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CHAPITRE IV.
ОглавлениеDU CHEMIN DE HALAGE ET DU MARCHEPIED, QUANT A LA QUESTION DE SAVOIR S’ILS PEUVENT ÊTRE CONSACRÉS AUSSI A L’USAGE PUBLIC.
47. — Il ne faut pas croire que la servitude du halage et du marchepied soit établie en faveur de tout venant. Son objet ne se généralise pas; il se renferme dans les besoins de la marine marchande montante et descendante, du flottage en train, et de la pêche.
Toute servitude est de droit étroit. On ne peut l’étendre au-delà du titre qui la constitue. Cette règle d’harmonie et d’équité est posée dans l’art. 702 du Code civil.
48. — Ainsi, tout citoyen, étranger aux opérations signalées, doit se garder de se faire à l’habitude de passer dans le chemin du halage et du marchepied, tout comme il en a le droit à l’égard des chemins vicinaux. Si le riverain ne se plaint pas, ce n’est point une raison d’en continuer ainsi l’usage. Ce n’est de sa part qu’une tolérance qui n’établit aucun droit. Sa volonté est telle aujourd’hui, elle peut être contraire demain, et donner lieu à une action en justice, dont l’issue tournerait contre l’auteur du fait qui l’aurait provoquée.
49. — Je ne vois aucun doute lorsqu’il s’agit du passage avec charrette, cheval ou toute autre bête de somme.
L’administration publique a intérêt de s’opposer au passage avec charrette ou cheval dans le chemin de halage par deux motifs dominants.
50. — Le premier se rattache à la liberté de la navigation. Cette liberté n’existerait pas dans des bornes raisonnables, si l’on faisait des chemins de halage une voie publique. Il y aurait souvent des entraves dans le tirage des bateaux et quelquefois de graves accidents, la largeur de ces chemins n’étant pas suffisante pour deux services.
Il faut encore observer que la destination spéciale des chemins de halage, donne droit au navigateur sur toute la largeur des 7 m. 80 c., et que nul ne peut le forcer à se tenir de côté dans le tirage pour laisser place dans la rencontre à tout autre service.
Cette largeur n’est pas excessive, si l’on remarque que les précautions de prudence exigent que les chevaux ou les hommes du tirage soient toujours placés à l’extrémité extérieure des 7 m. 80c.; au moyen de quoi la manœuvre se fait avec plus de précision et avec moins de danger en cas de recul.
51. — Le second motif s’évince des frais d’entretien: deux services usant concurremment du chemin de halage ces frais feraient plus que doubler; d’autant que le service public, se servant de toute espèce de moyen de transport, dégrade considérablement la voie dont il se sert; et il serait par trop extraordinaire que l’administration des ponts-et-chaussées fût tenue d’un surcroît de dépense occasionné par un service auquel elle est totalement étrangère.
52. — A ces deux motifs, qui me paraissent décisifs, faut-il joindre l’intérêt du propriétaire riverain?
A son égard, il y aurait une étonnante aggravation de la servitude. Elle n’aurait plus de destination spéciale; d’où il suit que son droit de propriété serait méconnu, et voué en quelque sorte au mépris du premier occupant.
On dira peut-être qu’il est sans intérêt de s’opposer à l’usage public du chemin de halage, dont l’entretien n’est nullement à sa charge; qu’il lui suffit de veiller à ce que son champ ne soit pas foulé au-delà des 7 m. 80 c., ayant droit à des dommages contre celui qui dépasserait cette limite.
53. — Pour admettre ce raisonnement, il faudrait perdre de vue deux choses essentielles.
La loi civile, d’accord avec la vraie morale, ordonne aux hommes de se respecter réciproquement dans leurs personnes et leurs propriétés: maxime de sagesse dont la violation laisse le désordre se propager et expose la société à des crises funestes.
D’un autre côté, on ne doit pas oublier que le chemin de halage peut être réduit à un simple marchepied, la nécessité ou le plus grand avantage de la navigation pouvant exiger son établissement sur l’autre rive.
Le fleuve ou la rivière peut perdre sa navigabilité dans la totalité ou dans une partie de son cours, par des événements qu’on ne peut prévoir.
Les bateaux à vapeur pourraient faire sur plusieurs points le service de la navigation intérieure, à l’exemple de ce qui se pratique assez généralement en Angleterre et aux Etats-Unis d’Amérique.
Dans ces différents cas, il faudrait rendre à l’agriculture les chemins de halage devenus inutiles, sauf à laisser un simple marchepied; mais si leur usage était depuis longues années de destination publique, malgré qu’aucun titre écrit ne constatât la légitimité de cette destination, il y aurait les plus grandes difficultés pour faire prévaloir les justes prétentions des riverains.
Ce que je viens de dire, relativement au chemin de halage, s’applique et avec bien plus de raison, au simple marchepied dont la consécration, même pour la marine, n’est relative qu’à des facultés secondaires.
54. — Quant au passage à pied sur les deux voies, n’importe les considérations importantes que l’on pourrait faire valoir en faveur d’une pareille faculté, on est forcé de convenir que la rigueur des principes s’y oppose, tout aussi bien que la jurisprudence.
La cour royale de Toulouse, par son arrêt du 19 janvier 1825 , dans la cause du sieur Grossous contre le sieur Bonnafous, a posé des considérants qu’il suffit de transcrire en partie.
«Attendu que, si l’ordonnance de 1669 qualifie de chemin
» royal l’espace qui doit être laissé au bord des rivières navigables,
» elle n’enlève pas aux riverains la propriété decet espace. Ce qui
» le démontre, ce sont les termes de cette même ordonnance portant,
» etc.
» Qu’ainsi, dans l’ancien droit, les chemins de halage n’enlevaient
» pas à la propriété, et n’établissaient qu’une servitude au
» profit de la navigation, changeant ou cessant avec elle, gouvernée,
» quant aux particuliers, par les règles ordinaires applicables
» aux servitudes.
» Attendu qu’aux termes du Code civil qui régit l’espèce, les
» marchepieds le long des rivières navigables ou flottables sont
» expressément qualifiés de servitude (art. 650); que la loi et la
» raison défendent d’user des servitudes autrement et pour chose
» différente que ce pourquoi elles ont été établies; qu’incontestablement
» ce n’est qu’en faveur de la navigation et exclusivement
» pour elle, etc.»
L’espèce jugée par cet arrêt était relative à un chemin de service pour l’exploitation d’une vigne appartenant au sieur Grossous, aboutissant à un chemin de halage et enclavée des autres parts.
Le sieur Bonnafous, qui fournissait sur ses terres un sentier pour y aboutir, se permit de le barrer, prétendant qu’attendu que la vigne n’étant pas enclavée, puisqu’elle aboutissait au chemin de halage qu’il appelait chemin public, le sieur Grossous n’avait aucun droit de se servir du sentier. Les prétentions du sieur Bonnafous furent rejetées par les motifs ci-dessus transcrits.
Autre arrêt dans le même sens rendu par la cour de cassation, le 24 janvier 1827 .
Elle a décidé qu’un chemin de halage n’étant qu’une servitude imposée par la loi, la propriété privée conserve sa nature et ses prérogatives, hors les cas du service de la navigation.
J’avais un vif désir de trouver quelque moyen de faire fléchir la loi en faveur du simple passage à pied sur les chemins de halage. Je n’ai pu y parvenir. Les principes et la jurisprudence étaient toujours là pour m’entraver.
Mon désir avait pour fondement l’utilité de tous sans nul préjudice pour les propriétaires riverains, un plus grand nombre de piétons circulant sur un chemin de halage ne pouvant être considéré comme aggravant la servitude; avec d’autant plus de raison que, si jamais le chemin de halage était abandonné par la marine, un tel usage, de quelque durée qu’il eût été, ne pourrait fournir, aux communes ou sections de commune de la contrée, le droit d’y être maintenus, à la différence du cas où il s’agirait d’un service par charrette, cheval ou toute autre bête de somme.
Je dois donc me borner, par raison de convenance, à engager les propriétaires riverains à ne jamais s’opposer au passage des piétons dans le chemin de halage, ce fait ne pouvant à présent ni à l’avenir leur porter le moindre préjudice.
Il n’en est pas ainsi du marchepied. Cette voie secondaire n’est presque nullement pratiquée dans sa longueur par la marine, et les riverains disposent leurs champs et leurs manoirs à peu de chose près tout comme si elle n’existait pas.
Elle n’existe pas moins; mais il n’est pas toujours aisé d’en reconnaître l’assiette. L’administration des ponts-et-chaussées, jetant avec raison tous ses soins sur les chemins de halage proprement dits, la voie secondaire se revêt de gazon, et se perdant ainsi dans l’ensemble des fonds contigus, le riverain en retire un revenu, soit par les dépaissances, soit autrement.
A ce premier motif d’intérêt, le propriétaire riverain doit joindre celui d’éloigner les maraudeurs, d’autant que les marchepieds sont pour eux un lieu de bonne fortune, à la différence des chemins de halage qui sont généralement à découvert et fréquentés habituellement: circonstances qui leur inspirent une crainte salutaire.
Ces deux motifs d’un intérêt permanent sont plus que suffisants pour légitimer aux yeux de tous les poursuites du propriétaire riverain contre ceux qui useront du marchepied comme ils le feraient d’un chemin purement vicinal. Ici on ne doit pas compter sur la tolérance du propriétaire riverain. Il ne doit tolérer que lorsque ses propres intérêts n’en souffrent pas.