Читать книгу Traité des cours d'eau navigables ou flottables - Benoît Ratier - Страница 20
CHAPITRE X.
ОглавлениеDES EAUX D’UNE SOURCE QUI SE PERDENT DANS TOUT AUTRE COURS D’EAU, EN AMONT DU BARRAGE.
169. — M. Daviel cite deux arrêts de cours royales desquels il résulte qu’un barrage fait sur un ruisseau ou une rivière n’est point suffisant pour acquérir droit sur les eaux d’une source qui, se perdant en amont du barrage, viennent grossir le volume du cours d’eau principal, volume nécessaire pour faire mouvoir les usines qui s’y trouvent établies.
Avant qu’il fut généralement reconnu que, pour prescrire contre le propriétaire de la source, l’art. 642 du Code civil exigeait que les ouvrages apparents fussent placés sur le fonds où elle avait pris naissance, ou appuyés contre, on pouvait soutenir l’opinion contraire. On a déjà vu que les auteurs étaient divisés, et que la cour de cassation elle-même a embrassé, tantôt un système, tantôt un autre; mais, depuis que la loi a été sainement interprétée, sainement appliquée, il ne serait pas raisonnable d’insister.
Il est une règle générale qui ne comporte aucune exception, que, pour dépouiller quelqu’un, en vertu de la loi, d’une propriété quelconque dont il est en possession, ou l’affecter d’un droit réel de servitude, il faut au moins une attaque directe, une interpellation. Ce n’est qu’alors, s’il n’advient titre formel contradictoire, que l’on peut dire que ce titre est remplacé par le consentement tacite de la part du possesseur, tenu pendant le temps requis pour prescrire contre lui.
M. Pardessus, dans son Traité des Servitudes, jusqu’à la 8me édition, que je suppose être la dernière, a constamment émis l’opinion qu’il suffisait d’ouvrages apparents sur le fonds inférieur pour acquérir, par la prescription, droit aux eaux de la source. Une telle persistance de la part d’un auteur grave, comme l’est M. Pardessus, serait capable de faire une forte impression, si l’on ne considérait que cette dernière édition a été publiée en 1838, et que depuis cette époque la question a été mise au creuset de la doctrine et de la jurisprudence, et qu’il a été reconnu presque unanimement que la prescription ne pouvait être invoquée que tout autant que les ouvrages apparents seraient placés sur le fonds supérieur. On doit donc douter que M. Pardessus ne soit pas disposé à se rétracter si l’occasion s’en présente.
A l’exemple de M. Favard de Langlade, il a appuyé son opinion sur les documents qui préparèrent la loi; mais, comme le dit M. Daviel, la doctrine s’assied à côté de la loi, et le juge réforme parfois le législateur .
170. — Ordinairement les affluents qui alimentent les cours d’eau du domaine sont les ruisseaux et les rivières non navigables et non flottables. Il est très-rare que les eaux d’une source s’y jettent sans intermédiaire et par l’impulsion de leur propre force. Ce ne serait du reste que dans ce cas que les eaux de la source seraient considérées comme affluent des cours d’eau du domaine.
Néanmoins, il ne faudrait pas confondre les règles des uns avec les règles des autres. Les riverains des affluents, ruisseaux ou rivières, ont la faculté de se servir des eaux qui les composent, à la charge par eux de les rendre à leurs cours ordinaires (art. 644 du Code civil).
171. — Il n’en est pas ainsi des eaux courantes d’une source, quoique affluent d’un cours d’eau du domaine: le droit du propriétaire est sous la sauvegarde des dispositions précises des art. 641 et 642 du Code civil, et quoi qu’il en soit de leur volume fort ou faible, ce n’est que dans ces dispositions législatives que l’on doit puiser les motifs de décider.
Les riverains inférieurs sont tenus de les recevoir, comme charge naturelle de leurs fonds; et, malgré qu’ils les fassent fructifier dans leur intérêt personnel, soit pour l’irrigation de leurs champs, soit pour le mouvement de la force motrice d’une usine quelconque, il n’est pas moins loisible au propriétaire de la source de les priver d’un pareil avantage par un des moyens indiqués au n° 148.
172. — Je ne suis pas surpris que ce système paraisse exhorbitant aux yeux de plusieurs. Il faut convenir qu’il est sévère: une possession même immémoriale n’est point suffisante pour être maintenu dans la jouissance d’un cours d’eau, y compris les eaux d’une source qui s’y jettent et en augmentent considérablement le volume. Cependant ce cours d’eau, à part les champs qu’il arrose et dont il augmente la fertilité, est le principal agent de plusieurs usines qui tout au moins contribuent au bien-être des habitants des contrées qui les avoisinent.
Mais placez à côté de ces considérations le principe du respect dû à la propriété , fondement de la paix intérieure et du repos des familles, et vous vous apercevrez sans effort que telle devait être la règle.
L’usinier, dont la position de fortune peut être ainsi renversée par la volonté du propriétaire de la source, a à se reprocher d’avoir agi avec trop de légèreté. Avant d’employer des capitaux considérables pour l’établissement de l’usine, il aurait du traiter avec le propriétaire de la source, et s’assurer par là que ses ouvrages lui seraient toujours profitables. L’ignorance en droit ne s’excuse pas, et ce principe d’ordre a même force, quelle que soit la valeur, quelle que soit l’importance de l’objet qui en provoque l’application.
Le 1er arrêt, cité par M. Daviel, a été rendu par la cour de Rouen, le 4 février 1824, dans l’espèce suivante (Dalloz, XXIV, 2, 114):
La source des Soudres, naissant dans le domaine de Montville, se jetait sur la rivière de Cailly, au-dessus d’un endroit où cette rivière se divise en deux bras: le bras de Notre-Dame-des-Champs et le bras de Saint-Maurice. Des usines s’étant établies sur ces deux bras, on avait construit, au point de partage des eaux, de seuils et des bajoyers en pierre qui séparaient en deux parts proportionnelles le produit total de la rivière, dans lequel le produit de la source entrait pour au moins un tiers; et ces travaux reposaient, par un côté, sur la rive appartenant à M. de Montville, de sorte qu’on pouvait dire que ses auteurs avaient consenti à la répartition des eaux, qui était déterminée par les hauteurs et les largeurs des seuils. Cependant, en 1820, M. de Montville, pour utiliser sur son fonds la force motrice de la source des Soudres, imagina d’en détourner les eaux et de leur creuser un nouveau canal qui allait se jeter dans le bras de Saint-Maurice, en aval du point de partage, par où les usiniers du bras de Notre-Dame-des-Champs étaient désormais privés de ce volume alimentaire. Réclamation de la part de ces propriétaires; ils argumentaient du barrage appuyé sur la rive de M. de Montville, comme réunissant les caractères exigés par l’art. 642. Mais on leur répondait par les principes ci-dessus exposés, et ils perdirent leur cause. Il est vrai que l’arrêt ne contient aucun motif précis sur l’existence des seuils de partage; mais il est certain que ce fait et les moyens de droit qui s’y rattachent étaient dans la cause, et si l’arrêt n’est pas entré dans cette discussion, il les a rejetés du moins implicitement.
Le second arrêt est plus explicite:
Le sieur Chauvet est propriétaire d’un fonds sur lequel naissent les sources de Germes, dont les eaux se rendent dans le ruisseau du Furon. Les auteurs du marquis de Béranger, pour faire mouvoir les usines, avaient dérivé au travers de leur fonds les eaux du Furon, à l’aide d’un barrage qui, d’un côté, s’appuyait sur le fonds du sieur Chauvet, mais à 150 m. environ au-dessous du point où les eaux des sources de Germes viennent se jeter dans le Furon.
L’existence de ce barrage, consacré par la prescription, constituait-il un droit sur les sources, aux termes de l’art. 642 du Code civil?
Le tribunal de Grenoble avait décidé l’affirmative, en considérant que ces travaux étaient destinés à faciliter le détournement des eaux au profit du fonds inférieur, et qu’ils étaient appuyés sur le fonds ou naît la source. Mais la cour de Grenoble réforma le jugement par le motif que: «la raison indique et la loi exige,
» en principe, que les faits de possession, pour acquérir la prescription
» d’un droit à un immeuble, doivent être tels qu’ils s’appliquent
» immédiatement à cet immeuble, et qu’ils ne laissent
» aucune incertitude dans l’esprit du propriétaire sur la nature
» et l’étendue du droit qu’ils tendent à faire acquérir; — que
» l’existence du barrage du marquis de Béranger constitue bien
» une possession qui, continuée pendant le temps déterminé par
» la loi, pouvait faire perdre à Chauvet le droit qui lui aurait
» appartenu de se servir des eaux du ruisseau comme riverain;
» mais ce barrage ne pouvait affecter la propriété particulière
» des sources de Germes; — que, pour que Chauvet fût averti
» que ce n’étaient pas seulement les eaux du ruisseau que le marquis
» de Béranger voulait prescrire contre lui, mais aussi le
» droit de l’empêcher de dériver les eaux des sources de Germes,
» il aurait fallu qu’il interpellât ce dernier par des ouvrages qui
» fassent venus appréhender en quelque sorte les eaux des sources
» de Germes dans son fonds, avant qu’elles soient sorties
» du fonds de Chauvet et qu’elles deviennent une propriété
» publique .»
Remarquez la différence qui existe entre le cas où il s’agit seulement des eaux d’une source sans mélange, c’est-à-dire avant qu’elles se jettent dans un cours d’eau quelconque, et celui où elles s’y jettent au contraire en amont du lieu où est établi le barrage appuyé sur le fonds supérieur.
Dans le premier cas, la question est nue. Il n’en est pas de même dans le second: elle se complique par la circonstance du mélange des eaux de la source avec les eaux du ruisseau ou de la rivière qui les reçoit, avec d’autant plus de raison que, dans le langage naturel, attendu l’existence du barrage, il serait hors de thèse de soutenir que le fonds inférieur ne jouit nullement des eaux de la source, lors surtout qu’elles forment une fraction considérable de l’entier volume du cours d’eau.
173. — Malgré cela, ce serait faire violence aux principes de la loi que d’assimiler le barrage, placé dans le lit du ruisseau, aux ouvrages apparents placés sur le fonds supérieur. Le barrage plus ou moins rapproché de la ligne que parcourent isolément les eaux de la source, n’est établi que pour arrêter les eaux du ruisseau; c’est là son unique objet. Les ouvrages, reconnus indispensables pour mettre en demeure le propriétaire de la source, doivent être non-seulement apparents, mais encore placés sur le fonds supérieur, et recevoir sans intermédiaire les eaux de la source pour les transmettre aussi sans intermédiaire sur le fonds inférieur. Telles sont les conditions de la loi, et chercher à les remplir par des équipollents, c’est tomber dans la confusion.
174. — Les barrages sur les ruisseaux, les rivières, ne sont pas des ouvrages indifférents; ils le sont seulement à l’égard des eaux des sources qui s’y jettent. Il en est autrement pour les autres eaux: de tels ouvrages sont propres à agrandir le droit primitif du riverain qui les établit. Il peut surtout acquérir par ce moyen droit d’appui sur la berge parallèle à son fonds.