Читать книгу Un arrondissement de Paris pendant la guerre - Philippe Marechal - Страница 21
ОглавлениеÉLOGE FUNÈBRE D’ÉMILE LE SENNE Secrétaire-général de la Société historique et archéologique du VIIIe arrondissement.
Dès qu’il eut appris la mort glorieuse de notre Secrétaire général, Emile Le Senne, tombé le 11 Novembre 1914, à Wytschaëte (Belgique), et décédé à Lille, des suites de ses blessures, le 14 du même mois, le Bureau de la Société Historique et Archéologique des VIIIe et XVIIe arrondissements résolut de se réunir en séance extraordinaire pour rendre un hommage officiel à la mémoire de notre regretté et cher collègue.
La séance eut lieu le 8 Juin à six heures du soir, à la Mairie du VIIIe arrondissement.
Étaient présents: MM. le Docteur Maréchàl, Mareuse, Ch. Normand, Emile Henry, le Docteur Godon, Blondel, Vuaflart, Paul Jarry, Drucker, Biré.
M. Léon Gruel, alors à Cannes, s’était excuse, en s’associant aux sentiments du Bureau, et M. Foulon, empêché à la dernière minute de se rendre à la Mairie, avait tenu, dans une lettre pleine d’émotion, à exprimer tous ses regrets et à se joindre de cœur à nous tous.
Au début de la séance, M. le Docteur Maréchal, Maire du VIIIe arrondissement et Président de la Société, prononça le discours suivant:
MES CHERS COLLÈGUES,
Notre société est en deuil: Emile Le Senne est mort... il est mort pour la patrie.
Perte vraiment cruelle qui nous touche au cœur même, perte irréparable pour sa famille, irréparable pour ses amis.
Il est tombé dans les plaines arrosées par l’Yser, ces plaines illustrées à jamais par des luttes qui sont jusqu’ici sans exemple dans l’histoire des hommes, luttes où le sol de la terre tremblait comme sous une catastrophe de la Nature, où les espaces du ciel étaient sillonnés de foudres et de tonnerres qui dépassaient en éclat et en horreur tout ce que renferment de feux dans leurs flancs toutes les nuées accumulées.
Il faut remonter jusqu’aux luttes des Titans contre les Dieux pour se représenter de tels bouleversements!
Dans ce cadre sublime la mort devient grandiose, elle a quelque chose de surhumain. Emile Le Senne, grièvement blessé, resta entre les mains des ennemis, et quatre jours plus tard, le 14 Novembre, il exhala son dernier souffle à Lille, — à Lille, depuis si longtemps, hélas! occupée par la horde germanique. Mais il a eu, du moins, la consolation de mourir en terre française, il a eu la gloire de verser son généreux sang pour la plus grande cause qui puisse exister au monde. L’inexorable loi de l’Histoire semble exiger, pour l’accomplissement d’un progrès, le sacrifice des plus nobles victimes: le malheur des uns semble devoir être la rançon du bonheur des autres.
Les parents de notre ami ont été durement frappés, puisqu’ils ont perdu également dans les combats un autre fils.
Nous leur adressons l’expression de la peine profonde que nous éprouvons tous; nous prenons part à leur douleur, comme si elle était la nôtre.
Emile Le Senne inspirait la sympathie dès le premier abord; le regard clair, bon, franc et loyal, la physionomie ouverte révélaient une belle intelligence et surtout une âme dotée des plus rares qualités morales. Il représentait un remarquable exemplaire de la vraie race française.
Il est mort à 34 ans, à cet âge heureux où l’on a encore au cœur la fraîcheur des sentiments de la jeunesse, à cet âge où l’homme a atteint son développement en unissant par une enviable alliance la vigueur de l’esprit à la vigueur du corps.
Combien cela était vrai de notre cher Secrétaire général! Vous l’avez vu toujours affable, toujours souriant, ayant reçu de la nature aussi bien que de l’éducation cette courtoisie qui faisait le charme indicible de la France d’autrefois et que je regrette tant de voir s’affaiblir de nos jours. Aussi était-il d’un commerce extrêmement agréable. Son esprit nourri de la moelle de l’antiquité et des plus grands et des plus délicats d’entre les modernes, aimait à approfondir les questions les plus variées: le droit, l’économie politique et sociale, les curiosités de l’histoire, celles surtout qui, par l’étude de personnages énigmatiques ou par l’examen des monuments ou des ruines du passé, nous font pénétrer jusque dans le secret des choses.
Frappés des ressources inépuisables de ce fécond esprit, vous lui aviez confié les lourdes fonctions de Secrétaire général. Comment il a rempli sa tâche, avec quel zèle et quelle ardeur il organisait et dirigeait nos travaux, vous le savez tous.
Nous ne le verrons plus des yeux du corps; mais il vivra bien longtemps dans notre pensée. Il a disparu, et cependant nous le verrons quand même; bien des fois, il nous arrivera de tourner les yeux vers lui, comme s’il était encore parmi nous, pour solliciter ses avis éclairés sur les délicates et difficiles questions qui nous seront soumises.
Un homme d’élite ne meurt pas tout entier: Emile Le Senne survivra, non seulement comme un érudit sur lequel se fondaient tant d’espérances, mais aussi et surtout comme un héros tombé vaillamment au champ d’honneur.
Je vous propose, mes chers collègues, en témoignage de notre estime et de notre admiration, de conserver toujours le nom d’Emile Le Senne en tête de notre Bulletin, juste hommage rendu à sa glorieuse mémoire.
S’associant à la proposition de M. le Président, le Comité décide aussitôt de maintenir perpétuellement, en tête de la liste des membres de la Société, les noms d’Emile Le Senne et de tous ceux des nôtres qui auraient au cours de la guerre, donné leur sang à la patrie. Il faut, hélas! ajouter déjà celui d’un autre de nos jeunes collègues; Henri Delacour, tombé lui aussi au champ d’honneur.