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XI. — L’EXPÉDITION D’ÉGYPTE.

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Table des matières

Héros! tout est guerrier pour voler sur vos traces.

L’Égypte de ses feux, les Alpes de leurs glaces

S’armeront vainement pour arrêter vos pas.

CARRION-NISAS.

Le 19 mai 1798, Bonaparte s’embarqua avec l’armée navale, composée de treize vaisseaux de ligne, de quatre-vingt-dix navires de guerre, frégates, cutters, chaloupes canonnières, et de plus de trois cents bâtiments de transport. «Par un hasard singulier, dit M. de Norvins, le nom du vaisseau amiral, que montait Bonaparte, renfermait à lui seul le secret de l’expédition. Ce vaisseau était l’Orient. Ce soleil, qu’on appela si souvent le soleil de Napoléon, éclaira le majestueux départ de la Hotte française, qui mit à la voile au bruit du canon et aux acclamations unanimes de l’armée.

» La traversée ne fut pas exempte d’inquiétudes. On s’attendait à tout moment à l’apparition des Anglais, qui sillonnaient la mer en tous sens.»

Le général rallia trois convois de Cività-Vecchia, d’Ajaccio et de Gênes, et s’en fit accompagner pour éviter l’attention des Anglais jusqu’aux côtes de Sicile, et il fit diriger sur Malte. Le 9 juin, il arriva en vue de cette île célèbre, dont le port magnifique passe pour imprenable. Il obligea le grand maître des chevaliers de Malte à capituler et prit possession de cette place importante le 12 juin.

Quoiqu’il sût que les Anglais étaient à sa poursuite, il resta là une semaine à établir une administration sérieuse. Il en partit le 19 juin, laissant dans l’île trois mille hommes de sa petite armée et emmenant avec lui tous les bâtiments de guerre qui se trouvaient dans le port.

Le 1er juillet, la flotte française était en vue d’Alexandrie, où l’on allait débarquer. Alors seulement Bonaparte annonça aux soldats que, par de nouveaux exploits, ils allaient surpasser ceux qui étonnaient déjà leurs admirateurs. Et comme ils allaient combattre les musulmans, il leur dit:

«Agissez avec eux comme vous avez agi avec les juifs et

» avec les Italiens; ayez des égards pour leurs muphtis et

» leurs imans, comme vous en avez eu pour les rabbins et

» pour les évêques. Ayez pour les cérémonies que prescrit le

» Koran, pour les mosquées, la même tolérance que vous avez

» eue pour les couvents, pour les synagogues, pour la religion

» de Moïse et pour celle de Jésus-Christ. Les légions romaines

» protégeaient toutes les religions.»

Si ces paroles ont semblé à plusieurs en désaccord avec les sentiments chrétiens de Napoléon Bonaparte, n’oublions pas qu’alors tout était encore dans un vague déisme, et que le chef de l’expédition devait ménager toutes les opinions.

On débarqua ce jour même, 1er juillet, et le 2 Alexandrie fut prise d’assaut. Aussitôt, le général en chef publia en arabe la proclamation suivante, qui devait rassurer le pays envahi:

«Depuis trop longtemps les mameluks, ce ramassis d’esclaves, achetés dans le Caucase et la Géorgie, tyrannisent la plus belle partie du monde. Dieu, de qui tout dépend, a ordonné que leur empire finît.

» Peuples de l’Égypte, on vous dira que je viens détruire votre religion; ne le croyez pas; répondez que je viens vous restituer vos droits, punir les usurpateurs, et que je respecte, plus que les mameluks, Dieu, son Prophète et le Koran.

» Dites-leur que tous les hommes sont égaux devant Dieu; la sagesse, les vertus, les talents mettent seuls de la différence entre eux. Or, quelle sagesse, quels talents, quelles vertus distinguent les mameluks, pour qu’ils aient exclusivement tout ce qui rend la vie agréable et douce?

» Si l’Égypte est leur ferme, qu’ils montrent le bail que Dieu leur en a fait. Mais Dieu est juste et miséricordieux pour le peuple. Tous les Égyptiens sont appelés à remplir toutes les places: que les plus sages, les plus instruits gouvernent, et le peuple sera heureux.

» Cadis, cheiks, imans, dites au peuple que nous sommes les amis du Grand Seigneur (que Dieu accomplisse ses desseins!) et les ennemis de ses ennemis, tandis que les mameluks sont toujours soulevés contre le Grand Seigneur, qu’ils méconnaissent.

» Trois fois heureux donc ceux qui seront avec nous! ils prospéreront dans leur fortune et leur rang. Heureux aussi ceux qui seront neutres: ils auront le temps de nous connaître et ils se rangeront avec nous. Mais malheur, trois fois malheur, à ceux qui s’armeront pour les mameluks et combattront contre nous! il n’y aura pas d’espérance pour eux, et ils périront .»

Le 5 juillet, les Français étaient maîtres des deux ports d’Alexandrie; ils s’avancent dans les terres; et le 7, la gracieuse ville de Rosette, sur le chemin du Caire, leur ouvre ses portes et les reçoit. Le 11, le 12 et le 14 juillet, il y eut des batailles à Damanhour, à Ramanieh et à Chébreïss. Les Français firent connaissance là avec la manière de combattre des mameluks, qui bondissent, fuient et reviennent comme les Arabes, que nos troupes ont si longtemps repoussés en Algérie. Le 21 juillet, Bonaparte et son corps d’armée aperçoivent les pyramides, et, à droite, les innombrables minarets du Caire; mais en même temps ils voient déployé devant eux le corps des mameluks, dans leurs brillants costumes et sur leurs beaux chevaux richement équipés. Bonaparte range son armée, et indiquant de sa main droite les pyramides, il ne dit que ces mots: «Soldats, vous allez combattre les dominateurs de l’Égypte. Songez que, du haut de ces monuments, quarante siècles vous contemplent.»

Il ordonne en même temps à tous les rangs de ne pas s’élancer, comme en Italie, mais d’attendre l’ennemi et de ne tirer qu’à bout portant. L’ennemi était deux fois au moins plus nombreux que nous. Mourad-Bey, l’un des chefs, commandait la droite des mameluks, Ibrahim-Bey la gauche; mais celui-là, entouré de ses femmes et de son butin, décidé à fuir du Caire si les Français étaient vainqueurs. Ils le furent complétement; et, après une défaite immense, les mameluks abandonnèrent leur camp, leurs canons, leurs chameaux, tous leurs bagages et tout le butin qu’ils avaient laissé, près de là, dans le village d’Embabeh.

Le lendemain, 22 juillet, la grande ville du Caire, qu’Ibrahim-Bey avait abandonnée, ouvrit ses portes au vainqueur.

Mourad-Bey n’emmenait dans sa fuite que deux mille cinq cents mameluks; et Ibrahim-Bey, se sauvant seul avec ses esclaves, gagnait la Syrie.

Avec ses vaillants soldats, Bonaparte, dont le génie voulait régénérer l’Égypte, avait emmené une cohorte de savants et d’artistes. Dans les quelques jours de repos que lui donna la conquête du Caire, il organisa l’administration du pays, en même temps qu’il fondait l’Institut d’Égypte. Les artistes et les savants se mirent à l’œuvre aussitôt: les premiers pour reproduire les monuments et les antiquités de l’Égypte ancienne, et les mœurs de l’Égypte endormie dans le mahométisme; les savants et les écrivains pour recueillir les faits; et, lorsque les odieuses jalousies de l’Angleterre feront échouer le réveil de ce pays autrefois si célèbre, il restera au moins de l’expédition française un monument digne de la grandeur de l’homme qui ne négligeait rien .

Dix jours après la victoire des Pyramides, la flotte qui avait amené les Français en Égypte, attaquée par les Anglais, bien plus nombreux, fut battue et détruite, excepté quelques navires qui purent s’échapper. Les amiraux Brueys et du Petit-Thouars et plusieurs capitaines de vaisseau se firent tuer là, après avoir si vaillamment combattu, que l’honneur fut sauvé. Cette journée porte dans l’histoire le nom de bataille d’Aboukir, ainsi désignée parce qu’elle s’est livrée près de l’île d’Aboukir, formée par le Nil non loin d’Alexandrie.

La perte de la flotte troubla un instant les généraux, Bonaparte seul se montra impassible; il se contenta de dire:

«Nous n’avons plus de flotte, eh bien! il faut rester ici, pour

» en sortir grands comme les anciens .»

Mais Napoléon posait pour rassurer l’armée; il a exprimé ses vrais sentiments d’alors dans ses Mémoires. «La perle de la bataille d’Aboukir, dit-il, eut une grande influence sur les affaires d’Égypte, et même sur celles du monde. La flotte française sauvée, l’expédition de Syrie n’éprouvait point d’obstacles; l’artillerie de siège se transportait sûrement et facilement au delà du désert, et Saint-Jean d’Acre n’arrêtait pas l’armée française. La flotte française détruite, le Divan s’enhardit à déclarer la guerre à la France. L’armée perdit un grand appui; sa position changea totalement, et Napoléon dut renoncer à l’espoir d’assurer à jamais la puissance française dans l’Orient par les résultats de l’expédition d’Égypte .»

Quatre jours après le désastre d’Aboukir, l’armée française s’avançait en combattant, et victorieuse toujours. Le 5 août, combat d’El-Hanka; le 10, combat de Salahieh; le 12, combat de Remerieh et prise de chacune de ces places, que l’on ne connaît que par le passage de nos troupes. Le 18, Bonaparte fait rompre, en grande pompe, la digue qui retient les eaux du Nil au Caire. Le 20, il fait célébrer avec faste la fête nationale des musulmans. Le 21, il installe l’Institut d’Égypte, dont les travaux sont une de nos gloires.

Le 6 septembre, combat de Behnès; le 15, combat de Schabbas-Amer; le 17, les Arabes défaits à Gémélé ; le 22 septembre, fête anniversaire au Caire de la fondation de la République; le 29, combat de Mit-el-Haroun; le 4 octobre, combat de Matarieh; le 8, bataille de Sédiman, où trois beys, beaucoup d’autres chefs et un corps de mameluks restent sur le champ de bataille.

Le 21 octobre, une violente insurrection éclate au Caire, sous des prétextes religieux, et non en réalité à cause des impôts, comme on l’a écrit. Elle était excitée par une proclamation du Sultan, dont nous citerons quelques passages. On y lisait:

«Le peuple français (Dieu veuille l’exterminer et couvrir de honte ses drapeaux 1) est une nation d’infidèles et de scélérats sans frein. Pour ces hommes, le Koran, le Vieux Testament et l’Évangile ne sont que des fables. 0 vous! défenseurs de l’Islamisme, protecteurs de la foi, adorateurs du seul Dieu, vous qui croyez à la sainte mission de Mahomet, marchez tous au combat, sous la protection du Dieu très-grand; vos cimeterres sont tranchants, vos flèches sont aiguës, vos lances effilées, vos canons vomissent la foudre. Des troupes, aussi nombreuses que terribles, vous arrivent par terre, en même temps que des vaisseaux aussi hauts que des montagnes couvrent les mers et voguent à votre aide. C’est à vous que Dieu réserve la destruction de ce peuple infidèle. Bientôt, comme la poussière que les vents dispersent, il ne restera plus sur notre terre aucun vestige des Français; car la promesse de Dieu est formelle: l’espoir des méchants sera trompé, et les méchants périront. Gloire à Dieu!»

Le général Dupuis, l’aide de camp Sulkowski avaient été égorgés, et c’en était fait de tous les Français, si Bonaparte n’eût pas été leur chef. Sans s’effrayer, il entre aussitôt dans la ville, entièrement soulevée; il dirige ses canons à travers les rues, et par des mesures promptes et violentes, mais indispensables, il repousse la masse insurgée dans la grande mosquée du Caire, leur offre la paix, et sur leur refus les fait mitrailler, sans pitié dès lors, car les rigueurs seules pouvaient nous sauver.

Le calme, brisé par la révolte furieuse, fut rétabli par le châtiment, et Bonaparte réfuta la proclamation du Sultan par une autre où on lisait: «Cessez de fonder vos espérances

» sur vos sultans. Mettez votre confiance en Celui qui dispose

» à son gré des empires et qui a créé les humains; et n’oubliez

» pas que le plus religieux des prophètes a dit: «La sédition

» est endormie, maudit soit celui qui la réveillera!»

Deux mois après, Bonaparte rétablit au Caire le Divan, qu’il avait supprimé en châtiant la révolte; et cette ville ne s’agita plus. Il profita de quelques jours de calme, où l’on ne voit que des rencontres peu importantes, pour aller faire une reconnaissance à Suez; car il projetait le percement de l’isthme qui s’accomplit de nos jours. Il arriva à Suez le 27 décembre, et le 31 il traçait ce grand travail, qui doit si largement abréger le chemin de l’Inde.

La vie et les légendes intimes des deux empereurs, Napoléon Ier et Napoléon II

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