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XV. — LE PASSAGE DU MONT SAINT-BERNARD.

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Dominus custodit te; Dominus protectio tua.

PSAUME CXX.

Parti de Paris le 6 mai, Bonaparte arrive le 8 à Genève, où l’armée de réserve le rejoint en peu de jours; le 13, le 14 et le 15, il passe ses troupes en revue, et successivement l’infanterie se met en marche. Il part lui-même suivi de la cavalerie; et toute cette armée triomphe vaillamment des difficultés de tout genre que présentaient dans les Alpes les neiges, les glaces, les torrents et les précipices. Le Premier Consul seul courut un danger, qui doit nous arrêter un moment.

Charles Nodier, dans le récit assez court d’une excursion au mont Saint-Bernard , après avoir dépeint, avec le charme qu’on lui connaît, les sites gracieux et terribles de ce géant des Alpes, entraîne son lecteur de Marigny à la Valette, de la Valette au village de Saint-Branchier, de Saint-Branchier à Orsières, d’Orsières à Liddes, d’où les chars ne vont pas plus loin. Et à peu de distance de Liddes, il entame l’aventure intéressante et grave du général en chef de l’armée d’Italie.

«Après une demi-heure de marche, dit-il, on arrive à une ville, ou plutôt à une rue longue, rapide, tortueuse, qu’on appelle le bourg Saint-Pierre, et qui aboutit à un pont jeté sur la Drance de Valsorey, car le nom de Drance paraît, dans ce pays, le nom générique des torrents. L’aspect du précipice où celui-ci va tomber a quelque chose de terrible, et la tradition commune le rend encore plus imposant. Bonaparte, au passage du Saint-Bernard, avait fait conduire un mulet sur la route étroite qui serpente au-dessus de ces abîmes, et il s’élançait sur lui avec cette audace qui ne connaissait pas plus la résistance que le péril. Le sauvage coursier, volontaire et mutin comme ses pareils, se révolta contre l’autorité de cet homme, qui venait d’imposer si facilement le frein du pouvoir à une grande nation éprise de l’indépendance. Le mulet fit un faux pas, et Bonaparte allait disparaître, quand son guide intrépide le saisit et le retint par ses vêtements, suspendu au-dessus des plages profondes de la Drance de Valsorey.

» De quelles circonstances inaperçues dépendent le plus souvent ces périodes de gloire, dont l’histoire s’empare avec tant d’orgueil! Que devenait le monde si un accident vulgaire avait brisé à la première maille le vaste réseau dont son maître futur se préparait à l’envelopper? A quel autre bras la Providence aurait-elle confié la force de châtier les nations et les rois, et de relever les autels et les trônes? Mais elle ne lui avait pas donné en vain le mont Saint-Bernard pour marchepied; et elle ne plaça cette première embûche devant ses pas que pour mieux manifester son appui; car le règne de ce héros, choisi parmi les trésors de sa puissance, était le seul moyen de salut qu’elle eût laissé alors à la société. Si elle n’avait pas pourvu son cœur de volonté et sa main de vigueur, cette tourbe, qui redeviendra chrétienne, danserait encore sur les ruines des temples, autour de la croix abattue....»

Le passage du Saint-Bernard, commencé le 16 mai 1800, fut accompli en cinq jours. Le Premier Consul, qui veillait à tout, ne passa que le 19, comme on l’a vu, sur son mulet, tant qu’il fallut monter.

Or, après le bon office que lui avait si vivement rendu le brave Dorsas, son guide, Bonaparte, qui, à côté de sa fermeté intrépide et de sa foi en Celui de qui il comprenait qu’il avait une mission, portait dans son cœur une grande générosité, la laissa s’épanouir un peu. Il demanda à son vaillant conducteur s’il était heureux,

«Je suis heureux avec ma femme et mes jeunes enfants, répondit Dorsas, mais il nous manque quelque chose.

— Ne gagnez-vous pas assez dans votre état, souvent périlleux?

— Je ne m’en plains pas, général, mais...

— Mais quoi? N’avez-vous pas la santé ?

— Parfaitement, général, moi, mes enfants et ma femme.

— Eh bien donc?

— C’est que, pour être heureux, il nous faudrait un de ces chalets, comme vous en voyez la-bas, avec un peu de terre et une vache. Ma femme et mes enfants ne demandent pas autre chose.

— Et combien peut coûter un de ces chalets?

— Avec un peu de terre, de votre monnaie de France, peut-être deux mille francs. C’est long à ramasser.

— Ayez bon espoir, vous êtes un honnête homme, et la Providence vous aidera.»

Le silence succéda à cet entretien de quelques moments, et on arriva à l’hospice du Saint-Bernard, où les soldats français avaient trouvé abondamment de quoi se refaire.

Le Premier Consul, que ceux qui ne le connaissaient pas ne prenaient que pour un simple général, écrivit ou dicta une lettre qu’il fit porter sur-le-champ du côté du bourg Saint-Pierre. Il chargea son guide d’une commission d’un côté opposé qui devait le retenir deux jours, et il lui donna trois louis d’or pour la conduite qu’il lui avait faite, et deux autres pour sa commission.

«Oh! que vous êtes bon, général! dit Dorsas; quelques aubaines comme la vôtre m’aideraient bien largement....»

Après ses commissions honnêtement faites, il regagna sa vallée. Comme il s’en approchait d’un pas joyeux, il aperçut sa femme et ses deux enfants, qui le guettaient depuis longtemps et qui venaient en se hâtant à sa rencontre, avec de vives démonstrations de joie.

Leur joie paraissait si animée, qu’il leur en demanda le sujet.

«Tu le sauras tout à l’heure, lui dit sa femme avec un regard ardent d’allégresse, pendant que les enfants, formant son avant-garde, entraient d’un air vainqueur dans un chalet de bonne mine.

— Que vont-ils faire là ? demanda Dorsas.

— Ils te montrent le chemin; car c’est ici chez nous.» Qu’on imagine la joie et la surprise. C’était le général qu’il venait de conduire qui lui faisait ce cadeau. Après une heure de transports, qui se sentent, mais qui ne s’expriment pas, Dorsas retourna au Saint-Bernard pour remercier son bienfaiteur. Mais il était déjà loin. Il apprit que celui qu’il avait conduit était le général Bonaparte, premier consul de la République française, et qu’il venait déjà de battre les Autrichiens.

«Que Dieu, s’écria-t-il, lui donne bonnes chances!»

Un religieux du Saint-Bernard répondit: «Il les mérite, et il les aura.»

Les vénérables moines avaient entouré de tant de soins l’armée française à son passage, que le Premier Consul les avait pris formellement sous sa plus généreuse protection. Il leur avait largement assuré des ressources pour l’exercice de leur charité plus qu’héroïque.

Il est triste que la Suisse ait entamé indignement des possessions aussi sacrées.

La vie et les légendes intimes des deux empereurs, Napoléon Ier et Napoléon II

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