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XVII. — LA MACHINE INFERNALE.

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Table des matières

D’où partent ces cris de terreur?

Le danger d’un grand homme alarme un peuple immense.

Pourquoi tant d’allégresse après tant de douleur?

Le salut d’un grand homme a rassuré la France....

FLINS.

Le Premier Consul reprenait ses travaux, veillant à tout, s’occupant de tout rétablir, ménageant tous les partis pour les fondre dans le seul sentiment national. Il avait fait rouvrir toutes les églises, et les offices religieux se faisaient avec sécurité. C’est en ce moment que le comte de Provence écrivit au vainqueur de Marengo une première lettre. L’abbé de Montesquiou la fit remettre à Bonaparte par le consul Lebrun. Voici cette lettre:

«Quelle que soit leur conduite apparente, des hommes

» tels que vous, Monsieur, n’inspirent jamais d’inquiétudes.

» Vous avez accepté une place éminente, et je vous en sais

» gré. Mieux que personne, vous avez ce qu’il faut de force

» et de puissance pour faire le bonheur d’une grande nation.

» Sauvez la France de ses propres fureurs, et vous aurez

» rempli le vœu de mon cœur. Rendez-lui son Roi, et les géné-

» rations futures béniront votre mémoire. Vous serez trop

» nécessaire à l’État pour que je songe à acquitter seulement

» par des places importantes la dette de mon agent et la

» mienne.

» LOUIS.»

- Le Premier Consul lut cette lettre tout haut et dit ensuite à son collègue Lebrun: «Je ne comprends pas cette dernière phrase. Mais si Louis XVII eût vécu, il serait aujourd’hui sur le trône. Quant aux deux frères de Louis XVI, rebelles à leur Roi, ils ont entraîné la désertion; et les déserteurs perdent leurs grades, s’ils en ont.»

Il laissa la lettre sans réponse.

Peu de temps après, il en arriva, par les mêmes voies, une seconde, que voici encore:

«Depuis longtemps, général, vous devez savoir que mon

» estime vous est acquise. Si vous doutiez que je fusse suscep-

» tible de reconnaissance, marquez votre place, fixez le sort

» de vos amis. Quant à mes principes, je suis Français; clé-

» ment par caractère, je le serais encore par raison.

» Non, le vainqueur de Lodi, de Castiglione et d’Arcole,

» le conquérant de l’Italie, ne peut pas préférer à la gloire une

» vaine célébrité. Cependant, vous perdez un temps précieux.

» Nous pouvons assurer la gloire de la France; je dis Nous,

» parce que j’aurais besoin de Bonaparte pour cela, et qu’il ne

» le pourrait pas sans moi.

» Général, l’Europe vous observe; la gloire attend; et je

» suis impatient de rendre la paix à mon pays.

» LOUIS»

Le Premier Consul, pour couper court à une telle correspondance, répondit au Prince:

«Paris, 20 fructidor an VIII (7 septembre 1800).

» J’ai reçu, Monsieur, votre lettre. Je vous remercie des

» choses honnêtes que vous m’y dites. Vous ne devez plus

» souhaiter votre retour en France: il vous faudrait marcher

» sur cent mille cadavres. Sacrifiez votre intérêt au repos et

» au bonheur de la France. L’histoire vous en tiendra compte.

» Je ne suis pas insensible au malheur de votre famille. Je

» contribuerai avec plaisir à l’adoucir, et à la tranquillité de

» votre retraite.

» BONAPARTE.»

La tentative du comte de Provence avait été ébruitée; et lorsqu’on apprit qu’elle avait échoué, les royalistes se montrèrent furieux. Mais pourtant ils se mêlèrent peu aux conspirations, quoique, dit-on, ils n’eussent pas été fâchés de leur succès.

Les plus ardents ennemis du Premier Consul étaient les jacobins, nombreux encore, et les adorateurs de la déesse Raison. Tous les ennemis de Dieu et de l’Église se levaient contre l’homme éminent qui relevait les autels et qui méprisait les utopies des renégats; et cette tourbe était nombreuse.

La sagesse inespérée que déployait Bonaparte ne convenait donc pas à tout le monde. Les dix années de désordres et d’excès monstrueux qui venaient de clore le dix-huitième siècle avaient produit en France, et surtout dans les grands centres, une vaste écume d’hommes prêts à tout. Ceux qui avaient pillé les châteaux et saccagé les églises dévastaient les campagnes. Qu’on se rappelle les chauffeurs et d’autres bandits, que le Premier Consul pourra seul bientôt faire disparaître. Les terroristes hurlaient de se voir détrônés. Leurs adhérents se dressaient contre le régime de l’ordre. Quelques royalistes, dit-on, mais ceux-là gens de sac et de corde, qui ne simulaient un dévouement bourbonien que pour avoir de l’argent, s’enrôlaient sous le drapeau des conspirateurs.

On manœuvrait donc dans les ténèbres. La police heureusement s’éclairait.

Cependant Bonaparte, comptant sur la Providence, qu’il appelait encore devant ceux qui l’entouraient «ma fortune ou mon étoile», car le temps l’exigeait en quelque sorte, Bonaparte poursuivait sans se troubler sa mission de régénérer la France. Dans la paix avec l’Allemagne, il voulait faire entrer l’Angleterre, qui soudoyait tous nos ennemis. Mais il ne put obtenir d’elle des conditions raisonnables. Les Anglais redoutaient jusqu’à sa générosité. Il ne traita donc qu’avec l’Empereur.

Le 10 octobre de cette année 1800, la police arrêta, dans les couloirs de l’Opéra, Demerville, Ceracchi, Aréna, Topino-Lebrun et quelques autres qui cherchaient à assassiner le Premier Consul, et qui étaient payés pour cela par un comité occulte que soutenait l’argent des Anglais. Ces misérables étaient sept ou huit, leur crime s’expia sur l’échafaud .

Six semaines après, un complot plus formidable fit frémir Paris. C’est celui de la machine infernale. Le soir du 24 décembre, on savait que le Premier Consul devait aller à l’Opéra. C’était annoncé partout. Mais, depuis un certain temps, on savait aussi que les jacobins préparaient un coup combiné.

Un jacobin exalté, nommé Chevalier, occupé dans les ateliers d’artillerie de Meudon, avait imaginé la machine infernale. C’était un baril incendiaire, dans la construction duquel il était aidé par un nommé Veyser. Ils cherchèrent le moyen de l’introduire dans le palais consulaire, ce qui ne leur fut pas possible. Alors ils voulurent l’essayer, pour en connaître la portée; ce qu’ils firent derrière la Salpêtrière, dans un champ désert alors, et au milieu de la nuit. L’explosion fut si épouvantable, qu’ils abandonnèrent ce projet. La police était éveillée; ce qui n’empêcha pas d’autres furieux d’admirer l’horrible invention, et d’en préparer l’emploi. Ils manœuvrèrent si habilement que personne n’avait rien soupçonné, lorsqu’un homme, qu’à ses manières et à son vêtement on prenait pour un porteur d’eau, arrêta sa charrette au milieu de la rue de Rohan, appelée alors rue Marceau. Cette rue conduisait de la place du Carrousel à la rue Saint-Honoré ; elle a été supprimée dans les deux tiers de sa longueur, et le lieu où la charrette s’arrêta est occupé par une des arcades élevées pour la réunion des Tuileries au Louvre. Personne ne remarqua cette charrette à bras, sinon pour s’en garer comme on dit; car, elle occupait la moitié de la rue alors étroite (elle n’avait que vingt pieds de large), et les bornes, qui ont précédé nos trottoirs, envahissaient deux pieds au moins de chaque côté.

C’était, comme on l’a dit, le 24 décembre. Il était six heures du soir.

Trois quarts d’heure après, le Premier Consul descendit dans la cour des Tuileries et monta en voiture. Il avait pour cocher le cocher de Louis XVI; les gardes consulaires qui précédaient la voiture avaient passé deux à deux en se serrant un peu; et des curieux, qui étaient venus pour saluer le passage du héros populaire, disaient qu’on devrait déranger cette charrette. Mais ils n’en eurent pas le temps. Le cocher, qui était habile et qui savait son maître peu patient, vit qu’il pouvait passer. Il lança ses chevaux, frisa l’essieu de la charrette. Deux secondes après il était dans la rue Saint-Honoré, quand le tonneau, qu’on croyait plein d’eau, mais qui était plein de poudre et de mitraille, éclata avec un horrible fracas.

Ceux qui avaient mis le feu à la mèche avaient calculé le moment de l’explosion sur le train ordinaire de la voiture; et Dieu, sans la volonté duquel rien n’arrive, les avait déjoués.

Cependant l’explosion, outre d’immenses dégâts, avait tué vingt-deux personnes et en avait blessé cinquante-six.

La secousse avait été si violente dans le voisinage, que Bonaparte, en tournant la rue de Richelieu, où était alors l’Opéra, demandait si on ne marchait pas sur un terrain miné .

La nouvelle de ce nouveau crime était déjà apportée dans la salle, où tous les spectateurs palpitaient d’épouvante, quand le Premier Consul entra, calme et serein, dans sa loge. Ce furent alors des transports de joie tels, qu’on eût dit que toute cette masse était folle d’ivresse; et ce fut pour le Premier Consul un de ces triomphes qui affermissent un homme.

On découvrit que les auteurs de la machine infernale étaient un marin nommé Saint-Régent, avec Carbon, Lahaie Saint-Hilaire, Joyaut et Limoëlan. Mais ils avaient de nombreux complices.

Les républicains accusèrent du forfait les royalistes. Mais Bonaparte, plus clairvoyant, vit dans cette abominable action les jacobins, qui, dérangés par le retour de l’ordre, suivaient les traces d’Aréna et de Ceracchi.

Une mesure de police fit déporter à ce sujet cent trente jacobins. Saint-Régent et Carbon portèrent leurs têtes sur l’échafaud.

La masse des Français, qui avait conservé les sentiments religieux, regarda dès lors Bonaparte comme l’élu de la Providence, et lui-même sentit ce qu’il devait à Dieu.

Il méditait, depuis ses premiers succès en Italie, le rétablissement complet du culte catholique. Il en voulut hâter le moment. La paix avec l’Allemagne, dont on n’avait eu que les préliminaires, fut signée à Lunéville, le 12 février 1801. Ce fut pour toute la France une nouvelle fête. Le jour où elle fut proclamée, les Parisiens vinrent danser sous les fenêtres du Premier Consul, dans le jardin des Tuileries; et, par une gracieuse prévenance, les musiciens de la garde consulaire s’empressèrent d’animer ces danses, qui étaient encore un hommage.

La vie et les légendes intimes des deux empereurs, Napoléon Ier et Napoléon II

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