Читать книгу Un arrondissement de Paris pendant la guerre - Philippe Marechal - Страница 25

Оглавление

20 Juillet 1915

Table des matières

MATINÉE AU PROFIT DE L’HÔPITAL GARIBALDI (CONCERT DES AMBASSADEURS)

MESDAMES, MESSIEURS,

Lorsque la très distinguée et très dévouée directrice de l’Hôpital Garibaldi, Madame Chabanaud, est venue me demander de présider ce concert de bienfaisance, c’est avec empressement et avec reconnaissance que j’ai accepté sa flatteuse requête.

Je me suis permis toutefois de lui faire remarquer que cet honneur ne devait pas me revenir à moi, mais bien à mon éminent collègue et très cher ami, Monsieur Herbet, maire du VIe arrondissement.

L’Hôpital Garibaldi, en effet, Mesdames et Messieurs, n’est pas une création du VIIIe arrondissement .

Ce n’est que par suite de circonstances exceptionnelles qu’il est venu chercher chez nous un asile hospitalier (cet adjectif me paraît ici bien à sa place) et quel que fût le lieu où il se transportât, l’Hôpital Garibaldi ne cesserait d’appartenir au VIe. Cette Salle de Spectacle, par là même qu’elle vous donne l’hospitalité, devient du VIe: telle une ambassade dont le sol prend partout la nationalité de son chef.

Quelle erreur commettait donc M. Herbet lorsque, présidant non loin d’ici à l’inauguration de son hôpital, il se compara au doge de Gênes! Le mot célèbre du doge, c’est plutôt moi qui devrais me l’appliquer, moi qui préside en ce lieu une fête de bienfaisance du VIe et qui puis justement répéter: «Ce qui m’étonne le plus ici, c’est de m’y voir.»

Ainsi donc, Mesdames et Messieurs, ce n’est pas moi qui vous reçois, c’est vous qui m’invitez et je vous en remercie.

Mais, j’y pense, n’est-il pas plus juste de dire qu’à l’heure actuelle, il n’y a plus d’arrondissements? que la rive gauche se confond avec la rive droite, la rive droite avec la rive gauche, que le Quartier Latin a émigré aux Champs-Elysées et les Champs-Elysées au Quartier Latin? Que dis-je? n’est-il pas encore plus juste d’avancer qu’il n’y a plus ni d’arrondissements ni de départements et que nous sommes tous les uns chez les autres d’un bout à l’autre de Paris comme d’un bout à l’autre de la France? Oui, vraiment, la patrie se manifeste aujourd’hui plus que jamais une et indivisible.

Nous ne sommes pas faits, comme l’Allemagne et l’Autriche, de pièces et de morceaux plus ou moins mal soudés: du Nord au Midi, de l’Est à l’Ouest nous n’avons plus qu’une seule âme, un seul cœur.

Notre amour pour le pays confond dans un même ardent et profond sentiment Paris et Bordeaux, Lille et Marseille, Nantes et Lyon, Brest et Nancy et Belfort et Metz et Strasbourg. Tout cela ne forme qu’un tout dont les parties nous sont aussi chères l’une que l’autre.

De même dans les tranchées, toutes les provinces sont mêlées et confondues. Le sang qui coule sur toute la longueur de notre ligne de bataille est de tous les départements à la fois: la terre qui s’en imprègne nous en sera encore plus sacrée.

Jamais peut-être la France, au cours de ses longues annales, ne s’est plus complètement révélée sous les deux aspects principaux qui font sa grandeur et sa gloire: le courage et la bonté.

Le courage de la France, est-il besoin d’en parler? L’histoire retentira à tout jamais des merveilleux exploits, des actes d’héroïsme et d’abnégation que notre vaillante armée n’a cessé d’accomplir durant ces dix mois de la guerre la plus effroyable qui ait été déchaînée sur le monde.

Et quel courage? Non pas le courage imposé sous la menace du revolver, mais le courage naturel, spontané, jailli de l’âme elle-même, le courage plein de gaîté, en un mot le courage bien français.

A ce courage des tranchées, la France répond par la bonté, cette autre magnifique vertu de notre race.

C’est par centaines que les œuvres de bienfaisance, d’aide et d’assistance ont germé sur notre sol depuis le début des hostilités: hôpitaux, ouvroirs, cantines, soupes populaires, œuvres en faveur des réfugiés, français et belges, orphelinats, dispensaires, partout, dans toute la France, la bonté s’ingénie à prendre toutes les formes.

Et nous n’oublions pas ceux qu’un sort malheureux a laissés aux mains de nos infâmes ennemis. J’apprenais récemment au Ministère de la Guerre que 300 œuvres fonctionnent admirablement en France en faveur des prisonniers de guerre.

Les femmes surtout, nos admirables femmes françaises, ont donné sur tous les points du territoire les plus émouvants exemples de courage, d’activité, de dévouement, de désintéressement.

Elles se sont mobilisées elles-mêmes, sans ordre officiel. Elles ont contracté des engagements volontaires: seulement au lieu des armes qui tuent, elles ont pris les armes qui sauvent.

Dans les hôpitaux, dans les ateliers, dans les ouvroirs, dans les usines mêmes et dans les prés et dans les champs, elles ont soigné, elles ont fabriqué, elles ont cousu, elles ont labouré, oui, labouré à 500 mètres des tranchées, sans s’émouvoir des obus qui éclataient près d’elle.

D’autres, depuis le début de la guerre, n’ont pour ainsi dire pas abandonné l’aiguille, l’aiguille qui, si petite qu’elle soit, est aussi indispensable pour vaincre que sa grande sœur la baïonnette.

Oui, nos femmes françaises ont été vraiment admirables; depuis les plus nobles dames jusqu’aux plus humbles femmes du peuple, toutes ont fait tout leur devoir, plus que leur devoir: nulle fatigue, nul sacrifice ne les a rebutées, ne les rebute; elles les recherchent, au contraire, elles les sollicitent, elles les exigent; elles se fâchent, si on leur oppose un refus.

Il y a quelques jours, je reçus la visite d’une religieuse qui dirige un ouvroir rue de la Ville-l’Evêque. «L’Intendance, me dit-elle, vient de me commander 10.000 masques contre les gaz asphyxiants. Je dois les livrer dans 8 jours. Le peu d’ouvrières dont je dispose ne me permettra pas de faire face à cette obligation. Vous serait-il possible de faire confectionner par les femmes de l’Ouvroir municipal une partie de ces cagoules?

— Je l’ignore, répondis-je; le mieux est, si vous le voulez bien, de m’accompagner à l’ouvroir dont la directrice nous renseignera.»

Celle-ci émit des doutes sur la bonne volonté ou sur l’activité de ses ouvrières qui, prétendit-elle, ignorantes de ce genre de travail et craignant d’être lésées dans leur salaire, n’en pourraient sans doute faire qu’une centaine, si toutefois elles y consentaient.

Désireux de les convaincre, je me rendis dans l’atelier avec la sœur et la directrice et là en quelques mots j’exposai l’objet de ma visite.

«Il nous faut, dis-je à nos ouvrières, ces 10.000 masques dans un très bref délai; ils doivent être livrés aux armées en prévision d’une offensive imminente. L’ouvroir voisin ne peut les fournir en temps voulu. Je vous demande de nous y aider. Vous songerez, en les confectionnant, que chacun de ces masques peut sauver la vie d’un de nos soldats, qui sait? la vie peut-être de l’un des vôtres, de votre mari, de votre frère, de votre fils, de votre fiancé. Je compte sur vous, Mesdames; je fais appel à tout votre cœur, à tout votre dévouement, à tout votre patriotisme. Il reste d’ailleurs bien entendu que ce travail exceptionnel vous sera exceptionnellement rétribué. A l’avance, je vous remercie:»

Et pendant que je parlais bien des yeux s’étaient mouillés de larmes.

A peine fûmes-nous sortis que tout le travail en cours d’exécution fut suspendu. On se mit immédiatement à la confection des masques; on y passa la journée, on y passa la nuit. On déjeuna et on dîna à l’atelier avec un peu de charcuterie et de fromage. Le soir venu, on planta des bougies dans des bouteilles et le travail continua jusqu’à l’aube. Les femmes, que des soins à donner à des enfants, à de vieux parents, à des malades, rappelaient chez elles, emportèrent dans le petit logement ou dans la mansarde leur part de la tâche.

Et le lendemain, ce n’est pas 100 ou 150 masques qui furent prêts, mais 1. 500.

Et lorsque je fus avisé de ce magnifique effort de nos ouvrières, j’appris avec émotion qu’elles ne voulaient recevoir aucun salaire. «Dites bien à M. le Maire que nous n’accepterons rien. Pendant que nos hommes se font tuer pour nous, ce serait honteux de se faire payer pour ça!»

Cet exemple du patriotisme et de l’exquise sensibilité de nos femmes françaises ne méritait-il pas d’être publiquement rappelé ?

De cette bonté, de cette divine vertu de notre race, vous avez voulu, Mesdames et Messieurs, nous donner un nouveau témoignage en vous intéressant aux victimes les plus nobles, les plus dignes, les plus pitoyables de cette horrible guerre: à nos glorieux blessés.

Vous venez de prouver une fois de plus, comme je le disais tout à l’heure, que la France, à l’heure actuelle, ne forme plus qu’une grande famille étroitement unie devant les angoisses et devant les deuils.

Il y a peu de temps, le Président de la République proclamait devant le front des troupes l’inébranlable unité de la patrie. Cette unité de la patrie qui règne là-bas, elle est, à l’intérieur, l’union inviolable et sacrée.

A Paris dans tous nos arrondissements nous avons conscience d’avoir fait tout ce qu’il était humainement possible de faire pour la réaliser, pour la sceller plus étroitement encore.

Vous avez voulu, Mesdames et Messieurs, nous y aider. Vous avez ainsi contribué, vous aussi, à nous préparer dans une certaine mesure la victoire finale.

Je vous en remercie du fond du cœur.

Je vous en remercie au nom de nos blessés.

Je vous en remercie au nom des nobles femmes qui leur consacrent tous les trésors de leur dévouement et de leur tendresse, qui se font d’elles-mêmes les mères et les sœurs de ces malheureux, — de ces malheureux qui, rien qu’en les voyant ou en les entendant, sentent déjà diminuer leurs souffrances.

Je vous en remercie enfin au nom de tous ceux qui là-bas, dans les tranchées, luttent et succombent pour le triomphe de la civilisation, pour la liberté des peuples, pour le salut de la France et pour le salut du monde.

Un arrondissement de Paris pendant la guerre

Подняться наверх