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I
OU IL EST DÉCIDÉ QUE M. FO-HI FILS SERA MANDARIN

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Madame Fo-hi reprit ses sens, et dit à son mari en-se rajustant:

–Qu’avez-vous fait là, mon ami? et que deviendrons-nous avec une troisième fille sur les bras?

–Une fille? reprit M. Fo-hi avec dignité. Vous ne savez ce que vous dites, ma femme. Pourquoi serait-ce une fille plutôt qu’un garçon?

–Parce que.

–Parce que, quoi?

–Parce que j’en suis sûre,

–Voilà pourtant comme les femmes raisonnent en Chine? Eh bien! moi, chère âme de mes yeux, je ne prétends pas être sûr du contraire. Le sage n’est jamais sûr de rien. Mais je crois que ce sera un garçon.

–Et sur quoi le croyez-vous?

–Je le crois sur ce que je le crois.

–C’est différent. Que le grand Changhti vous entende, mon ami. Un garçon ferait bien notre affaire. Nous sommes encore jeunes tous les deux; mais dans une vingtaine d’années nous commencerons à vieillir; le temps du repos sera proche. Nous quitterons alors le commerce, et notre fils nous succèdera, comme vous avez succédé vous-même à votre père.

–Mn fils commerçant! Mon fils vendre du riz, du poivre et de la cannelle! un descendant des Fo-i! y songez-vous, madame?

–E! pourquoi non? n’en avons-nous pas vendu toute notre vie? n’en vendons-nous pas encore? en sommes-nous moins heureux, s’il vous plaît? nous gagnons largement de quoi nous suffire, et nous mettons de côté tous les ans quelques taels pour la dot de nps filles. Nous jouissons dans le quartier de la considération que donne l’habitude de payer ses billets à l’échéance. Tout le monde m’y salue quand je passe. Nous ne connaissons que de braves gens, comme nous, qui viennent le soir nous demander une tasse de thé ou un verre de vin de riz. Nous n’avons rien à démêler avec personne; nous sommes indépendants, et quand nos comptes sont en règle et nos filles dans leur lit, il ne nous reste plus qu’à dormir sur les deux oreilles. Que voulez-vous de plus, je vous prie, pour votre fils

–Je veux que mon fils soit quelque chose.

–Nous ne sommes donc rien, nous?

–Vous l’avez dit, madame Fo-hi, nous ne sommes rien, dont j’enrage. M. le gouverneur donne des soirées toutes les semaines: nous a-t-il une seule fois priés d’y venir? Êtes-vous pourtant moins belle, moins fraîche, et avez-vous les pieds moins petits que les femmes qu’il invite? Quand l’empereur, fils du ciel, passera par notre ville, serons-nous admis d’un peu près à contempler son auguste visage? Avons-nous une place marquée dans les cérémonies publiques? J’ai un bonnet de soie jaune, vous savez s’il est magnifique, et ce qu’il m’a coûté. Ai-je le droit d’y mettre une boule de corail, ne fût-elle pas plus grosse qu’une noisette? Et comment peut-on vivre sans boule à son bonnet? J’entends que mon fils en ait une au sien. Il sera reçu chez M. le gouverneur, il sera gouverneur lui-même. Songez à cela, madame Fo-hi! Notre fils gouverneur, et causant avec les ministres, comme je cause avec vous! c’est bien autre chose que de peser du poivre!

Et M. Fo-hi enfonça glorieusement son foulard sur ses oreilles. Madame Fo-hi reprit, en branlant la tête:

–Ceux qui savent peser du poivre peuvent se passer des ministres. J’aime mieux être maîtresse chez moi que de faire antichambre chez eux.

–Ces raisonnements font pitié! Mon fils sera ministre, vous dis-je et c’est chez lui qu’on viendra faire antichambre.

Madame Fo-hi soupira et ne dit plus mot; car c’était une Chinoise de beaucoup de sens. Les deux époux ne tardèrent pas à s’endormir paralèllement sous leurs rideaux orange, semés d’oiseaux de paradis, et ils eurent des rêves bien différents dans cette nuit mémorable. Madame songea qu’un génie bienfaisant la transportait sur une haute montagne, qui se trouvait être une montagne d’excellent poivre. Elle la débitait à ses pratiques en éternuant d’une façon prodigieuse. Et cependant M. Fo-hi voyait distinctement un oiseau de paradis, coiffé d’un superbe bonnet jaune, autour duquel étincelaient des milliers de boules plus brillantes que le soleil. L’oiseau s’élevait en battant des ailes à une hauteur extraordinaire, et s’asseyait sur un fauteuil de mandarin, en croisant ses jambes l’une sur l’autre, avec un grand air de dignité. Il invitait par un geste gracieux M. Fo-hi à prendre place à côté de lui, et M. Fo-hi se levait déjà, dans un ravissement inexprimable, quand il fut éveillé par un éternuement de sa femme:

–Dieu vous bénisse, ma chère, lui dit-il d’un ton joyeux; mais les songes ne trompent jamais, et mon fils sera ministre.

–C’est précisément pour cela qu’il doit être épicier, répondit madame.

Et la dispute recommença sur nouveaux frais. C’est une belle institution que le mariage.

Les misères d'un fonctionnaire chinois

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