Читать книгу Tous les Contes de Léon Tolstoi (151 Contes, fables et nouvelles) - León Tolstoi - Страница 101
XIV
ОглавлениеÀ dater de cette époque, Ivan Mironoff devint un voleur de chevaux très habile et très audacieux. Afimia, sa femme, qui autrefois l’injuriait pour son manque de savoir-faire, maintenant se montrait heureuse et fière de son mari qui avait une pelisse de peau de mouton, tandis qu’elle-même possédait une demi-pelisse et une pelisse neuve.
Dans le village et les alentours, tous savaient que pas un seul vol de chevaux n’avait lieu sans qu’il y prît part, mais ils n’osaient pas le dénoncer, et quand parfois les soupçons tombaient sur lui, il savait en sortir pur et innocent. Son dernier vol avait été celui de Kolotovka. Quand il en avait la possibilité, Ivan Mironoff choisissait sa victime, et, de préférence, il volait chez les propriétaires et les marchands. Mais chez les propriétaires et les marchands c’était difficile, et quand il ne réussissait pas chez ceux-ci, il se rabattait sur les paysans. C’était ainsi qu’à Kolotovka, une nuit, il avait dérobé au hasard des chevaux qui étaient au pâturage. Il n’avait pas fait le coup en personne, mais l’avait fait faire par Guérassim, un très habile larron. Les paysans n’avaient remarqué le vol qu’à l’aube, et, aussitôt, s’étaient lancés à la recherche sur les routes, tandis que les chevaux se trouvaient dans le fossé de la forêt appartenant à l’État. Ivan Mironoff se proposait de les garder ici jusqu’à la nuit prochaine, et alors de filer avec eux chez un portier qu’il connaissait et qui habitait à cent verstes de là. Ivan Mironoff se rendit dans la forêt, pour porter à Guérassim des biscuits et de l’eau-de-vie, et pour retourner à la maison, prit un sentier où il espérait ne rencontrer personne. Malheureusement pour lui, il rencontra le garde, un soldat.
— Est-ce que tu viens de chercher des champignons? Lui demanda le soldat.
— Oui, mais cette fois je n’en ai pas trouvé, répondit Ivan Mironoff en montrant son panier, qu’il avait pris pour l’occasion.
— Oui, cet été il n’y a pas beaucoup de champignons, reprit le soldat. Il resta un moment immobile, paraissant réfléchir, puis s’éloigna.
Le garde ne trouvait pas cela très naturel. Ivan Mironoff n’avait pas besoin d’aller si matin dans la forêt de l’État. Le soldat retourna sur ses pas et se mit à fouiller la forêt. Près du fossé il entendit l’ébrouement des chevaux, et, tout doucement, se dirigea vers l’endroit d’où venait le bruit. Dans le fossé la terre était piétinée; et, par places, se marquait du crottin de cheval. Un peu plus loin, Guérassim, assis, mangeait quelque chose. Les chevaux étaient attachés à un arbre.
Le garde courut au village, alla prévenir le staroste, le chef de police, et l’on prit deux témoins. De trois côtés ils s’approchèrent de l’endroit où se tenait Guérassim et l’arrêtèrent. Guérassim ne nia point, et, aussitôt, étant ivre, avoua tout. Il raconta qu’Ivan Mironoff l’avait fait boire, puis l’avait poussé à faire le coup, et qu’il devait, aujourd’hui même, venir chercher les chevaux dans la forêt.
Les paysans laissèrent dans la forêt Guérassim et les chevaux; puis ils organisèrent un traquenard et attendirent Ivan Mironoff. Quand la nuit fut venue, on entendit un sifflement auquel répondit Guérassim. Aussitôt qu’Ivan Mironoff descendit le talus, on se jeta sur lui et on l’emmena au village.
Le matin, une grande foule s’assembla devant la chancellerie du village. On amena Ivan Mironoff et l’on se mit à l’interroger. Ce fut Stepan Pelaguschkine, un haut paysan maigre, aux longs bras, au nez aquilin, autrefois scribe du village, qui, le premier, commença l’interrogatoire. Stepan, paysan célibataire, avait fait son service militaire. Il s’était séparé de son frère, et à peine commençait-il à se tirer d’affaire qu’on lui avait volé un cheval. Après deux années de travail dans les mines il avait pu s’acheter encore deux chevaux. Ivan Mironoff les lui avait volés tous deux.
— Dis, où sont mes chevaux! S’écria Stepan, pâle de colère, en regardant sombrement tantôt le sol, tantôt le visage d’Ivan Mironoff.
Ivan Mironoff nia, alors Stepan lui donna un coup dans le visage, lui écrasant le nez d’où le sang coula.
— Dis ou je te tue!
Ivan Mironoff penchait la tête et se taisait…
Stepan le frappa de sa longue main une fois encore, puis une autre. Ivan Mironoff se taisait toujours, rejetant sa tête tantôt à droite, tantôt à gauche.
— Frappez-le tous! S’écria le staroste.
Et tous se mirent à le frapper. Ivan Mironoff tomba et leur cria:
— Barbares! Maudits! Frappez à mort, je ne vous crains pas!
Alors Stepan saisit une des pierres qui étaient préparées et, d’un coup, lui brisa le crâne.