Читать книгу Un arrondissement de Paris pendant la guerre - Philippe Marechal - Страница 20

Оглавление

30 Mai 1915

Table des matières

MATINÉE DE L’AIDE MORALE SALLE WAGRAM

MESDAMES, MESSIEURS,

J’ai déjà eu le grand honneur de porter la parole devant vous, lorsque la Société de l’Aide morale a donné dans notre 8e arrondissement une de ses séances dont l’attrait s’allie si bien avec l’esprit de bienfaisance.

Aujourd’hui je m’adresse à vous au nom des deux Municipalités du 17e et du 8e arrondissements qui ont organisé en commun cette dernière réunion.

Je veux remercier cordialement mon éminent collègue, M. Cosnard, du concours précieux qu’avec sa courtoisie coutumière il a bien voulu nous prêter en cette circonstance. C’est un titre de plus, entre tant d’autres titres, qu’il acquiert à la reconnaissance de ses concitoyens. Je prie M. Albert Kahn, le tout dévoué délégué du 17e, de se faire auprès de lui notre chaleureux interprète.

Il ne suffit pas, Mesdames et Messieurs, d’apporter à ceux qui souffrent un concours matériel, d’ailleurs bien modeste et plus d’une fois insuffisant. Après tout, le corps peut, à la rigueur, (on en voit tous les jours des preuves nombreuses) se soutenir avec peu d’aliments.

Il n’en va point ainsi de l’âme qui ne se rassasie pas de consolations dans l’extrême douleur, non plus qu’elle ne se rassasie de marques d’affection. Et cela est si vrai qu’au sein même de l’opulence bien des larmes, des cris et des sanglots prouvent que le bonheur véritable n’est pas dans les trésors de métaux précieux, mais dans les trésors de l’esprit et du cœur.

Mme Moll-Weiss, cette admirable femme de bien, a compris qu’il est de cruelles blessures qui ne trouvent d’adoucissement ou de remède que dans la délicatesse des plus purs sentiments. Et elle est allée vers ces désespérées dont la solitude et l’abandon augmentaient encore la peine. Elle est allée vers toutes, vers les plus humbles surtout, qui avaient perdu ce qu’elles avaient de plus cher au monde, un père, un mari, un fils, deux, trois fils quelquefois, et qui dans le foyer hier heureux, désolé aujourd’hui, appelaient la mort pour aller rejoindre ceux qu’elles avaient tant aimés. D’autres, inquiètes du sort des êtres qui leur tiennent au cœur, redoutent qu’ils ne soient emportés comme des fétus de paille dans les terribles ouragans de la mitraille ennemie ou se lamentent sur la pénible situation d’un prisonnier exposé à toutes les brutalités d’un peuple infâme qui a toute honte bue.

Et Mme Moll-Weiss, émue de tant de détresses, a tendu vers elles et ses mains et son cœur. Elle leur a dit: «Venez vers nous, vous qui souffrez, et nous vous consolerons; venez vers nous, vous qui pleurez, et nous essuierons vos larmes ou plutôt nous pleurerons ensemble, ce qui est peut-être la meilleure manière de se consoler mutuellement.»

Il est souverainement juste d’associer à cet éloge mérité M. Emile Perrin, professeur au collège Chaptal, délégué du Comité du 8e. Je crois bien que peu de personnes sont à même, autant que je le suis, de connaître tout ce que le cœur de mon cher ami renferme de sensibilité. Il aurait inventé la bienfaisance, si elle n’avait existé déjà ; son activité est prodigieuse; il embrase de son feu tous ceux qu’il entoure: c’est l’apôtre du bien.

De hauts personnages se sont associés à cette généreuse pensée: de là est née l’Aide morale qui a donné de très nombreuses et très intéressantes séances et a groupé autour d’elle plus de 100.000 auditrices.

Des causeries familières, des lectures patriotiques, des auditions empruntées à nos plus grands écrivains ont apporté une distraction précieuse à des soucis cuisants. En outre, un rapprochement social s’est opéré dans les diverses classes de la société ; les plus grands ont fraternisé avec les plus petits; bien des préventions se sont évanouies, comme cela s’est produit là-bas dans les tranchées, où le prince coudoie le plébéien, où le patron coudoie l’ouvrier, où le prêtre coudoie l’athée,... très fraternellement.

Car ils sont là-bas, vos pères, vos maris, vos fils, vos frères, à vous filles, à vous femmes, à vous mères, à vous sœurs. Ils sont là-bas qui dépassent les exploits les plus illustres des héros d’Homère et qui écrivent une Iliade où chacun des guerriers est un autre Achille, plein de cœur et de vaillance, ayant jusque dans le plus profond de son âme cet amour sacré de la patrie que chante notre Marseillaise.

Ils luttent pied à pied, non point pour satisfaire l’ambition d’un homme et pour élever à cet homme un piédestal de gloire de leurs cadavres amoncelés, mais pour arracher dents et griffes. aux tigres altérés de sang que l’humanité a le devoir et le droit d’exterminer impitoyablement.

Ah! les braves camarades que nous avons là ! Comme ils étaient splendides l’hiver dernier dans leur carapace de boue épaisse, et comme cette boue immonde avait grand air et grande allure! Je les ai vus en Belgique, à Nieuport, à Furnes, à Ypres, où m’appelait la mission de leur distribuer mille objets utiles et agréables! Je demeurai interdit devant ces hommes accomplissant avec tant de modestie et de mâle simplicité une œuvre que l’on croirait au-dessus des forces humaines.

Aussi je comprends qu’un de nos généraux se soit écrié : «Je suis à genoux devant mes hommes.»

Et cependant ils ont 45 ans, ils ont 35 ans, ils ont 20 ans, que dis-je? Ils ont 19 ans! Les plus jeunes rivalisent de courage et d’ardeur avec les plus âgés; le gamin qui sort du collège ou de l’atelier ou de la douce maison paternelle vaut un grognard de la Révolution ou de l’Empire, seulement celui-là ne grogne pas comme l’autre. Il sape, il creuse, il lance des grenades, il fusille, il canonne, il éventre, il écharpe avec une sainte fureur guerrière, comme s’il n’avait fait que cela toute sa vie.

D’où viennent ces invraisemblables héros qu’on dirait sortis d’une légende? ils viennent de tous les coins et recoins de la France. Qui sont-ils? — qui ils sont? Ce sont les vôtres, femmes et jeunes filles qui m’écoutez.

Ah! pleurez, pleurez si vous le voulez, mais soyez fières de ceux dont vous portez le nom, car, en vérité, je vous le dis, rien de semblable n’a encore été vu sur la terre et ne le sera sans doute plus jamais.

Mais n’ont-ils pas le droit, alors qu’ils font à la France, sans exhaler une plainte, le sacrifice de leurs bras, de leurs jambes, de leurs yeux, de la dernière goutte de leur sang, n’ont-ils pas le droit de vouloir que leurs pères, que leurs mères, leurs femmes et leurs enfants soient à l’abri de la sombre misère? Et n’ont-ils pas le droit de vouloir que les êtres chéris dont ils sont l’amour et le soutien, soient encouragés et consolés par des mains et par des voix pleines de tendresse? C’est la tâche entreprise par les bienfaiteurs de l’Aide morale.

Je vous salue et je m’incline devant vous d’un cœur ému, car vous êtes, ô femmes de France, dignes des soldats de France.

Un arrondissement de Paris pendant la guerre

Подняться наверх