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III
CONVERSATION INSTRUCTIVE

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Table des matières

M. Fo-hi avait pour voisin un vieux lettré, qui se nommait Li-joulin. C’était un philosophe très savant et très malin, qui usait sa vie à chercher le vrai, et qui le disait en riant, quand il croyait l’avoir trouvé. Il avait sur des sujets délicats des opinions très particulières, et se moquait ouvertement dans ses livres des préjugés et des sots. Il s’était fait par là une grande réputation et beaucoup d’ennemis. Il était mal vu de ceux qui l’avaient mal lu, et les gens qui pensaient bien le lisaient mal. Mais il ne s’en souciait guère; il méprisait les dignités et les places, et il trempait philosophiquement pour son dîner une croûte de pain sec dans un verre d’eau claire.

M. Fo-hi l’alla trouver, et lui dit:

–Je viens vous demander un conseil, voisin. J’ai un fils qui est très intelligent et d’un esprit au-dessus de son âge. Sa mère me presse de le mettre au collège, pour qu’il y étudie le sanscrit et autres belles choses qu’on y enseigne. Qu’en pensez-vous, vous qui êtes un savant?

–Répondez d’abord à ma question: quelle est votre fortune?

–Oh! ne vous inquiétez pas, voisin. On a de quoi payer. Il faudra peut-être se saigner un peu. Mais madame Fo-hi s’achètera une robe de moins. Je renverrai l’un de mes commis et je ferai sa besogne. J’ai encore bon pied, bon œil, et le cœur à l’ouvrage.

–J’en suis persuadé: aussi n’est-ce pas cela que je vous demande. Quelle fortune pouvez-vous donner à votre fils, le jour où il aura terminé ses études?

–Comment! quelle fortune?

–Oui; le sanscrit n’est un gagne-pain que pour ceux qui l’enseignent; j’ai mangé le pain qu’il gagne, et je ne le souhaite à personne.

–Mais on m’a toujours dit que le sanscrit mène à tout.

–On risque fort, en prenant un chemin qui mène partout, de n’arriver nulle part. Le sanscrit est l’ornement d’une grande fortune; ce n’est pas un moyen de la gagner. Il est fort difficile de tenir son rang dans la bonne compagnie, si l’on ne sait pas quelque peu cette vieille langue, et les choses dont on s’instruit en l’apprenant. Mais il est impossible d’y entrer sans gants frais, ni bottes vernies. Avez-vous de quoi lui acheter des bottes?

–Il aura une place.

–La place qu’il aura ne lui donnera que du pain, et le forcera d’avoir des bottes. L’empereur a trop de gens à son service pour les payer bien cher. Il leur donne juste de quoi ne pas mourir de faim; mais il exige d’eux, en revanche, qu’ils soient vêtus et logés comme des gens qui le représentent, à quelque degré que ce soit. Vous savez l’arithmétique, mon cher voisin, puisque vous êtes négociant. Que diriez-vous d’un fonds de commerce que vous achèteriez dix mille taëls, et qui vous en rapporterait cinq cents par année en occupant vos jours et vos nuits; ce serait une mauvaise affaire, n’est-ce pas? C’est précisément celle où vous vous engagez. L’éducation d’un jeune homme dure quatorze ou quinze ans, dont dix passés au collège, et trois ou quatre dans les écoles spéciales. Comptez un peu ce que vous aurez déboursé par chaque a; ajoutez à cette somme les intérêts composés, et vous aurez au bout de ce temps un assez joli capital, placé sur la tête de votre fils. Si vous le lui donniez en argent ou en terre à sa majorité, il partirait de là pour se créer une grande fortune et une position considérable. Vous le lui remettez en sanscrit; il obtient une place qui l’enchaîne du matin au soir, qui lui ferme tout espoir d’être jamais ni riche, ni indépendant, et dont le produit représente à peine l’intérêt du capital engagé. Cela est-il clair?

–Mais, cependant, dit l’épicier en se grattant l’oreille, M. le directeur du collège où j’ai conduit mon fils hier.

–Ah! vous avez mis votre fils au collège hier?

–Eh! sans doute!

–Vous avez fort bien fait, alors je vous conseille de l’y laisser.

–Je suis ravi que vous pensiez de la sorte. On m’avait bien dit que vous étiez un habile homme. Toutes les fois que vous aurez besoin de riz ou de sucre, venez chez nous; il y en aura pour vous d’excellent, et au plus juste prix.

Les misères d'un fonctionnaire chinois

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