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V. — LA PRISE DE TOULON.

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Table des matières

Mes pareils à deux fois ne se font pas connaître,

Et, pour leur coup d’essai, veulent des coups de maître.

PIERRE CORNEILLE.

Napoléon, en Corse, avait appris avec horreur le martyre de ce roi à qui il devait son éducation; et en admettant les idées nouvelles en tout ce qu’elles avaient d’équitable, il réprouvait ces jours de sang qu’on a si justement appelés le règne de la terreur.

La chute des Girondins et le triomphe de la Montagne, événements que nous ne pouvons décrire ici, avaient indigné jusqu’à la révolte le Midi et l’Ouest. Toulon, Marseille, Lyon, Bordeaux, Caen, Avignon et d’autres centres s’étaient insurgés contre Paris. La ville de Lyon fut reprise le 9 octobre 1793, saccagée, en partie détruite; le jeune Napoléon fut étranger à cette horrible affaire. On l’envoya comme officier du génie, avec deux canons, au siège de Toulon.

Cette ville, revenant au royalisme, entraînée par des étrangers, avait livré son port le 29 août aux Anglais, qui se présentaient et se disaient les alliés de Louis XVII. Lorsque les habitants apprirent que les montagnards avaient repris Lyon, et que Couthon, secondé d’autres bourreaux, décimait les habitants et brûlait leurs maisons, ils voulurent reculer sur leur insurrection. Mais ils ne le purent. Les Espagnols, unis alors aux Anglais, leur représentèrent qu’ils s’étaient trop compromis pour espérer qu’on leur fit grâce; et ils se virent réduits à reconnaître qu’en se livrant aux étrangers ils ne s’appartenaient plus: des Anglais, des Piémontais, des Espagnols et des Napolitains occupaient les forts et tous les postes, peu inquiets de ce qui pouvait arriver, puisqu’ils avaient des flottes prêtes à les recevoir.

Il était donc plus important de reconquérir Toulon que toute autre place. Pendant plus de deux mois, le général Cartaux, envoyé là avec huit mille hommes, et le général Lapoype avec quatre mille n’avaient fait autre chose qu’établir un blocus inutile, puisque la mer était ouverte aux assiégés.

Pendant ce temps-là le jeune Bonaparte, lieutenant d’artillerie, avait secondé le général Cartaux dans sa mission de repousser les Marseillais maîtres d’Avignon; et ce fut lui, le jeune officier, qui les en chassa; il expulsa les mêmes rebelles de Beaucaire, et enfin il arriva devant Toulon, avec le grade de chef de bataillon d’artillerie.

A Sainte-Hélène, il a raconté lui-même son entrée, et nous ne pouvons la décrire mieux que lui:

«Napoléon arrive au quartier général. Il aborde le général Cartaux, homme superbe, doré depuis les pieds jusqu’à la tête, qui lui demande ce qu’il y a pour son service. Le jeune homme présente modestement sa lettre, qui le chargeait de venir, sous ses ordres, diriger les opérations de l’artillerie. «C’était bien inutile, dit le bel homme en caressant sa moustache; nous n’avons plus besoin de rien pour reprendre Toulon. Cependant, soyez le bienvenu; vous partagerez la gloire de le brûler demain, sans en avoir la fatigue.» Et il le retint à souper.

» On s’assied trente à table; le général seul est servi en prince; tout le reste meurt de faim; ce qui, en ces temps d’égalité, choqua, étrangement le nouveau venu. Au point du jour, le général le prend dans son cabriolet pour aller admirer, disait-il, les dispositions offensives. A peine a-t-on dépassé la hauteur et découvert la rade, qu’on descend de voiture et qu’on se jette sur les côtes, dans les vignes. Le commandant d’artillerie aperçoit alors quelques pièces de canon, quelques remuements de terre auxquels, à la lettre, il lui est impossible de rien comprendre.

«Sont-ce la nos batteries? dit fièrement le général, parlant à son aide camp, qui était son homme de confiance.

— Oui, général.

— Et notre parc?

— Là, à quatre pas.

— Et nos boulets rouges?

— Dans les bastides voisines, où deux compagnies les chauffent depuis ce matin.

— Mais comment porterons-nous ces boulets rouges?....»

Et ici les deux hommes de s’embarrasser et de demander à l’officier d’artillerie si, par ses principes, il ne saurait pas quelque remède à cela. Celui-ci, qui eût été tenté de prendre le tout pour une mystification, si les deux interlocuteurs y eussent mis moins de naturel (car on était au moins à une lieue et demie de l’objet à attaquer), employa toute la réserve, le ménagement, la gravité possibles, à leur persuader, avant de se préoccuper des boulets rouges, d’essayer à froid pour bien s’assurer de la portée. Il eut beaucoup de peine à réussir, et encore ne fut-ce que pour avoir très-heureusement employé l’expression technique de coup d’épreuve, qui les frappa beaucoup et les ramena à son avis.

On tira donc ce coup d’épreuve; mais il n’atteignit pas au tiers de la distance; et le général et son aide de camp de vociférer contre les Marseillais et les aristocrates, qui auront, malicieusement sans doute, gâté les poudres. Cependant arrive à cheval le représentant du peuple: c’était Gasparin, homme de sens, qui avait servi. Napoléon, jugeant dès cet instant toutes les circonstances environnantes, et prenant audacieusement son parti, se rehausse tout à coup à six pieds, interpelle le représentant, le somme de lui faire donner la direction absolue de sa besogne, démontre sans ménagement l’ignorance inouïe de tout ce qui l’entoure, et saisit dès cet instant la direction du siège, où dès lors il commande en maître....

Les Anglais étaient dans Toulon, ville bien fortifiée, et ils occupaient les forts: élevés sur les montagnes qui environnent la place, ces forts la protégeaient contre une attaque du côté de la mer. L’un de ces bastions, qu’on appelait le fort Mulgrave et que les Anglais appelaient le petit Gibraltar, paraissait imprenable. Les Anglais l’avaient hérissé de mortiers et de canons. Napoléon, jugeant sur-le-champ, de son coup d’œil d’aigle, la situation, dit à Cartaux en désignant le fort Mulgrave: «C’est là qu’est Toulon! «Cartaux n’était pas de force à le comprendre. Il haussa les épaules, et, dirigeant son doigt vers la ville, il répondit: «Mais non, c’est là !»

Chargé seul du commandement et de la direction de l’artillerie, Napoléon, que soutenait Gasparin, s’occupa de l’organiser sérieusement. Par bonheur pour lui, Cartaux, qui n’avait rien pu faire, fut rappelé et remplacé par Dugommier, qui comprit sur-le-champ son jeune commandant d’artillerie, agit de concert avec lui, et le siège devint plus actif. Mais les préparatifs sérieux avaient pris du temps. Ce ne fut-que vers le milieu de décembre que le commandant d’artillerie put fructueusement attaquer le petit Gibraltar avec un matériel suffisant. Les Anglais vomissaient leurs boulets avec tant d’ardeur contre la batterie assise par Napoléon, que les plus intrépides artilleurs reculaient. Le jeune commandant appela Junot, qu’il avait distingué déjà et qui n’était encore que simple soldat; il le chargea d’écrire, sur un épaulement de la batterie, une inscription qui devait avoir de l’effet. Quand Junot eut écrit en grandes majuscules ce qui lui était dicté, un boulet de canon tomba à trois pas de lui et le couvrit de terre, lui et son papier.

«Bon! dit-il froidement; je n’ai plus besoin de sable.»

Et il attacha à un poteau ce qu’il venait d’écrire. On n’y lisait que ces mots, en lettres d’un pied: BATTERIE DES HOMMES SANS PEUR. De ce moment aucun artilleur n’osa hésiter, et de ce jour Junot ne quitta plus Napoléon.

Le 17 décembre, la batterie des Hommes sans peur avait fait taire le feu du petit Gibraltar. Le 18 au matin, le commandant de l’artillerie y entra et vit les Anglais qui se préparaient à partir en brûlant l’arsenal, les chantiers et tous les navires qu’ils ne pouvaient emmener. La ville évacuée fut rendue le 19. Les envoyés de la Convention, Saliceti, Ricord, Fréron, Robespierre jeune et Barras, arrivèrent alors envoyés comme commissaires de la République. Sous prétexte de la venger, ils organisèrent des massacres inouïs. Un de ces hommes écrivait à la Convention qu’on fusillait deux cents traîtres tous les jours, et que ces exécutions se poursuivraient jusqu’à ce qu’il n’y en aurait plus.

Dans ces horreurs, Napoléon put sauver plusieurs victimes, qu’il enleva de Toulon, à minuit, dans les équipages de l’artillerie, et qu’il emmena au camp. Il était secondé en ce sauvetage par les généraux Bisannet et Dugommier. C’est là que Barras remarqua le jeune Bonaparte; c’est de la aussi que Dugommier le recommanda vivement au pouvoir établi, qui le nomma général de brigade.

C’est, dit-on, dans les jours de repos que lui laissa sa conquête qu’il écrivit sa curieuse brochure intitulée le Souper de Beaucaire.

Après la délivrance de Toulon, le général Bonaparte passa au corps d’armée du général Dumerbion, qui luttait contre les étrangers aux frontières d’Italie. Il se distingua à la prise de Saorgio, dans le comté de Nice, journée héroïque, qui n’a pas fait tout le bruit que comportait son influence, car les victoires étaient fréquentes alors.

Mais par ses succès et sa probité incorruptible, le jeune Bonaparte avait mérité d’avoir des ennemis. Il fut dénoncé comme on dénonçait alors, et on voulut l’envoyer combattre les insurgés de la Vendée. L’horreur qu’il avait et qu’il eut toujours pour les guerres civiles, souillées constamment d’odieux excès, lui fit refuser cette mission. On l’enferma aussitôt au fort carré d’Antibes. Or, s’il avait des envieux, il s’était fait estimer de quelques hommes de cœur. On lui rendit la liberté, toutefois en le destituant. Puis on le réintégra pour le charger d’aller commander l’artillerie en Hollande, où il n’y avait rien à faire, puisque le pays était conquis. Par bonheur pour lui, Barras, qui savait sa valeur, le retint, dans la prévision d’un besoin plus réel; et pendant ces agitations, 1794 et les neuf premiers mois de 1795 avaient passé.

La vie et les légendes intimes des deux empereurs, Napoléon Ier et Napoléon II

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