Читать книгу Les misères d'un fonctionnaire chinois - Francisque Sarcey - Страница 7
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LE JEUNFO-HI TERMINE GLORIEUSEMENT SES
ÉTUDES
J’en suis fâché pour le héros de cette histoire, mais ce n’était ni un cancre ni un aigle. Il flottait entre les deux, plus près de l’un que de l’autre; laborieux d’ailleurs et docile, il était aimé de ses professeurs, qui disaient de lui qu’il était un élève distingué, parce qu’il n’avait rien qui le distinguât de ses camarades. Dans une classe de soixante élèves, il y en a toujours une quarantaine de distingués. Le jeune Fo-hi était l’un des quarante. Il apprit à la forêt des pinceaux, durant les neuf années qu’il y resta, tout ce qu’on y enseigne, c’est-à-dire fort peu de chose: quelques mots de prâkrit et de sanscrit étaient encore le plus clair de sa science. Son père le menait de temps en temps chez le vieux lettré, qui prenait plaisir à faire causer le petit bonhomme.
–Mon fils sera un jour quelque chose, disait le père avec orgueil.
–Il vaudrait mieux qu’il fût quelqu’un, murmurait le vieux lettré.
Il constatait, en l’interrogeant, que ce futur savant n’avait pas un goût fort vif pour ses études. Il est vrai qu’il n’avait pas non plus pour elles une répugnance très prononcée. On lui disait de traduire du sanscrit en chinois et du chinois en sanscrit; il obéissait avec la parfaite indifférence du commis de son père quand, sur l’ordre du patron, il versait des pruneaux dans un tonneau de riz.
–Quel admirable épicier eût fait ce jeune imbécile! pensait le vieux Li-joulin. Encore une vocation manquée!
L’année vint enfin où le fils de Fo-hi dut passer son dernier examen, son examen de sortie, par-devant un tribunal de lettrés. Ses professeurs lui mirent entre les mains un gros livre, où un ami de la jeunesse et de la science avait entassé dans un fort bel ordre tout ce que les hommes ont dit, fait et su, depuis qu’il y a des hommes sur la terre; il l’apprit bravement par cœur, d’un bout à l’autre, car il avait une fort belle mémoire. Il étonna ses juges par la facilité et la netteté de ses réponses. Il reçut cette palme verte dont un célèbre Chinois a dit si élégamment:
«Elle croît sur le seuil des forêts de pinceaux, et ne se laisse cueillir que par ceux qui ont appris les mots magiques; ils s’avancent ensuite dans la vie, armés de ce talisman, et toutes les portes s’ouvrent devant eux. Ce sont les rois de l’avenir.»
Le jeune Fo-hi s’en alla donc chez son père, la tête haute, comme doit la porter un roi de l’avenir, et lui annonça cette grande nouvelle. Le bonhomme en pleura de joie; il ordonna un festin magnifique, où il invita ses parents et ses amis, sans oublier le vieux Li-joulin. Tout le monde y but à la santé du jeune roi de l’avenir, et lui prédit les destinées les plus brillantes. L’avenir paraît toujours d’une jolie couleur, quand on le regarde au travers d’un bon vin qui brille.
Vers minuit, il n’y eut plus que le vieux Li-joulin que fût en état de savoir ce qu’il disait; aussi ne disait-il rien. Il s’esquiva, en souriant dans sa barbe. Le roi de l’avenir eut une forte indigestion, et ce fut l’un des plus beaux jours de sa vie.