Читать книгу Les misères d'un fonctionnaire chinois - Francisque Sarcey - Страница 16
ОглавлениеXIII
QUI SERA PLUS COURT QUE LE PRÉCÉDENT.
Les gens qui veulent tout savoir demanderont sans doute l’issue de ce procès. Je suis au désespoir de ne pouvoir la leur donner. Il dure encore, et les jurisconsultes les plus éminents assurent qu’il n’est pas près d’être terminé. Le propriétaire du jardin le gagna sept fois en son vivant devant sept juridictions différentes, et ne put rentrer en possession de ce qu’on lui avait pris. L’administration opposait toujours des exceptions de forme; elle ne lâchait point prise. Le propriétaire finit par perdre patience; une nuit, il fit piocher par des ouvriers la partie du chemin qui avait coupé son jardin en deux et releva les haies qu’on avait indûment abattues, quelque dix ans auparavant. Cet incident compliqua le procès de poursuites nouvelles, qui furent cette fois dirigées par l’administration contre son adversaire. Ce fut elle qui eut raison dans cette affaire; notre homme fut condamné à l’amende et à la prison. Il paya l’une et mourut dans l’autre, ne laissant de toute son ancienne fortune à ses enfants qu’un procès à soutenir.
Son fils aîné recueillit pieusement cet héritage et le légua lui-même à sa fille, qui a aujourd’hui quatre-vingt-deux ans et n’en plaide qu’avec plus d’acharnement et de verdeur. Soixante-huit administrateurs se sont succédé durant ces trois générations, et pas un n’a faibli un seul instant dans cette longue lutte. L’un d’eux a dit ce mot mémorable qui devrait être gravé en lettres d’or sur tous les monuments publics: L’administration ne meurt ni ne se rend.
Ce procès est une rente pour un certain nombre de gens de lois qui se le transmettent avec leur charge. Si l’on rassemblait en un seul monceau tous les papiers qui en composent aujourd’hui le dossier, on en formerait une montagne plus haute que l’Altaï lui-même; si l’on achetait ce morceau de terre au prix où il revient maintenant à ceux qui se le disputent, il faudrait le payer cinquante fois son pesant d’or. On paverait la Chine tout entière avec les taëls qu’il a déjà coûté en justice: et songez que rien n’est encore fini.
Mais c’est une affaire de principe. L’administration a jeté, par ce noble exemple d’opiniâtreté, une terreur salutaire dans le pays. Personne n’ose plus lui tenir tête. Elle a eu besoin, il y a quelque temps, d’une maison pour en faire un magasin. Le maître du logis lui a apporté les clefs sur un plat d’argent et l’a remerciée de ne pas lui avoir pris le parc qui était derrière.
–Cela viendra peut-être, a répondu l’administrateur.
Le jeune Fo-hi ne connut que l’aurore de ce procès fameux, et néanmoins il en vit assez pour ajouter à son agenda cette recommandation, qui ne devait pas être la dernière:
Du bon public te moqueras
Et des bons juges mêmement.