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I. — LA VOCÉRATRICE.

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Mea est ultio, et ego retribuam eis in tempore.

Deutéronome, chap. XXXII, vers. 35.

Les Corses, enfants d’une petite île riche et féconde, ont été opprimés et pillés successivement par les Carthaginois, par les Romains, par les Goths, par les Sarasins, par les Pisans, par les Génois; et les défauts que les divers historiens leur ont reprochés, ils les tenaient des Génois, qui les ont tyrannisés quatre cents ans. Depuis les premiers temps de l’Église, ils ont toujours été catholiques dévoués. Une multitude de faits établissent qu’ils ont le cœur fidèle.

Ils n’ont jamais eu d’amis sincères que les Francs et le Saint-Siège. Pépin, Charlemagne, Louis le Débonnaire, les ont traités en alliés. Dans des temps plus rapprochés de nous, Henri II, Henri IV et un grand nombre de princes et de seigneurs français se sont intéressés à ce vaillant petit peuple. Les Papes recevaient de cette île leur garde la plus sûre.

Ils ont eu des hommes illustres, qui malheureusement ont manqué d’historiens; ils ont donné a l’Église des martyrs et des saints. Dès avant le dix-septième siècle, l’île de Corse s’était consacrée à Marie immaculée.

Néanmoins au dix-septième siècle, et même jusqu’aux premières années du siècle où nous avançons, c’était encore un peuple neuf. Comme les premiers Grecs et les premiers Romains avaient leurs sibylles, les Gaulois et les Francs leurs druidesses, les Corses avaient, aussi bien que les Écossais, leurs femmes à la seconde vue, leurs femmes inspirées, qu’ils appelaient des vocératrices, et qu’ils entouraient d’une sorte de vénération. M. Prosper Mérimée parle de ces femmes et de leurs chants en assonances dans son beau récit de Colomba.

Ces préliminaires sont nécessaires pour l’intelligence de ce qui va suivre.

Au dix-septième siècle donc, les Papes continuaient à tirer de la Corse leurs gardes incorruptibles; et personne jamais n’avait élevé contre eux aucun reproche ni aucun blâme , lorsque Louis XIV, alors dans la fougue de ses passions (il avait trente-quatre ans), et déjà le plus absolu des souverains de l’Europe, envoya à Rome, comme son ambassadeur, le duc de Créqui . C’était en 1662. Alexandre VII occupait avec éclat le Saint-Siège. Indépendamment ou à côté de sa sainteté éminente, ce pape était, comme on dirait aujourd’hui, un homme de progrès; il aimait et protégeait les lettres, les arts et les sciences; il s’occupait d’assainir et d’embellir Rome; il avait réformé plusieurs abus: entre autres il avait aboli par une loi, à la grande joie de son peuple, les franchises qui donnaient droit d’asile aux palais des ambassadeurs et qui mettaient à l’abri de la justice les assassins et les bandits. Tout le monde avait applaudi à la suppression de ces priviléges odieux; et les ambassadeurs des autres puissances en avaient félicité le souverain Pontife.

Mais Créqui, bien que sorti d’une souche assez immonde, fier du renom brutal de Lesdiguières, qui était son grand-père, fier aussi de représenter le plus fier des potentats, entra dans Rome avec un train royal et s’y posa en maître dès le premier jour. Comme son père et comme son grand-père, que l’on a beaucoup trop vantés, à l’exemple de ses ascendants, il se croyait au-dessus des lois. Sans respect pour l’autorité souveraine, la plus sérieuse et la plus auguste qui soit dans le monde, en entrant dans le palais de l’ambassade française, il y rétablit fièrement le droit de refuge qu’on avait proscrit sans le consulter.

Son outrecuidance consterna, en même temps que ses mœurs plus que légères, qu’il étalait un peu trop, indignèrent à Rome et le sacré collége, et les seigneurs, et le peuple. Il n’en marcha pas moins la tête haute; et l’autorité réelle ayant voulu faire prendre des assassins réfugiés dans ce qu’il appelait son palais privilégié, il y eut des luttes où les gardes corses durent appuyer la loi. Des coups de fusil furent échangés entre les gardes et les spadassins que Créqui avait enrôlés à sa suite. En même temps, une de ces intrigues immorales que toutes les lois condamnent lui ayant attiré quelque insulte des officiers dont il inquiétait le repos, il fit enlever son pavillon et s’enfuit de Rome .

Il se rassura dans la route et se présenta à Louis XIV, en se disant offensé. Le public ne fut pas dupe; on fit même sur lui à ce sujet des épigrammes et des chansons. Toutefois, quoique le pape Alexandre VII eût le droit de demander satisfaction à Louis XIV, Créqui (il avait eu le temps de dresser son thème, car on voyageait fort lentement alors), Créqui présenta les choses de telle sorte que ce fut Louis XIV qui exigea les plus énormes réparations. Le souverain Pontife fut contraint à casser et à renvoyer sa garde corse, et à faire élever devant l’ambassade française une pyramide sur laquelle seraient inscrits l’outrage fait à Créqui et la réparation obtenue.

Nous passons d’autres sacrifices.

Pendant qu’on bâtissait la pyramide, le Père des fidèles fut obligé d’envoyer le cardinal Chigi, son neveu, avec la qualité de légat a latere, faire des excuses formelles à la cour de Versailles. Ce qui eut lieu avec un grand éclat en l’an 1664.

Quand les fidèles Corses, qui se trouvaient si heureux de vivre auprès et sous les yeux du Saint-Père, quand ils apprirent que leur corps était dissous et qu’il leur fallait quitter Rome, ce fut pour eux une immense désolation; et alors une de leurs vivandières, qui était vocératrice, psalmodia quelques strophes d’assonances dont on a conservé celle-ci, que nous traduisons fidèlement:

De cet abus de la force

Le monde se souviendra;

Et l’affront fait à la Corse,

Un jour, Dieu le vengera....

Si les jours de Dieu sont comme mille ans et mille ans devant lui comme un jour , si Dieu est patient parce qu’il est éternel, comme dit saint Augustin, il agit à son heure.

Or, le père François Annat, de la compagnie de Jésus, homme de science et de solide vertu, devenu confesseur de Louis XIV, parvint à faire comprendre à son royal pénitent que Dieu lui demanderait compte des outrages faits par lui ou en son nom au successeur de saint Pierre; et le roi, que son orgueil retint encore quelque temps, se rendit, à la mort d’Alexandre VII. Il fit abattre et détruire la pyramide injurieuse, aux premiers jours du règne de son successeur Clément IX. Le 15 août 1669, toute trace de ce triste monument disparut, et ce même jour de l’an 1769, justement un siècle après, naissait en l’île de Corse un enfant qui allait grandir pour occuper le trône de Louis XIV.

Un an auparavant, la Corse était devenue française.

Pour compléter les réparations, la maison de Créqui s’éteignit en 1801; et la prévision de la vocératrice était accomplie.

La vie et les légendes intimes des deux empereurs, Napoléon Ier et Napoléon II

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