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CHAPITRE PREMIER.
ОглавлениеDE LA LIMITE DU LIT DES FLEUVES ET DES RIVIÈRES.
1. — Il n’est pas étonnant que la limite du lit des fleuves et des rivières occasionne parfois des différends entre le domaine public et les riverains.
Les grandes crues, sur un certain nombre de fleuves et de rivières, enlèvent souvent les berges, tantôt sur une rive, tantôt sur l’autre.
Leur action est plus sensible lorsque les rives sont planes, et les berges d’une faible élévation. Les fouilles sont faciles, comparativement à cette force imposante résultant d’une masse d’eau, se renouvelant sans cesse et poussée sans relâche par un courant irrésistible.
C’est ainsi qu’il arrive quelquefois que le fleuve ou la rivière agrandit son lit sur une rive, en abandonnant sur l’autre une partie plus ou moins forte de l’ancien lit; d’autres fois, des propriétés considérables sont envahies par les eaux et coupées d’amont en aval et en plusieurs fractions par de larges voies d’eau ou canaux: d’où il résulte ordinairement, et par un certain laps de temps, des alluvions, même des atterrissements, qu’il ne faut pas confondre avec ces langues de terre qui, quoique détachées de la rive, ont résisté à l’action des eaux, présentant encore une surface unie dominant les crues ordinaires.
2. — Par le droit romain, les bords des fleuves et des rivières appartenaient aux propriétaires des terres contiguës, ainsi que les arbres qui y prenaient naissance. (Institutes de Justinien, liv. II, titre 1, § 4.)
Ferrière, à la suite de la traduction de ce paragraphe, ajoute qu’à l’égard de la propriété des rivages, on ne suit pas en France la disposition du droit romain; «car, dit-il, non-seulement la propriété des fleuves et des grandes rivières appartient au roi, mais aussi la propriété de leurs rivages qui en sont l’accessoire.»
Cette assertion, à la prendre à la lettre, n’est pas du tout exacte.
Les mots bords et rivage doivent être pris dans une seule et même acception, lorsqu’ils se rapportent à fleuve ou rivière: ainsi, s’il s’agit d’une partie du rivage qui doive être considérée comme une fraction du lit, l’assertion est vraie en la restreignant; elle est entièrement fausse dans le cas contraire. Il était donc utile que l’auteur entrât dans quelque explication pour faire disparaître l’équivoque, et par là se faire comprendre.
Il y a plus: en admettant que tout le terrain, couvert par les grosses eaux sans débordement, dût être considéré comme dépendance du lit du fleuve ou de la rivière, il est encore plus difficile de comprendre l’auteur.
Serres, dans ses Institutes, dit: «que, par le droit romain, l’usage des rivières était public, mais que la propriété en appartenait aux riverains; qu’il en est, à peu de chose près, de même en France, à moins qu’on ne veuille dire avec Boissieu ( Traité des Fiefs, chap. 60, in fine), que les bords ou rivages des rivières navigables appartiennent au roi, comme une suite naturelle de la propriété du fleuve qui lui appartient également.»
3. — L’opinion de ce dernier auteur est plus facile à saisir: on le comprend lorsqu’il dit plus bas, que les bords ou rivages d’une rivière navigable, étant d’une trop grande conséquence, le roi, par l’art. 7 du titre 28 de l’ordonnance des eaux et forêts de 1669, a ordonné, aux propriétaires des héritages aboutissant à icelles, de laisser le long des bords 24 pieds (7m. 80c.) au moins de place en largeur, pour chemin royal et trait de chevaux.
C’est tout comme s’il avait dit, que le roi a abandonné toutes prétentions sur la propriété des rivages, sous la condition de la servitude légale du marchepied ou chemin de halage. En effet, il ne pouvait y avoir rien de fixe avant l’ordonnance de 1669. L’intérêt de la navigation dominait alors, comme il doit dominer encore, et l’usage constant des rivages pour le marchepied ou chemin de halage devait en déterminer la condition domaniale en totalité ou en partie, ou tout au moins en rendre la propriété incertaine dans les mains des riverains .
4. — Mais, depuis cette ordonnance, il doit paraître évident que les riverains ont été reconnus propriétaires des rivages jusqu’au lit des fleuves ou rivières. L’ordonnance attestait ce droit avant le Code civil qui, par son article 650, l’a confirmé en plaçant de même, au nombre des servitudes légales, le marchepied le long des rivières navigables ou flottables; car on ne conçoit pas une servitude quelle qu’elle soit en faveur du propriétaire du fonds qui en serait grevé. La servitude disparaît, s’anéantit, sans laisser aucune trace, devant son droit d’user et d’abuser.
Or, celui qui prétend avoir droit de servitude sur un fonds, s’interdit par cela même toute prétention à la propriété.
Ce point ainsi établi, il sera plus facile de s’entendre pour la limite du lit des fleuves et des rivières navigables ou flottables.
5. — Tout cours d’eau navigable ou flottable en train, ainsi que le lit qui le renferme, sont nécessairement du domaine public, comme consacrés à perpétuité à l’usage de tous. De là, ils sont imprescriptibles et inaliénables.
Mais si le cours d’eau change de lit, celui qu’il abandonne rentre dans la condition de propriété privée et devient aliénable et prescriptible (art. 541 du Code civil).
6. — Tous les cours d’eau sans exception sont susceptibles d’accroissement et de décroissement. Leur volume est variable comme les moyens qui le produisent.
Il y a, malgré cela, des règles généralement fixes: chacun sait dans sa localité que, dans la saison des pluies et de la fonte des neiges, les eaux peuvent monter à tel point, et que, dans la saison de la sécheresse, elles descendent jusqu’à tel autre point.
On ne compte pas ces grandes crues qu’on ne voit que très-rarement et par de longues périodes de temps. Elles constituent des torrents, et ne peuvent être considérées que comme une des exceptions à la règle générale, et conséquemment de nulle valeur pour l’établir.
7. — Il faut s’attacher aux crues ordinaires qui sont celles qui, sur tous les fleuves et rivières, couvrent les rivages à une étendue plus ou moins forte, selon que les berges sont plus ou moins élevées, et selon la configuration plane ou en pente tirant vers le fleuve des rivages et terres contiguës.
L’on doit observer que les berges des fleuves et des rivières ne sont décrites en aucune part par des lignes horizontales régulières. Elles fléchissent çà et là de distance en distance, et souvent par des abaissements très-sensibles.
Cela provient, ou de la configuration primitive, ou du mouvement insensible des terres pour rencontrer une assiette fixe, ou d’ouvrages de main d’homme, et des fouilles pratiquées par les grandes crues, en y comprenant les éboulements qui en sont une suite inévitable.
8. — Cela posé, quelle sera la limite du lit des cours d’eau? Faudra-t-il la placer sur la ligne extérieure baignée par les eaux moyennes?
Ou bien, faudra-t-il adopter la ligne extérieure des hautes eaux?
Faudra-il, dans ce dernier cas, prendre en considération l’irrégularité de la ligne horizontale des berges?
9. — On ne sait découvrir de motifs convenables pour se déterminer en faveur de la limite tracée par les eaux moyennes.
Despeysses, sect. 9, tit. 5, des Droits seigneuriaux, pas plus que Ferrière et Serres, ne fournit aucun moyen décisif ni pour ni contre. Après avoir cité le droit romain, il dit: «Néanmoins, aujourd’hui, en France, tous les fleuves navigables et leurs rivages appartiennent au roi, bien qu’ils prennent leurs cours par les terres des seigneurs, particuliers, justiciers, parce que, par la coutume générale de France, les choses communes à tous par le droit naturel appartiennent au roi, comme la mer, le rivage d’icelle, les fleuves, les rives, les ports, les chemins publics, et généralement tout ce qui est délaissé et destiné à l’usage public.»
Domat ne fournit non plus rien qui tranche la difficulté. Voici ce qu’on trouve dans le § 9, sect. 2, tit. 8, liv. 1 de son Droit public: «Cette même utilité de la navigation des rivières demande l’usage libre de leurs bords; de sorte que, dans la largeur et l’étendue nécessaire pour les passagers, et le trait des chevaux tirant les bateaux, il n’y ait ni arbres plantés, ni autres obstacles.»
10. — M. Daviel, tom. I, p. 46, 3me édition, invoque l’opinion de Lefèvre de la Planche, Traité des Domaines, liv. I, chap. 3, de laquelle il résulte que le terrain que les eaux couvrent, sans débordement extraordinaire, est regardé, sans nul doute, comme faisant partie du lit de la rivière, et étant comme tel au rang des choses publiques.
J’ai fait d’autres recherches, et comme elles ne m’ont conduit à rien de satisfaisant, j’ai dû me dispenser d’en faire part à mes lecteurs.
La doctrine des auteurs, sans y comprendre Lefèvre de la Planche, est donc entièrement vague, et je resterais seulement en présence de mes faibles ressources, si, pour m’éclairer, je n’avais à consulter l’autorité de la jurisprudence.
11. — La cour de Rouen a décidé, dans un arrêt du 16 décembre 1842, rapporté par Sirey, tom. XLII, 2, p. 411, que la limite du lit d’un fleuve devait être déterminée par la hauteur qu’atteignent ses eaux moyennes, et cela d’après les règles de la matière.
La cour n’a plus rien dit à cet égard, laissant ainsi à deviner les vrais motifs qui l’ont déterminée.
12. — Je ne pense pas que cette décision ait le plus grand nombre de partisans. En l’adoptant, il se présente une foule d’obstacles dans la pratique.
13. — L’ordonnance de 1669 prescrit aux riverains de laisser, le long des bords, un marchepied ou chemin de halage de 24 pieds (7 m. 80 c.) en largeur, et leur défend de planter arbres, ni tenir clôture ou haie plus près de 30 pieds (9 m. 74 c.) du côté que les bateaux se tirent, et 10 pieds (3 m. 25 c.) de l’autre bord.
14. — Le chemin de halage est appelé, par l’ordonnance, chemin royal, et il ne serait rien moins que cela si l’on adopte la ligne des eaux moyennes pour fixer la limite du lit des fleuves et des rivières. Le riverain, pouvant planter arbres, tenir clôture ou haie, sauf à laisser 9 m. 74 c. de distance à partir de cette limite, le halage ne serait nullement libre; il serait souvent impraticable. Il aurait pour obstacle invincible, non-seulement les crues ordinaires, mais encore les plantations, clôtures et haies permises par l’ordonnance.
Je dis invincible. C’est évident, lorsque le chemin est submergé. Le terme ne trouve pas moins son application, lorsque l’obstacle vient seulement des plantations, clôtures ou haies; car personne n’a le droit de les détruire pour se frayer un nouveau chemin.
Le domaine public est lié tout aussi bien que le riverain par les règles posées par la loi. L’un n’a pas plus de droit que l’autre de les enfreindre .
15. — Or, s’il était décidé que la limite du lit des fleuves et des rivières est celle tracée par les eaux moyennes, il faudrait encore ajouter aux entraves déjà signalées, que la ligne des eaux moyennes étant généralement éloignée de celle des hautes eaux par une forte distance, le halage serait interrompu, non pas seulement lorsque les eaux seraient parvenues à leur plus haut point sans débordement (le chemin serait alors plus que submergé), mais encore avant d’y arriver; car la manœuvre du halage ne peut être exacte et facile que lorsque le cordage du trait décrit une diagonale, les chevaux ou les hommes qui s’en trouvent chargés tenant dans ce cas une position qui, dans le danger, donne plus de facilité d’éviter les accidents. Il n’en serait pas de même si, par le rapprochement du chemin de halage, la hauteur des eaux forçait le trait presqu’en ligne droite parallèle à la rivière. Il serait alors, sinon impossible, du moins très-dangereux.
16. — On pourrait m’objecter que je ne suis pas exact, en signalant les entraves dans le fait du halage qui est naturellement interrompu par les hautes eaux; d’où il suit qu’il importe peu que le chemin soit plus ou moins rapproché du cours d’eau.
Cet argument n’est nullement péremptoire. Entre le fort et le faible, il y a une mesure de gradation. Or, la navigation n’est interrompue que lorsque le volume d’eau a acquis une certaine puissance, et c’est à peine si cette puissance existe lorsque les caux sont au-delà des 7 m. 80 c. de la limite des eaux moyennes, d’autant que les 7 m. 80 c. ne se calculent pas sur une ligne verticale. Dans les rivages en pente tirant vers le fleuve ou la rivière, il suffit souvent d’un mètre de gonflement pour y arriver.
17. — Qu’on réfléchisse quelques instants sur l’embarras du navigateur par l’existence du chemin de halage à 7 m. 80 c. de la limite des eaux moyennes, comparativement à l’embarras qui peut résulter du chemin placé à 7 m. 80 c. de la limite des hautes eaux. On trouvera une énorme différence. Dans ce dernier cas, ce n’est que naturellement que le halage devient impossible ou presque impossible; tandis que, dans l’autre, il ne serait tel que par l’imprévoyance du législateur.
18. — On ne doit donc pas hésiter à reconnaître que l’esprit de l’ordonnance de 1669 s’oppose à la limite des eaux moyennes.
Tout autre système ferait considérer la navigation sur les fleuves et rivières comme objet d’un mince intérêt, tandis qu’il est incontestable qu’elle est au nombre de ceux sur lesquels repose la prospérité générale; ainsi, au lieu de rétrécir les moyens, on doit plutôt leur donner de l’extension.
19. — La cour de Lyon ne s’y est pas trompée. Par son arrêt du 25 février 1843, rapporté par Sirey, tom. XLIII, 2, p. 315, elle a décidé que la limite du lit d’un fleuve ou d’une rivière navigable ou flottable était déterminée par les hautes eaux dans l’état normal du fleuve ou de la rivière, et au-dessus duquel les eaux commencent à déborder.
A la différence de l’arrêt de la cour de Rouen, la cour de Lyon a posé dans celui qu’elle a rendu des considérants remarquables que je transcris littéralement.
«Attendu que tout cours d’eau a une mesure normale de croissance
» ou de décroissance qui règle naturellement l’étendue du
» lit qui le renferme et le contient; qu’ainsi son lit ne comprend
» pas seulement le sol couvert par les eaux d’une manière permanente,
» ce qui en restreindrait les limites aux lignes baignées
» parles plus basses eaux; qu’il embrasse comme une dépendance
» nécessaire les parties du sol alternativement couvertes et découvertes
» suivant la crue ou l’abaissement des eaux, sauf, toutefois,
» les cas de débordement; que ces parties du sol, ainsi
» soumises à l’habitude du retour des eaux, sont en général
» frappées d’une stérilité absolue, caractère essentiel de leur sujétion;
» que leurs limites se manifestent au contraire presque
» toujours par un revêtissement de végétation auquel on reconnaît
» que là finit la domination habituelle et normale du fleuve;
» qu’en un mot, le lit d’un fleuve ou d’une rivière comprend
» toute la partie du sol sur lequel se répand son cours, lorsque
» le fleuve ou la rivière coule à pleins bords, c’est-à-dire lorsque
» les eaux s’élèvent au point au-dessus duquel elles ne peuvent
» monter sans commencer à déborder; attendu que c’est cette
» ligne extrême qui marque l’élévation normale des eaux, et
» qu’elle doit être considérée, par conséquent, comme la ligne
» séparative du domaine public et des propriétés riveraines; attendu
» qu’en cas de contestation entre l’état et les propriétaires
» riverains sur les limites du domaine public et du domaine
» privé, on doit prendre pour règle cette ligne des plus hautes
» eaux sans débordement, puisque c’est jusqu’à cette ligne extrême
» que le fleuve porte la rigoureuse action de son empire;
» qu’on ne saurait adopter en effet la ligne marquée par la hauteur
» moyenne des eaux, car ce serait substituer une ligne de
» démarcation toute fictive, et, dès-lors, arbitraire, à celle que
» la nature elle-même a tracée; attendu que la règle des plus
» hautes eaux sans débordement est d’une application facile sur
» les terrains d’une configuration plane, au travers desquels un
» fleuve a marqué son cours régulier et ses rives; qu’elle présente
» seulement quelques difficultés dans son application, soit aux
» lieux où l’élévation naturelle des berges domine et contient le
» cours du fleuve soit aux lieux où des changements opérés
» par des travaux d’art motivent, de la part des propriétaires riverains,
» une action en indemnité contre l’état, auteur de ces
» travaux, et où il s’agit de rechercher la ligne antérieure de separation
» entre les propriétés privées et la propriété domaniale;
» attendu que, dans ces deux hypothèses, on ne saurait étendre
» la limite du domaine public à la ligne où arrivent en de pareils
» lieux les plus hautes eaux possibles; car ce serait admettre,
» contrairement aux lois même de la nature, qu’il y a deux principes
» opposés qui règlent les limites des dépendances du fleuve,
» que ce qui sera considéré comme crue accidentelle extraordinaire
» sur un point devra être réputé une crue ordinaire et
» régulière sur un autre point, non pas suivant les habitudes
» d’un fleuve, mais suivant la configuration variée de ses rives;
» qu’il faut donc, en de tels lieux, marquer seulement l’élévation
» normale des plus hautes eaux par la ligne extrême qu’elles
» atteignent lorsque ses rives, bornant un terrain à surface
» plane, soit en amont, soit en aval, le fleuve coule à pleins bords,
» et ne peut croître encore sans commencer à déborder; que, si
» c’est là le type régulateur des plus grandes crues normales,
» on ne peut comprendre dans les dépendances du fleuve que les
» parties du sol, qui sont, dans cette mesure, soumises à l’action
» rigoureuse des eaux sujettes à l’habitude de leur retour vers la
» ligne où commence la végétation.»
M. Daviel dit: «Nous n’hésitons pas à adopter la doctrine de la cour de Lyon. La restriction de la limite du fleuve aux eaux moyennes ne me paraît pas rationnelle; car c’est, pendant plusieurs mois de l’année, substituer une démarcation, purement idéale et démentie par le fait, à celle que la nature elle-même trace sur le terrain.»
Il cite M. Pardessus, des Servitudes, n° 35, où l’on trouve: «On peut donner pour règle générale que le lit des fleuves et des rivières est composé de l’espace occupé par les eaux dans leur plus grande hauteur commune.»
20. — D’après ces documents, il serait difficile de justifier la décision de la cour de Rouen. Celle de la cour de Lyon doit être généralement admise. Celle-ci s’évince d’ailleurs des faits matériels eux-mêmes amplement signalés dans l’arrêt. 21. — Je dois observer que, d’après ces règles, un fleuve ou une rivière est censé couler à pleins bords, malgré que, sur certains points, les eaux n’atteignent pas la hauteur des berges, tandis que, sur d’autres points, il y a déjà commencement de débordements partiels.
On sait que tout cours d’eau, avant de se perdre dans la mer, rencontre des berges d’une élévation suffisante pour le contenir, même dans les plus grandes crues, et qu’il en est autrement sur beaucoup d’autres points. Malgré cela, il serait contraire aux vrais principes d’admettre deux modes pour la limite de son lit. Il ne doit y avoir qu’une seule et unique règle, de telle sorte qu’ici, une partie de la berge fera dépendance de la propriété riveraine, par la raison que là-bas, à une distance plus ou moins éloignée, il y a commencement de débordement, et que c’est ce fait qui limite le lit du fleuve ou de la rivière.
22. — En parcourant les lieux, il est facile de se convaincre que tout autre mode blesserait les règles d’équité. La nature pose les limites du lit. Elle les pose par l’habitude du décroissement des eaux pour rentrer dans leur état normal, et par le revêtissement de végétation qui frappe dans certains lieux la vue de l’agriculteur, après leur retour.
C’est donc la ligne, où la végétation marque et les soins du laboureur et la fertilité du sol, qui doit servir de régulateur tant en amont qu’en aval, n’importe l’élévation plus ou moins forte des berges, pour limiter la propriété domaniale et la propriété privée; et, lors-même qu’il se présenterait quelque difficulté dans l’applition de cette règle pour cause de la configuration variée des rivages; vu, d’ailleurs, qu’en général, il s’agit d’objets d’un bien mince intérêt, l’on devrait se déterminer en faveur de la propriété privée. L’objet principal du domaine, et j’ose dire presque unique, c’est d’éviter toute espèce d’entrave à la navigation; et, s’il ne s’agit point d’îles, îlots ou atterrissements, il n’a nul intérêt de contester sur de minces parcelles de terre, qui ne sont susceptibles de porter des fruits que par les soins des riverains.
23. — Le domaine semble l’avoir ainsi jugé. On ne connaît pas d’exemple contraire, quoique sur tous les rivages l’on découvre de langues de terre produisant des fruits par les soins des riverains, bien qu’elles soient ordinairement couvertes par des débordements partiels.
En supposant que ces langues de terre pussent rigoureusement être comprises, en totalité ou en partie, dans la largeur du lit du fleuve ou de la rivière, le fait de les laisser cultiver par les riverains ne peut jamais nuire à l’intérêt public: on sait que la chose consacrée à l’usage de tous est inaliénable et imprescriptible.
Ce motif serait seul suffisant pour justifier en pareil cas l’absence d’hostilités de la part du domaine.