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XV
QUI N’EST QUE LA SUITE DU PRÉCÉDENT

Table des matières

Le jeune Fo-hi rentra chez lui fort ébranlé. La nuit, mère des sages conseils, lui en donna qui n’étaient point héroïques. Il se dit qu’une manifestation isolée ne servirait à rien; qu’il serait bien sot de se sacrifier tout seul à un point d’honneur exagéré. Il se demanda ce qu’il deviendrait, après ce coup de tête. Sans argent, sans amis, sans protecteur, à deux cents lieues de sa famille, incapable de tout travail manuel, ne sachant que faire, il serait un objet de dérision ou de pitié. Et que penseraient de lui ses beaux-frères à qui il avait si magnifiquement promis sa protection? Son exaltation s’était fort calmée quand vint le jour. Il ne lui restait plus de son extraordinaire émotion de la veille que cette fatigue qui suit les grandes tempêtes de l’âme. Il s’achemina, d’un air morne, vers la maison où devait se consommer la ruine de son honneur. M. l’administrateur y attendait tous ses employés. Il paraissait solennel et radieux. Il lut à haute voix la formule du serment, et chacun dut répéter à son tour les mots sacramentels: Je le jure. Rien n’était plus curieux que d’examiner les différentes façons dont cette phrase si courte fut accentuée par chacun d’eux; les uns la lançaient d’une voix forte, assurée et où vibrait la conviction; d’autres, d’un air nonchalant, comme on demande l’heure à son voisin, sans paraître y attacher d’importance; d’autres encore, avec le ton bourru d’un homme qui accomplit une corvée désagréable. Quand le jeune Fo-hi se leva, il sentit en lui gronder une dernière révolte, il lui fallut un incroyable effort de volonté pour soulever son bras et l’étendre. La sueur lui coulait du front à grosses gouttes; il semblait que ces trois malheureux mots lui déchirassent la gorge en passant, tant il les prononça d’une voix étranglée. Il retomba sur son siège, et se cacha la figure dans ses mains, comme pour se dérober à lui-même la honte de son action. Son chagrin fut remarqué de tout le monde. et surtout de M. l’administrateur.

Chacun donna sa signature, et la séance allait être levée, quand un courrier entra. M. l’administrateur lui prit des mains la lettre qu’il apportait, l’ouvrit et changea de visage en la lisant. Il se remit peu à peu.

«Messieurs, dit-il, je bénis l’heureux hasard qui vous rassemble autour de moi en ce moment. Je suis fier d’être le premier à vous annoncer une nouvelle qui doit tous nous combler de joie. La Providence, qui veille si particulièrement sur les destinées de la Chine, vient de donner un éclatant témoignage de sa bienveillance pour notre belle patrie. Elle a renversé du trône l’usurpateur Fi-ho, dont la violence et l’audace conduisaient la Chine aux abîmes. Elle a remis le sceptre aux mains légitimes de notre jeune empereur, l’incomparable Hu-o-li XXV. Déjà le peuple de Pékin a manifesté sa joie par ces cris et ces illuminations unanimes où l’on sent battre le cœur d’une grande nation. Serons-nous les derniers, mes chers collaborateurs, à acclamer un changement que tous nos vœux appelaient, à nous rallier hautement aux magnifiques destinées que Dieu prépare à la Chine? Non, messieurs, le moment est venu de montrer notre dévouement à la cause publique et à l’empereur. Nous allons tous, à l’instant, d’enthousiasme, jurer fidélité à notre seul et légitime souverain. »

Et toute la compagnie jura sur nouveaux frais.

–Mais, monsieur, dit le jeune Fo-hi, au moment de signer une autre pancarte, ne serait-il pas plus simple d’avoir, pour la formule du serment, un entête mobile? On le changerait à chaque révolution, et nous ne serions plus forcés de nous déranger sans cesse pour donner de nouvelles signatures.

–En vérité, monsieur, s’écria l’administrateur furieux, vous êtes animé d’un esprit détestable! Vous plaisantez avec ce qu’il y a au monde de plus sacré et de plus saint. Vous vous moquez d’un serment!

Et le jeune Fo-hi, en rentrant dans sa chambre, ajouta à la liste des conseils qu’il s’était déjà donnés les deux vers suivants, qui furent inscrits sous la rubrique IX:

Au pouvoir serment prêteras,

Quel qu’il soit provisoirement.

Les misères d'un fonctionnaire chinois

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