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XIII. — LE DIX-HUIT BRUMAIRE.

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Table des matières

Dans cet air et ce maintien calmes,

Voyez ce guerrier fier et doux

Qui revient du pays des palmes

Planter l’olive parmi nous.

Tranquille au fort de la tempête,

Et modéré dans le bonheur,

Si la victoire est dans sa tête,

Il porte la paix dans son cœur.

BOUFFLERS, Romance de l’arrivée de Bonaparte à Fréjus.

Pendant que Napoléon Bonaparte, sous le pavillon danois, traversait providentiellement les croisières anglaises, qui n’en soupçonnaient rien, des rumeurs de tout genre circulaient dans la France inquiète et agitée. On disait que le héros populaire, en quelque sorte déporté dans les sables de l’Égypte, y avait péri avec son armée. On manquait de nouvelles, et divers partis se soulevaient, pour tirer le pays du marasme et de la détresse. On sentait qu’il fallait à l’État un chef sérieux. Le Directoire, composé alors de Barras et de ses quatre auxiliaires, Roger-Ducos, Sieyès, Gohier et Moulins, ne s’occupait que de vivre au jour le jour, et laissait le pays s’écrouler. Le parti royaliste était peu nombreux à Paris; mais d’autres factions se remuaient; toutes avaient des chefs plus ou moins idéologues. Les jacobins, plus positifs, préparaient le retour du règne de la terreur. L’armée offrait bien quelques hommes imposants: Masséna, Moreau, Brune, Augereau, Bernadotte. Mais on sentait que ces généraux, si vite illustres, ne pouvaient que vaincre à la guerre. On cherchait un homme qui pût gouverner, lorsque enfin on apprit, le 16 octobre, que le général Bonaparte, qu’on disait mort, venait à l’instant de rentrer à Paris, et que son voyage depuis Fréjus avait été partout une ovation.

Ce fut aussitôt grande joie et grande fête dans la partie saine et honnête de la capitale. Tous respiraient et disaient: «Nous avions besoin d’un homme; grâces à Dieu, nous l’avons!»

Bonaparte ramenait avec lui Murat, Lannes, Berthier, Marmont. Les autres généraux, Macdonald, Augereau., Moreau lui-même, Leclerc, Beurnonville, se rallièrent à lui. Et dans les dignités civiles, les hommes marquants semblaient l’attendre.

Madame Bonaparte rouvrit ses salons; les frères du général, Lucien, Joseph, Louis, et leurs sœurs prenaient part au mouvement. Bonaparte ne chercha pas à éblouir; il évitait autant que possible de se mettre en spectacle. Cependant, il dut assister, le 6 novembre, à une fête que le Directoire donnait spécialement aux deux généraux Bonaparte et Moreau; et on raconte qu’un soir, se trouvant seul dans une loge avec Sieyès, il lui exposa le plan d’un gouvernement qui pût rendre à la France la sécurité, et qu’on l’entendit quitter le directeur en lui disant: «Bonsoir, consul Sieyès.» Dès lors Sieyès fut à lui et lui entraîna Roger-Ducos et d’autres partisans.

Mais des paroles ne changent pas un gouvernement; il fallait, comme toujours, un coup d’État. Il était préparé. Les amis que Bonaparte comptait au conseil des Anciens firent rendre deux décrets; le premier, comme le permettait la constitution de l’an III, alors en vigueur, transférait à Saint-Cloud les deux conseils: celui des Anciens et celui des Cinq-Cents; le second décret chargeait le général Bonaparte de la garde du Corps législatif, et mettait à sa disposition toutes les troupes de Paris et de la division militaire dont Paris était le chef-lieu .

La plupart des nombreux historiens qui ont écrit l’histoire de Napoléon, même ceux qui sont en possession de la confiance générale et que l’on donne en prix à la studieuse jeunesse, ont été trompés par des récits hostiles et ont amoindri le grand acte qui sauva la France le 18 brumaire (9 novembre 1799). Ce qui concerne le général Bonaparte a été surtout altéré ; et nous croyons devoir, à ce propos, remonter aux sources précises. Nous copions donc le Moniteur, séance du 18 brumaire an VIII. Le général, appelé à la barre du conseil des Anciens, reçoit le décret qu’on vient de lire et prononce le discours suivant:

» Citoyens représentants, la République périssait; vous l’avez su, et votre décret vient de la sauver. Malheur à ceux qui voudraient le trouble et le désordre! je les arrêterai, aidé du général Lefebvre , du général Berthier, et de tous mes compagnons d’armes.

» Qu’on ne cherche pas dans le passé des exemples qui pourraient retarder votre marche! Rien dans l’histoire ne ressemble à la fin du dix-huitième siècle; rien dans la fin du dix-huitième siècle ne ressemble au moment actuel.

» Votre sagesse a rendu ce décret; nos bras sauront l’exécuter. Nous voulons une République fondée sur la vraie liberté, sur la liberté civile, sur la représentation nationale. Nous l’aurons! je le jure; je le jure en mon nom et en celui de mes compagnons d’armes.»

Lemercier, président du conseil des Anciens, répondit:

«Général, le conseil des Anciens reçoit vos serments; il ne forme aucun doute sur leur sincérité et sur votre zèle à les remplir. Celui qui ne promit jamais en vain des victoires à la patrie ne peut qu’exécuter avec dévouement ses nouveaux engagements de la servir et de lui rester fidèle.»

Et la séance est levée aux cris de Vive la République! Et ce même jour, on lut bientôt, affichées sur les murs de Paris, deux adresses du général Bonaparte, la première aux citoyens composant la garde nationale de Paris, la seconde aux soldats. Et ce même jour, 18 brumaire, Barras, qui ne se souciait pas d’être expulsé, écrivit au conseil des Cinq-Cents la lettre suivante:

«Citoyens représentants,

» Engagé dans les affaires publiques uniquement par ma passion pour la liberté, je n’ai consenti à accepter là première magistrature de l’État que pour la soutenir dans les périls par mon dévouement, pour préserver des atteintes de ses ennemis les patriotes compromis dans sa cause, et pour assurer aux défenseurs de la patrie ces soins particuliers qui ne pouvaient leur être plus constamment donnés que par un citoyen anciennement témoin de leurs vertus héroïques et toujours touché de leurs besoins.

» La gloire qui accompagne le retour du guerrier illustre à qui j’ai eu le bonheur d’en ouvrir le chemin, les marques éclatantes de confiance que lui donne le Corps législatif et le décret de la représentation nationale, m’ont convaincu que, quel que soit le poste où m’appelle désormais l’intérêt public, les périls de la liberté sont surmontés et les intérêts des armées garantis. Je rentre avec joie dans les rangs des simples citoyens, heureux, après tant d’orages, de remettre entiers, et plus respectables que jamais, les destins de la République, dont j’ai partagé le dépôt.

» Salut et respect.

BARRAS.»

En même temps, Barras fit connaître sa démission au général Bonaparte, en le priant de protéger sa retraite, car le tumulte était grand dans Paris. Le général lui envoya sur-le-cbamp une escorte de cavalerie, qui le reconduisit jusqu’à sa terre de Grosbois.

Le lendemain, 19 brumaire, fut le jour de lutte. Les deux conseils s’étaient réunis à Saint-Cloud, dans les deux ailes du château. Bonaparte, qui s’était préparé, avait envoyé des troupes chargées de protéger la représentation nationale. Mais les généraux savaient ce qui avait été résolu, trois jours auparavant, chez Lemercier, président du conseil des Anciens. Un certain nombre de personnages sérieux: Lucien Bonaparte, Sieyès, Reynier, Courtois, Boulay de la Meurthe, Cornudet, Fargues, Chazal, Villetard et plusieurs autres, comprenant qu’il fallait épurer le conseil des Cinq-Cents, dominé par le jacobinisme, avaient décidé un coup d’État, nécessaire si on ne voulait pas reculer dans les voies de 1793. On sentait depuis longtemps déjà la nécessité de cette mesure; mais il fallait un homme. La patrie le trouvait dans Bonaparte. Il avait été consulté à ce sujet; il avait approuvé la résolution; et la veille, comme on l’a vu, il avait prêté le serment qui le liait.

Le 19 brumaire donc, il était à Saint-Cloud. Les séances des deux conseils s’ouvraient à midi: il se présenta au conseil des Anciens, où il fut accueilli par les cris unanimes de Vive Bonaparte! Après cette ovation, il se rendit au conseil des Cinq-Cents. Un assez grand nombre des membres de ce conseil, les plus honnêtes et les plus sincèrement patriotes, étaient dans le secret du coup d’État préparé, et Lucien Bonaparte présidait l’assemblée.

Tous ceux qui ne savaient rien s’inquiétaient cependant de se voir entourés de soldats, et en même temps ils voyaient trouble dans la démission de Barras.

Nous transcrivons maintenant le Moniteur du 20 brumaire. Conseil des Cinq-Cents, séance du 19. La parole est au député Grandmaison.

«GRANDMAISON. Je rappellerai une époque non encore

» éloignée où, dans une circonstance critique, on répandait

» les germes d’une vive inquiétude. On publiait qu’il existait

» des projets de rétablissement du Comité de salut public, de

» défense générale, etc. Nous sommes aujourd’hui dans une

» circonstance si extraordinaire, que nul ne peut s’en rendre

» compte; que, malgré l’imminence du danger, nous sommes

» tous réunis sans savoir où est le danger, où est l’ennemi.

» Avant tout, il eût été prudent de savoir si cette démission

» qu’on vient d’annoncer n’est pas l’effet des circonstances

» extraordinaires où nous nous trouvons. Je crois bien que,

» dans la grande quantité de membres qui se trouvent ici, il

» en est quelques-uns qui savent d’où nous sommes partis, et

» où nous allons.......

» Un mouvement se manifeste. Tous les regards se portent

» vers l’issue principale... Le général Bonaparte paraît. Il

» entre . Quatre grenadiers de la représentation nationale

» le suivent; quelques autres et des officiers paraissent à la

» porte....

» L’assemblée entière est à l’instant debout.

» Une foule de membres s’écrient: Qu’est-ce que cela?

» qu’est-ce que cela? des sabres ici! des hommes armés!...

» Beaucoup de membres se précipitent au milieu de la

» salle. Le général Bonaparte est entouré de mains crispées

» qui veulent le repousser... Une foule de ces hommes mon-

» tent sur leurs sièges et s’écrient: Hors la loi! hors la loi!

» A bas le dictateur!

» Le général Lefebvre et plusieurs grenadiers entrent pré-

» cipitamment. Les grenadiers crient: Sauvons notre général.

» Bonaparte est entraîné hors de la salle .

» Une agitation inexprimable règne alors dans l’assemblée.» Il est inutile d’en reproduire les détails, aujourd’hui sans intérêt. Lucien Bonaparte, ne pouvant obtenir le silence, descend du fauteuil de la présidence et va rejoindre son frère; et enfin, «un corps de grenadiers du Corps législatif paraît

» à la porte, les tambours battant la charge et l’arme portée.

» Il s’arrête. Un chef de brigade de cavalerie, élevant la voix,

» s’écrie: «Citoyens représentants, on ne répond plus de la

» sûreté du conseil.»

» Les cris de Vive la République recommencent.

» Un officier des grenadiers du Corps législatif monte au

» bureau du président: «Représentants, s’écrie-t-il, retirez-

» vous; le général a donné des ordres.»

» Le tumulte le plus violent continue. Les représentants

» restent en place. Un officier s’écrie: «Grenadiers! en

» avant!» Le tambour bat la charge. Le corps de grenadiers

» s’établit au milieu de la salle. L’ordre de faire évacuer la

» salle est donné et s’exécute au bruit d’un roulement de tam-

» bours. Les représentants sortent aux cris de Vive la Répu-

» blique!»

Et ce même jour, à neuf heures du soir, une partie du conseil des Cinq-Cents se réunit au conseil des Anciens. Après quelques instants de délibération, ou plutôt de propos interrompus, on annonce le général Bonaparte. Et là, dans un discours net et concis, il démontra que la France n’avait plus ni gouvernement ni constitution, que la constitution avait été violée par des actes arbitraires le 18 fructidor, le 22 floréal, le 30 prairial , et que le Directoire n’existait plus. Le conseil des Anciens et ceux du conseil des Cinq-Cents réunis statuent que soixante-sept membres des deux conseils ne font plus partie de la représentation nationale; que le Corps législatif est ajourné jusqu’au 1er ventôse prochain ; que pendant ce temps une commission consulaire exécutive, composée de Bonaparte, Sieyès et Roger-Ducos, remplacera le Directoire; que les membres de cette commission porteront le nom de consuls; que le Corps législatif, avant sa séparation, établira une commission de vingt-cinq membres, pris dans les deux conseils, pour seconder le gouvernement dans les mesures à prendre.

Les trois consuls prêtèrent serment, et reprirent la route de Paris à une heure du matin.

La vie et les légendes intimes des deux empereurs, Napoléon Ier et Napoléon II

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