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VIII

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A Londres, les meetings de la ligue se tenaient dans les salles de Drury-Lane et de Covent-Garden, toujours trop étroites pour contenir la foule, Jamais le chiffre des spectateurs ne s’est élevé à moins de six mille; on se disputait une carte d’entrée comme s’il eût été question d’une des plus brillantes représentations du théâtre de la Reine. Quand on relit dans les journaux du temps les récits de ces meetings on est vraiment forcé d’admirer l’enthousiasme de cette nation anglaise qu’on nous donne souvent comme un modèle de froideur. Il faut entendre les cris, les hurrahs, les battements de mains toutes les fois qu’un des orateurs favoris du public, Cobden surtout, prend la parole. De tous les orateurs de la ligue Cobden est sans contredit celui qui montre le plus de talent, de verve, d’imprévu à varier un thème qui ne change jamais. Les orateurs du Parlement peuvent puiser l’inspiration dans vingt sujets; les orateurs de la ligue n’en ont jamais qu’un seul: le monopole. Voici comment Cobden le dépeignait un jour: «Le monopole! oh! c’est un personnage mystérieux qui s’asseoit avec votre famille autour de la table à thé, et quand vous mettez un morceau de sucre dans votre tasse, il en prend vivement un autre dans le sucrier, puis, lorsque votre femme et vos enfants réclament un morceau de sucre, le mystérieux filou, le monopole leur dit: je le prends pour votre protection. » On retrouverait dans ses discours vingt exemples de cette façon vive et piquante d’attaquer un abus et de le mettre à nu. La raillerie n’est point son unique ton, et on le voit souvent s’élever à l’éloquence véritable. Les conservateurs, pour remédier aux dangers de la crise, avaient proposé de fournir aux ouvriers le moyen d’émigrer. Cobden s’élève contre ce bill avec une émotion et une chaleur qui vous gagnent même aujourd’hui: «Les bœufs et les chevaux, dit-il, maintiennent leur prix sur le marché ; mais quant à l’homme, cet animal surnuméraire, la seule préoccupation de la législation paraît être de savoir comment on s’en débarrassera même à perte:...»

«Je demandais à un gentleman, partisan du bill, si, par hasard, il avait dessein d’émigrer?

— Oh! non, répondit-il.

— Qui donc voulez-vous renvoyer? lui demandai-je.

— Les pauvres, ceux qui ne trouvent pas d’emplois ici.

— Mais ne vous semble-t-il pas que ces pauvres devraient avoir au moins une voix dans la question? Ont-ils jamais pétitionné le Parlement pour qu’on les fît transporter? A ma connaissance, depuis cinq ans, cinq millions d’ouvriers ont présenté des pétitions pour qu’on laissât les aliments venir vers eux, mais je me rappelle pas qu’ils aient demandé une seule fois à être envoyés vers les aliments.»

Les souffrances et les misères du peuple trouvent toujours en lui un défenseur dont l’éloquence émue et pathétique n’emprunte rien aux artifices de la rhétorique. Le talent de Cobden est tout dans le naturel et la simplicité, soit qu’il parle, soit qu’il écrive, il trouve toujours l’idée juste, le mot propre et le ton convenable. Celui qui ne l’entend qu’une fois, n’admire peut-être que sa clarté et son bon sens, mais si on le suit dans sa carrière d’agitateur, si l’on songe à la quantité d’écrits sortis de sa plume, et de discours prononcés par lui, on est émerveillé de l’inépuisable fécondité de son esprit et de son imagination, du nombre, de la force, de la variété des arguments qu’il emploie, sans qu’au bout de sept ans d’une fertilité de ce genre, il paraisse plus épuisé que le jour où la ligue tint son premier meeting à Manchester.

Les Revues et les journaux protectionnistes ont longtemps soutenu que Cobden ne réussirait pas à la Chambre des Communes. L’expérience a fait justice de cette assertion, par laquelle le parti vaincu cherchait à se venger de sa défaite.

En enlevant le privilége foncier à l’aristocratie par la suppression des corn laws, et en signant le dernier traité de commerce entre l’Angleterre et la France, Cobden a attaché son nom aux deux actes les plus importants de ce temps-ci; sa modestie n’en est point ébranlée. Nous avons entendu comparer souvent sa simplicité à celle de Franklin, simplicité de caractère qui n’exclut pas l’ardeur et l’énergie du tempérament. Peu de gens ont donné des preuves aussi nombreuses que lui de fermeté, de persévérance, de travail continu et passionné. Sa santé s’en est ressentie et s’en ressent encore. Si vous rencontrez dans les environs du ministère des affaires étrangères un homme à la physionomie calme, aux traits fatigués et pâlis, au regard doux et intelligente, à la bouche sérieuse et bienveillante, inclinez-vous devant cet homme; il s’appelle Richard Cobden, il a accompli une révolution, il a changé la face d’un grand pays, et quand on lui a offert le ministère, il a répondu: «Vous vous trompez, je ne suis pas un homme d’État, mais un simple imprimeur sur coton!»

T. D.


Les célébrités du jour : 1860-61

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