectueuses que je viens d’entendre.

Il est d’usage de communiquer aux intéressés le texte des discours qu’on leur doit adresser, ce qui permet à l’orateur de préparer sa réponse dans une patiente improvisation...

Vous, vous m’avez pris de court. Eh bien! si cette fête vient de votre cœur, si votre gracieux compliment vient de votre cœur, je ferai comme vous et c’est tout simplement dans mon cœur que j’irai chercher ma réponse et les termes en lesquels je veux vous remercier.

Si j’ai écouté avec émotion votre beau compliment, je n’en ai pas moins apprécié toutes les gentillesses et toutes les nuances.

Vous avez choisi, dites-vous, pour m’exprimer vos sentiments, la double date de mon anniversaire et de ma fête patronale qui, par une heureuse fortune, coïncide avec la fête du travail. Et cette dernière considération surtout me touche très vivement: rien, en effet, ne pouvait m’être plus agréable, plus délicieusement agréable que de vous voir choisir cette fête du 1er mai pour manifester vos sentiments à mon égard.

Pour une première raison d’abord, c’est que, comme vous l’avez dit si heureusement, votre remerciement s’adresse non seulement à moi, mais à la Municipalité tout entière du VIIIe arrondissement.

Et ce serait paraître exclure de votre sympathie et de votre reconnaissance mes chers collègues M. le docteur Godon et M. Drucker, que de vouloir fêter uniquement mon anniversaire ou ma fête patronale.

Puis, c’est aujourd’hui le Ier mai, fête du travail et je ne crains pas de dire fête du bonheur, car le travail est vraiment la source du bonheur.

Les années précédentes, le 1er mai était plutôt la fête des travailleurs qui fêtaient le travail en ne travaillant pas.

Cette année le 1er mai n’est pas la fête des travailleurs, il est la fête du travail fécond, réparateur, moralisateur.

Tous les syndicats ouvriers ont décidé qu’ils fêteraient le 1er mai en travaillant cette année et ce n’est pas sans émotion que j’ai lu la détermination prise par les mineurs de Carmaux. Ils ont décidé que dans la crise que traverse la France, unis dans un sentiment de patriotisme, ils ne voulaient pas suspendre, même pour un jour, l’extraction du charbon si utile à la défense nationale.

Il se trouve ainsi que la fête du travail est la fête du patriotisme.

Nous en avons une preuve éclatante et touchante ici même.

Les mineurs de Carmaux ne veulent pas chômer un jour afin de ne pas nuire à la défense nationale.

Vous, Mesdames, vous contribuez aussi par votre travail à la défense nationale en confectionnant pour nos chers soldats les vêtements chauds qui leur ont été et qui leur seront encore si utiles dans les froides et humides tranchées, comme vous leur préparerez bientôt des sous-vêtements non moins précieux.

Ainsi donc nous célébrons à la fois la fête du travail et du patriotisme, et, chose digne de remarque, nous célébrons cette fête dans le temple même qui convient à ce culte, je veux dire dans ces magnifiques locaux construits pour donner asile aux travailleurs et aux travailleuses.

C’est vraiment le décor qui nous convient.

Et il m’est infiniment agréable de voir au milieu de nous et de saluer le grand prêtre de ce temple, notre bienfaiteur M. Forest.

Et maintenant, Mesdames, je termine, comme j’ai commencé, en vous remerciant.

En ce vase qui est un magnifique objet d’art, je vois toute votre attention, toutes vos pensées, tous vos sentiments.

Cette porcelaine fine, faite de la pâte la plus tendre, rehaussée des couleurs les plus délicates, c’est votre image même, c’est l’image de la femme, de toutes les femmes, faites de délicatesse, de tendresse et de sensibilité.

Par contre les attributs de bronze dont il est orné paraissent traduire mes propres sentiments: ils symbolisent le souvenir que je garderai de cette fête si charmante, le souvenir aussi de nos rapports durant les heures tragiques que nous avons traversées côte à côte; ce souvenir ne s’effacera jamais de ma mémoire et, comme ce bronze lui-même, résistera à l’épreuve du temps.

Et enfin si je jette les regards sur la gerbe qui baigne dans ce vase, qu’y vois-je? des fleurs superbes; je n’en connais pas le langage. Cependant j’y remarque un rameau d’olivier symbole de la paix.

Ah! oui, puissions-nous voir bientôt la chère colombe, traversant l’espace et portant dans son bec le rameau d’olivier auquel se joindra nécessairement le rameau de laurier, symbole de la victoire!

Et ceci me reporte vers nos chers soldats, vos maris, vos fils, vos fiancés. Je leur adresse un souvenir d’admiration et de reconnaissance pour tant d’efforts héroïques accomplis depuis 10 mois pour le salut de la France, c’est-à-dire pour le triomphe du droit, de la justice, de la liberté et de la civilisation.

Un arrondissement de Paris pendant la guerre

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