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A voir Frantz Mathéus et son disciple descendre le petit sentier de la Steinbach à travers les hauts sapins, on n’aurait jamais cru que ces deux hommes extraordinaires marchaient à la conquête du monde. Il est vrai que l’illustre philosophe, gravement assis sur Bruno, la tête haute et les jambes pendantes, avait quelque chose de majestueux; mais Coucou Peter ne ressemblait guère à un véritable prophète; sa figure joviale, son gros ventre et sa plume de coq lui donnaient plutôt l’apparence d’un joyeux convive, qui nourrit des préjugés déplorables en faveur de la bonne chère et qui ne songe pas aux conséquences désastreuses de ses appétits physiques.

Cette remarque ne laissa point d’inspirer de sérieuses réflexions à Mathéus; mais il se dit qu’en lui faisant suivre un régime psycologico-anthropo-zoologique, en l’engageant à se modérer, en le pénétrant enfin des principes touchants de sa doctrine, il viendrait à bout de lui faire acquérir une physionomie plus convenable.

Coucou Peter envisageait l’affaire sous un autre point de vue.

«Vont-ils être étonnés de me voir prophète! se disait-il. Ah! ah! ah! farceur de Coucou Peter, il n’en fait pas d’autres! Où diable va-t- il pêcher sa transformation des corps et sa pérégrination des âmes? je vous le demande un peu. L’almanach de Strasbourg en parlera l’an prochain, ça ne peut pas manquer! On me verra sur la grande page avec mon violon, et chacun pourra lire en grosses lettres: «Coucou Peter, fils de Yokel Peter, de Lutzelstein, qui se met en route pour convertir l’univers.» Ah! ah! ah! vas-tu t’en donner, farceur de prophète, vas-tu t’en donner! tu mangeras comme quatre, tu boiras comme six, et tu prêcheras l’abstinence aux autres! Et qui sait? sur tes vieux jours, tu pourras bien devenir grand rabbin de la pérégrination des âmes; tu dormiras dans un lit de plume, tu laisseras pousser ta barbe et tu mettras des lunettes sur ton nez! Gueux de Coucou Peter, je n’aurais jamais cru que tu attraperais une aussi bonne place.»

Pourtant, en dépit de lui-même, quelques doutes se présentaient encore à son esprit; ces belles espérances lui paraissaient chanceuses, il prévoyait des anicroches et concevait de vagues appréhensions.

«Dites donc, maître Frantz, s’écria-t-il en allongeant le pas, la langue me démange depuis un quart d’heure: je voudrais bien vous demander quelque chose.

—Parle, mon garçon, répondit le bonhomme, ne te gêne pas. Est-ce que le doute ébranlerait déjà tes nobles résolutions?

—Justement, ça me tracasse. Êtes-vous bien sûr de votre pérégrination des âmes, maître Frantz? car, pour vous parler franchement, je ne me rappelle pas du tout d’avoir vécu avant de venir au monde!

—Comment! si j’en suis sûr? s’écria Mathéus; crois-tu donc, malheureux, que je voudrais tromper le monde, jeter la désolation dans les familles, le trouble dans la cité, le désordre dans les consciences?

—Je ne dis pas ça, monsieur le docteur, au contraire, je suis tout à fait pour la doctrine; mais, voyez-vous, il y en aura beaucoup d’autres qui ne voudront pas y croire et qui diront:

«Que diable vient-il nous chanter avec ses

«âmes qui rentrent dans le corps des ani-

«maux? est-ce qu’il nous prend pour des

«bêtes? Des âmes qui voyagent! des âmes!

«qui montent et qui descendent dans l’échelle

«des êtres! des âmes qui vont à quatre pattes

«et qui poussent des feuilles! Ah! ah! ah! il

«est fou, ce monsieur! il est fou!» Ce n’est pas moi qui dis ça, maître Frantz, ce sont les autres, vous comprenez? Moi, je crois tout; mais voyons un peu ce que vous leur répondrez. Voyons...

—Ce que je leur répondrai? dit Mathéus tout pâle d’indignation.

—Oui, qu’est-ce que vous répondrez à ces impies... à ces rien-qui-vaille?»

L’illustre philosophe s’était arrêté au milieu de la route; il se dressa sur ses étriers et s’écria d’une voix éclatante:

«Misérables sophistes! disciples de l’erreur et des fausses doctrines! vos détours captieux, vos subtilités scholastiques ne prévaudront point contre moi... En vain vous essaieriez d’obscurcir l’astre qui brille à la voûte des cieux, cet astre qui vous éclaire, qui vous réchauffe et féconde la nature! malgré vos blasphèmes, malgré votre ingratitude, il ne cessera point de vous prodiguer ses bienfaits! Qu’ai-je besoin de voir cette âme qui m’inspire les plus nobles pensées? n’est-elle pas toujours présente dans mon être? n’est-elle point moi-même? Retranchez ces bras, ces jambes, Frantz Mathéus en sera-t-il diminué au point de vue intellectuel et moral? Non, le corps n’est que l’enveloppe, l’âme seule est éternelle! Ah! Coucou Peter, mets la main sur ton cœur, regarde en face cette voûte immense, image de grandeur et d’harmonie, et puis... ose nier l’Être des êtres, la cause première de cette magnifique création!»

Pendant que Mathéus improvisait ce discours, Coucou Peter le regardait en clignant de l’œil d’un air malin:

«A la bonne heure, à la bonne heure, s’écria-t-il, voilà comme il faudra parler aux paysans et tout ira bien.

—Tu crois donc à la pérégrination des âmes?

—Oui, oui! nous allons enfoncer tous les prédicateurs du pays; il n’y en a pas un qui soit capable de parler aussi longtemps que vous sans reprendre haleine; il faut que les autres se mouchent, qu’ils toussent de temps en temps pour rattraper le fil de leur histoire... Mais vous... ça va tout seul! c’est magnifique! magnifique!»

Ils arrivaient alors à l’embranchement des Trois-Fontaines, et Mathéus s’arrêta.

«Voici trois sentiers, dit-il; la Providence, qui veille sans cesse sur le sort des grands hommes, va nous faire connaître celui qu’il faut suivre et nous inspirer une résolution dont les conséquences sont incalculables pour le progrès des lumières et de la civilisation.

—Vous n’avez pas tort, illustre docteur Frantz, dit Coucou Peter; la Providence vient de me souffler à l’oreille que nous sommes aujourd’hui à la Saint-Boniface: c’est le jour où la mère Windling, la veuve de Windling l’aubergiste d’Oberbronn, tue un cochon gras tous les ans; nous arriverons pour manger du boudin et boire de la bière mousseuse.

—Mais nous ne pourrons pas commencer nos prédications! s’écria Mathéus, indigné des tendances sensuelles de son disciple.

—Au contraire, tout cela peut très-bien aller ensemble: l’auberge de la mère Windling sera remplie de monde et nous prêcherons tout de suite.

—Tu crois qu’il y aura beaucoup de monde?

—Sans doute, tout le village viendra manger des grillades.

—Eh bien! allons à Oberbronn.

—Oui, s’écria le ménétrier, il faut obéir à la Providence.»

Ils se mirent donc en marche, et, vers cinq heures du soir, l’illustre philosophe et son disciple débouchaient majestueusement dans l’unique rue d’Oberbronn.

L’animation du hameau réjouit Mathéus, car le bonhomme aimait surtout la vie champêtre: ce parfum d’herbes et de fleurs qui imprègne l’air à l’époque de la fenaison; les grandes voitures chargées qui stationnent sous les hautes lucarnes, tandis que les bœufs se reposent de leurs fatigues, que les bras s’allongent pour recevoir les bottes de foin suspendues au bout de longues fourches luisantes, et que les faucheurs se couchent à l’ombre pour se rafraîchir; le tic-tac cadencé des batteurs en grange; les tourbillons de poussière qui s’envolent des évents; les éclats de rire des jeunes filles qui se roulent au grenier; les bonnes figures de vieillards, têtes blanches et osseuses qui s’inclinent aux fenêtres, le bonnet de coton sur leur crâne chauve; les petites échappées de vue à l’intérieur des chaumières, où pendent les écheveaux de chanvre au-dessus de grands fourneaux de fonte, où les vieilles femmes chantent un vieil air à l’enfant qui s’endort; les chiens qui se promènent et flairent le passant; les cris des moineaux qui se dispersent sur les toits, ou viennent s’abattre avec audace dans les gerbes du hangar: tout cela c’était la vie, le bonheur du docteur Frantz. Il se crut un instant de retour au Graurthal. Bruno lui-même relevait la tête, et des cris joyeux accueillaient Coucou Peter tout le long de la route.

«Hé ! voici Coucou Peter, il arrive pour manger du boudin. Ah! nous allons rire! Bonjour, Coucou Peter!

—Bonjour, Karl! bonjour, Heinrich! bonjour, Christian! bonjour, bonjour!»

Il distribuait des poignées de main à droite et à gauche; mais tous les yeux se tournaient vers Mathéus, dont l’air grave, les beaux habits de drap et le gros cheval tout luisant de graisse inspiraient le plus profond respect:

«C’est un curé !—c’est un ministre!—c’est un arracheur de dents!» se disaient-ils entre eux.

On interrogeait Coucou Peter à voix basse, mais il n’avait pas le temps de répondre, et se remettait à courir derrière le docteur.

Ils arrivèrent enfin au détour de la rue, et Frantz Mathéus conçut aussitôt les plus heureux présages, en découvrant l’auberge de la mère Windling: une jeune paysanne étendait justement la lessive autour du balcon de planches; entre les deux portes, on voyait un superbe cochon écartelé sur une large échelle et pourfendu depuis le cou jusqu’à la queue: c’était blanc, c’était rouge, c’était lavé, rasé, nettoyé, enfin c’était ravissant; un gros chien de berger à longs poils gris recueillait quelques gouttes de sang sur le pavé ; les fenêtres de forme antique, les peupliers qui s’effilent dans l’air, l’immense toit de bardeaux abritant de ses ailes le bûcher, le pressoir et la basse-cour, où caquetaient de jolies poulettes; le colombier, où perchaient, sur la petite fourche, deux magnifiques pigeons bleus, qui roucoulaient et faisaient la grosse gorge, tout donnait à l’auberge de la mère Windling une physionomie vraiment hospitalière.

«Hé ! hé ! vous autres... Hans! Karl! Ludwig! voulez-vous bien sortir, paresseux! s’écria de loin le ménétrier. Quoi! vous laissez à la porte le savant docteur Mathéus, mauvais gueux! N’avez-vous pas de honte?»

La maison était remplie de son tapage, et l’on aurait cru qu’il venait d’arriver un contrôleur ambulant, un garde général, ou même un sous-préfet, tant il élevait la voix et se donnait des airs d’importance.

Nickel, le domestique, apparut tout effaré à la porte cochère, en s’écriant:

«Mon Dieu! qu’est-ce qu’il y a donc pour faire tout ce bruit?

—Ce qu’il y a, malheureux? ne vois-tu pas l’illustre docteur Mathéus, l’inventeur de la pérégrination des âmes, qui attend que tu viennes lui tenir l’étrier? Allons! dépêche-toi, conduis le cheval à l’écurie; mais, je t’en préviens, j’aurai l’œil sur la mangeoire, et s’il y a seulement un brin de paille dans l’avoine, tu m’en réponds sur ta tête.»

Alors Mathéus mit pied à terre, et le domestique s’empressa d’obéir

L’illustre docteur ne savait pas que, pour entrer dans la grande salle, il fallait traverser la cuisine; aussi fut-il agréablement surpris du spectacle qui s’offrit d’abord à ses regards. On était au milieu de la préparation des boudins: le feu brillait sur l’âtre; les grands plats de l’étagère étincelaient comme des soleils; le petit Michel tournait sa fourchette dans la marmite avec une régularité merveilleuse; dame Catherina Windling, les manches retroussées jusqu’aux coudes, en face du cuveau, levait majestueusement la grande cuiller remplie de lait, de sang, de marjolaine et d’oignons hachés; elle versait lentement, tandis que la grosse Soffayel, sa domestique, tenait le boyau bien ouvert, afin que cet agréable mélange pût y entrer et le remplir convenablement.

Coucou Peter resta comme pétrifié devant ce délicieux tableau; il écarquillait les yeux, dilatait ses narines et respirait le parfum des casseroles.

Enfin, d’une voix expressive, il s’écria:

«Grand Dieu! quelle noce nous allons faire ici! quelle noce!»

Dame Catherina tourna la tête et fit une exclamation joyeuse:

«Ah! c’est toi, Coucou Peter, je t’attendais! Tu ne manques jamais d’arriver pour les boudins.

—Le plus souvent que je manquerais d’arriver pour les boudins! Non! non! dame Catherina, je suis incapable d’une pareille ingratitude; ils m’ont fait trop de bien pour que je puisse les oublier!»

Puis, s’avançant d’un air grave, il prit la grande cuiller de bois, qu’il plongea dans le cuveau, et pendant quelques secondes il examina le mélange avec une attention vraiment psycologique.

Dame Catherina croisait ses bras rouges, et semblait attendre son jugement; au bout d’une minute il releva la tête et dit:

«Dame Catherina, sauf votre respect, il faudrait encore un peu de lait là-dedans; voyez-vous, il ne faut pas épargner le lait, c’est la délicatesse, c’est comme qui dirait l’âme du boudin.

—Voilà ce que j’avais déjà dit, s’écria la mère Windling; n’est-ce pas, Soffayel, que je t’avais dit qu’un peu de lait ne ferait pas de mal?

—Oui, dame Catherina, vous l’avez dit.

—Eh bien, maintenant j’en suis tout à fait sûre; va chercher le pot à la crème. Combien de cuillerées, penses-tu, Coucou Peter?»

Le ménétrier examina de nouveau le mélange et répondit.

«Trois cuillerées, dame Catherina, trois cuillerées bien mesurées! et même, à votre place, moi j’en mettrais quatre.

—Nous en mettrons quatre, dit la bonne femme, c’est plus sûr.»

En ce moment elle aperçut Mathéus, spectateur impassible de ce conseil gastronomique.

«Ah! mon Dieu! fit-elle; je n’avais pas vu ce monsieur! Coucou Peter, est-ce que ce monsieur était avec toi?

—C’est mon ami, dit le ménétrier, le savant docteur Mathéus, du Graufthal, mon ami intime! Nous voyageons ensemble pour notre plaisir personnel, et pour répandre les lumières de la civilisation.

—Ah! monsieur le docteur, dit la mère Windling, pardonnez-moi; nous sommes dans les boudins jusque par-dessus la tête! Entrez donc, entrez! faites excuse!»

L’illustre philosophe faisait de grands saluts, comme pour répondre: «De rien, madame, de rien!» mais il pensait: «Cette femme est de la famille des gallinacées, espèce prolifique, naturellement voluptueuse et qui se nourrit bien; ses yeux vifs, ses joues grasses et vermeilles et son nez légèrement retroussé, quoique gros, le prouvent suffisamment. »

Voilà ce que pensait l’illustre docteur, et certes il n’avait pas tort, car la mère Windling avait été une gaillarde dans son temps; on racontait sur son compte des histoires... des histoires... enfin des choses tout à fait extraordinaires, —et même, malgré ses quarante ans, elle avait encore des yeux très-agréables.

Mathéus entra dans la grande salle et s’assit au bout de la table de sapin, en se livrant à ces réflexions judicieuses, tandis que Coucou Peter rinçait les verres et donnait l’ordre à Soffayel d’aller chercher une bouteille de wolxheim, pour rafraîchir l’illustre docteur.

Dès que la servante fut descendue à la cave, dame Catherina s’approcha du ménétrier, et lui posant la main sur l’épaule:

«Coucou Peter, dit-elle à voix basse, ce monsieur, c’est ton ami?

—Mon ami intime, dame Catherina.

—Un bel homme! fit-elle en le regardant dans le blanc des yeux.

—Eh! eh! fit Coucou Peter en la fixant de même avec un sourire étrange, vous trouvez, dame Catherina?

—Oui, je trouve... un homme... un homme comme il faut.

—Hé ! hé ! reprit Coucou Peter, je crois bien; un homme qui a des terres au soleil, un savant, un médecin très comme il faut!

—Un médecin, un homme qui a des terres! répéta dame Catherina. Tu ne me dis pas tout, Peter, je le vois dans ta figure. Pourquoi vient-il ici?

—Hé ! dit Coucou Peter en clignant des yeux, vous êtes maligne, dame Catherina, vous voyez les choses de loin... hé ! hé ! hé ! si j’osais tout dire.. mais il y a des choses...»

Puis essuyant les verres:

«Dites donc, dame Catherina, est-ce que le meunier Tapihans vient toujours vous voir?

—Tapihans! s’écria la mère Windling, ne m’en parle pas! je me moque bien de lui, il voudrait épouser ma maison, mon jardin, mes vingt-cinq arpents de prés, le ladre!

—Ce n’est pas l’homme qu’il vous faut, reprit le ménétrier, croyez-moi, c’est...»

La grosse Soffayel montait alors l’escalier de la cave, et dame Catherina paraissait rayonnante.

«Bien, c’est bien, dit-ele en prenant la bouteille, je vais servir ce monsieur moi-même. Va, Soffayel, mets quatre bonnes cuillerées de crème dans le cuveau. Coucou Peter, regarde un peu si je n’ai rien dans la figure; est-ce que mes cheveux sont défaits?

—Vous êtes fraîche comme une rose, dame Catherina.

—Tu trouves?

—Oui, et vous avez une odeur de fraise très-appétissante.

—Tiens, c’est drôle!» fit-elle.

Alors la mère Windling s’essuya proprement les bras avec la serviette pendue derrière la porte, elle prit la bouteille et entra dans la salle, en sautillant sur la pointe des pieds comme une jeune fille.

Frantz Mathéus était assis près d’une fenêtre ouverte; il regardait travailler les abeilles du vieux Baumgarten, dont le rucher se trouvait en face; de grandes nappes de soleil tombaient à travers les rosiers en fleurs, et l’illustre philosophe, perdu dans une douce rêverie, écoutait le vague bourdonnement des insectes qui s’élèvent à la chute du jour.

En ce moment la mère Windling entra; derrière elle marchait Coucou Peter tout joyeux, avec les trois verres dans ses doigts.

«Mettez-vous à votre aise, docteur Mathéus, s’écria-t-il; vous êtes fatigué, il fait chaud, donnez-moi votre grosse capote, que je la pende à ce clou.

—Oui, oui, dit la bonne femme, ne vous gênez pas, Monsieur, faites comme chez vous. Coucou Peter m’a dit votre nom; on connaît bien le docteur Mathéus dans ce pays; c’est un grand honneur de le recevoir dans notre maison.»

Mathéus, qui rougissait jusqu’aux oreilles... (Page 11.)


Mathéus, touché d’un si gracieux accueil, leva les yeux en rougissant et répondit:

«Vous êtes bien bonne, ma chère dame; je regrette de n’avoir pas emporté un exemplaire de l’Anthropo-zoologie, pour vous en faire hommage et vous témoigner ma reconnaissance.

—Oh! nous aimons les gens d’esprit, s’écria la mère Windling. Oui, j’aime les hommes comme il faut!»

En prononçant ces paroles, elle le regardait d’un air si tendre, que le bonhomme en était tout embarrassé.

«Ce n’est pas un Tapihans, un homme de rien, un meunier, reprit-elle, qui nous ferait tant de plaisir à voir. Mais voyez les méchantes langues de ce village: on fait courir le bruit que nous allons nous marier ensemble, parce qu’il vient prendre sa chope ici tous les soirs. Ah! Dieu me préserve de vouloir d’un homme qui n’a plus que le souffle; c’est bien assez d’être veuve une fois!

—Je n’en doute pas, dit Mathéus, je n’en doute pas! Soyez convaincue que ces rumeurs n’ont aucune influence sur moi; ce serait contraire à mes principes philosophiques.»

Alors le ménétrier emplit les verres en s’écriant:

«Allons, dame Catherina, il faut trinquer avec le docteur; à votre santé, docteur Frantz!»

On n’aurait jamais dit que ces deux hommes extraordinaires marchaient à la conquête du monde. (Page 12.)


La mère Windling ne dédaignait pas le wolxheim; elle but à la santé du docteur Mathéus, comme un véritable hussard, puis elle le débarrassa sans façon de sa grande capote et la suspendit, avec son large feutre, à l’un des clous de la muraille.

«Il faut être à son aise, disait-elle, je vois bien que vous vous gênez, moi je suis toute ronde! Allons, Coucou Peter, encore un coup, et puis je retourne à ma cuisine préparer votre souper. Ah ça, monsieur le docteur, il faut me dire ce que vous aimez; qu’est-ce qui peut vous être agréable? un rôti, une fricassée de poulet?

—Madame, répondit Mathéus, je vous assure que je n’ai pas de préférence.

—Non! non! ce n’est pas ça; vous devez avoir du goût pour quelque chose.»

Coucou Peter lui fit signe des yeux, comme pour la prévenir qu’il connaissait le plat favori du docteur.

«Allons, dit la bonne femme, nous arrangerons tout pour le mieux.»

Là-dessus elle vida son verre d’un trait, adressa un sourire à Mathéus et sortit en promettant d’être bientôt de retour. Coucou Peter la suivit, afin de faire préparer convenablement un plat de küchlen, dont il était très-friand, et qu’il supposait devoir plaire à l’illustre philosophe; et Frantz Mathéus, dans un calme délicieux, resta près de la fenêtre. Il entendait la voix de la mère Windling donner des ordres, le remue-ménage de la cuisine, les allées, les venues; il attribuait cet empressement au bruit qu’avait déjà fait son magnifique ouvrage dans le monde, et se félicitait de la généreuse résolution qu’il avait prise d’éclairer l’univers.

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