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VII

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Nous entrons maintenant dans la seconde phase de la carrière de Cobden. A partir de 1848, il n’est plus seulement l’instigateur principal de l’agitation économique, il devient le chef d’un parti dont les doctrines peuvent paraître imprudentes et prématurées, mais qui n’en mérite pas moins l’intérêt et l’attention de tous ceux qui envisagent la question du progrès non pas au point de vue de tel ou tel peuple, mais de l’humanité tout entière.

Le peuple anglais est sujet à une certaine maladie qu’on pourrait appeler la panique de l’invasion française. Lorsqu’on s’y attend le moins, la panique s’empare du malade qui perd la tête au premier moment. En 1848, un de ces terribles accès de frayeur sévissait en Angleterre. Nos voisins voyaient partout des soldats français débarquant sur la côte: trois navires de pêcheurs leur semblaient une flotte, et au moindre mouvement de troupes dans les départements du littoral, ils criaient à la formation d’un nouveau camp de Boulogne. Une Revue importante de Londres s’écriait que le premier engagement avec la France aurait lieu sans déclaration de guerre, et qu’il fallait songer à empêcher un enlèvement de la Reine dans Osborne-House.

C’est au milieu de ces alarmes, et de l’excitation qu’elles faisaient naître, que Cobden, dans un meeting convoqué à Manchester pour célébrer l’entrée au Parlement des nouveaux membres abolitionnistes, eut l’occasion de faire connaître sa pensée sur la question des armements qui préoccupait d’autant plus l’opinion publique en Angleterre, que le vieux duc de Wellington venait de la recommander spécialement à l’attention de ses concitoyens dans une lettre forte et pathétique qui ressemblait à un appel d’outre-tombe. Cobden ne craignit pas de lutter avec un homme à qui, de son vivant, l’Angleterre avait dressé des statues, et qui passait pour le génie tutélaire de la patrie. Il se moqua d’abord de la panique dont nous venons de parler, en rappelant une autre panique dont les Russes étaient la cause il y a quelques années: «A vrai dire, cette panique est une sorte de maladie périodique. Je la compare quelquefois au choléra, car je crois qu’elle nous a visités la première fois en même temps que le choléra. On nous disait alors que nous aurions une invasion de Russes. Je crois que si je n’avais pas été choqué de la folie de quelques journaux (et il y en aujourd’hui qui sont presque aussi fous que ceux-là), — lesquels prétendaient que les Russes allaient aborder d’un moment à l’autre à Portsmouth, — je crois, dis-je, que je ne serais devenu ni auteur, ni homme public, que je n’aurais jamais écrit de pamphlets ni prononcé de discours, et que je serais demeuré jusqu’aujourd’ hui un laborieux imprimeur de coton.»

Issue d’un mouvement libéral et pacifique, la République de Février se souvint peut-être un peu trop de cette origine. Sans doute il était bon d’élucider les questions sociales; mais il y avait aussi des questions politiques extérieures qui demandaient une solution. Les résultats de 1815 pesaient encore sur la France. Le manifeste de Lamartine prouva aux puissances qu’il ne serait rien tenté pour les modifier. Il n’y avait donc plus aucun prétexte de rompre l’alliance anglaise. Bien loin d’y songer, le gouvernement ne cherchait au contraire qu’à la rendre plus étroite. C’est ce que Cobden s’efforçait de démontrer toutes les fois que, prenant la parole dans un meeting, il s’occupait des relations entre l’Angleterre et la France; tout ce qui pouvait porter le trouble dans ces relations était sur de rencontrer en lui un ennemi décidé. Nul ne se montra plus sévère contre le duc de Wellington à propos de la lettre dont nous venons de parler: «N’aurait-il pas mieux fait, dit Cobden, en parlant du vieux Maréchal, de prêcher le pardon et l’oubli du passé, que de raviver les souvenirs de Toulon, de Paris, de Waterloo, et de faire tout ce qu’il faut pour engager une nation courageuse à user enfin de représailles, et à se venger de ses désastres passés? N’aurait-il pas accompli une œuvre plus glorieuse en mettant du baume sur ces blessures, maintenant à peu près guéries, au lieu de les rouvrir, en laissant à une autre génération le soin de réparer les maux accomplis par lui?»

Il y avait certainement du courage à prononcer de telles paroles, et on peut dire que Cobden n’en a jamais manqué. Qu’il attaque un abus ou un préjugé, c’est toujours le même homme ferme et imperturbable que ni l’injure ni le sarcasme ne peuvent atteindre.

Le parti que Cobden représente demande pour toutes les colonies la liberté d’échanger avec le monde entier, sans privilége avec la métropole; il proclame le principe de non intervention dans les affaires intérieures des autres nations, d’abolir les lois de navigation, de réduire les forces de terre et de mer à ce qui est indispensable à la sécurité du pays, de renoncer à toute idée de prépondérance et de suprématie en Europe. Ces idées peuvent paraître folles et ridicules à ces Anglais qui ne voient dans leur patrie que le pays oligarchique et monopoliste qui a causé tant de maux à l’humanité, qui a imposé partout où il l’a pu sa domination injuste et violente, qui a rédigé l’acte de navigation, qui a établi la loi sur les céréales, qui a déclaré la guerre aux États-Unis et à la Révolution française; mais ces Anglais deviennent de plus en plus rares. D’autres générations s’élèvent, qui comprennent les grands changements survenus dans le monde depuis trente ans, et qui sentent bien que pour l’Angleterre comme pour toute autre nation le temps est passé de revendiquer une prépondérance exclusive sur les autres peuples. L’Europe tend à devenir de plus en plus une sorte de fédération chrétienne, et sous ce point de vue le plan d’organisation européenne imaginé par Henri IV est peut-être plus près de se réaliser qu’on ne se l’imagine communément. C’est du moins la croyance de Cobden et de ses amis, et ceux qui les raillent de leurs sentiments à ce sujet, et de la franchise avec laquelle ils les expriment au sein du Parlement, dans les meetings, dans les livres, dans les journaux, ne tarderont peut-être pas à les partager, car malgré les apparences contraires, les idées de modération, de balance, d’équilibre, dominent et dirigent bien plus le monde que les instincts de conquête, de guerre et d’ambition.

Les célébrités du jour : 1860-61

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