Читать книгу Tous les Contes de Léon Tolstoi (151 Contes, fables et nouvelles) - León Tolstoi - Страница 93

VI

Оглавление

Table des matières

En effet, Eugène Mikhaïlovitch avait passé le coupon en paiement du bois au paysan Ivan Mironoff.

Ivan Mironoff gagnait sa vie en revendant du bois qu’il achetait dans un dépôt, par sagènes. D’une sagène il faisait cinq parts qu’il s’arrangeait pour revendre en ville, comme cinq quarts, au prix que coûtait le quart au dépôt.

Dans ce jour, malheureux pour Ivan Mironoff, le matin, de bonne heure, il avait transporté en ville un demi-quart, qu’il avait vendu très vite; puis il avait rechargé un autre demi-quart, espérant le vendre aussi; mais en vain cherchait-il un acheteur, personne n’en voulait. Il tombait sur des citadins expérimentés qui connaissaient le truc habituel des paysans qui prétendent avoir amené de la campagne le bois qu’ils vendent. Il avait faim, froid dans son paletot de peau de mouton usé et son armiak déchirée. Le froid, vers le soir, avait atteint 20 degrés. Son petit cheval, dont il n’avait pas pitié parce qu’il avait l’intention de le vendre à l’équarrisseur et qu’il rudoyait, s’arrêta net. De sorte qu’Ivan Mironoff était prêt à vendre son bois, même à perte, quand il rencontra sur son chemin Eugène Mikhaïlovitch qui était sorti acheter du tabac et rentrait à la maison.

— Prenez, monsieur… Je vendrai bon marché… Mon cheval n’en peut plus…

— Mais d’où viens-tu?

— Nous sommes de la campagne… C’est du bois à nous… Du bon bois sec…

— Oui, on le connaît… Eh bien! Combien en veux-tu?

Ivan Mironoff fixa le prix; puis commença à rabattre, et, enfin, laissa le bois au prix coûtant.

— C’est bien pour vous, monsieur… et parce qu’il ne faut pas l’amener trop loin…, dit-il.

Eugène Mikhaïlovitch n’avait pas trop marchandé, se réjouissant à l’idée de passer le coupon.

À grand-peine, en poussant lui-même le traîneau, Ivan Mironoff amena le bois dans la cour et se mit à le décharger sous le hangar. Le portier n’était pas là.

Ivan Mironoff hésita d’abord à prendre le coupon. Mais Eugène Mikhaïlovitch parla d’une façon si convaincante, et paraissait un monsieur si important, qu’il consentit enfin à l’accepter. Étant entré à l’office, par l’escalier de service, Ivan Mironoff se signa, laissa dégeler les glaçons attachés à sa barbe, puis retroussant son armiak, tira une bourse de cuir où il prit 8 roubles 50 de monnaie, qu’il donna à Eugène Mikhaïlovitch, puis enveloppa soigneusement le coupon et le déposa dans sa bourse.

Après avoir remercié le monsieur, Ivan Mironoff, frappant non plus avec le fouet mais avec le manche sa rosse gelée, vouée à la mort et qui remuait à peine les jambes, poussa le traîneau vide vers un débit.

Dans le débit, Ivan Mironoff demanda pour 8 kopecks d’eau-de-vie et de thé, et se réchauffant, devenant même en sueur, l’humeur joyeuse, il se mit à causer avec un portier, assis à la même table. Il causa longtemps avec lui, lui racontant toute sa vie. Il raconta qu’il était du village Vassilievskoié, à douze verstes de la ville, qu’il était séparé de son père et de ses frères, qu’il vivait maintenant avec sa femme et ses enfants, dont l’aîné allait encore à l’école, de sorte qu’il n’était point un aide pour lui. Il raconta qu’il allait s’arrêter ici dans une auberge, et que, demain, il irait au marché aux chevaux, vendrait sa rosse, et verrait s’il ne pourrait pas acheter un autre cheval; que maintenant il ne lui manquait qu’un rouble pour en avoir 25, et que la moitié de son capital était un coupon. Il prit le coupon et le montra au portier. Le portier ne savait pas lire, mais il assura qu’il lui était arrivé de changer des papiers pareils, pour les locataires, que c’était bon, mais qu’il y en avait aussi de faux. Aussi lui conseilla-t-il, pour plus de sûreté, de le changer ici, dans le débit.

Ivan Mironoff le remit au garçon et lui demanda de rapporter la monnaie. Mais le garçon ne la rapporta pas, et à sa place s’avança le patron, un homme chauve, au visage luisant, tenant le coupon dans sa main épaisse.

— Votre argent n’est pas bon, dit-il, en montrant le coupon, mais sans le remettre.

— L’argent est bon. C’est un monsieur qui me l’a donné.

— Je te dis qu’il n’est pas bon. Il est faux.

— Eh bien, s’il est faux, donne-le-moi.

— Non, mon cher. Le frère a besoin d’une leçon… Tu as fabriqué ce faux, avec des filous.

— Donne l’argent! Quel droit as-tu?

— Sidor! Appelle un agent, dit le cabaretier au garçon.

Ivan Mironoff avait un peu bu, et quand il avait bu, il n’était plus patient. Il saisit le cabaretier au collet, en criant:

— Donne-le! J’irai chez ce monsieur; je sais où il demeure.

Le cabaretier se dégagea, mais sa chemise était endommagée.

— Ah! C’est comme ça! Tiens-le.

Le garçon saisit Ivan Mironoff, et au même instant parut l’agent de police. Après avoir écouté comme un chef le récit de l’affaire, l’agent la résolut aussitôt:

— Au poste!

L’agent mit le coupon dans son porte-monnaie et emmena au poste Ivan Mironoff avec son attelage.

Tous les Contes de Léon Tolstoi (151 Contes, fables et nouvelles)

Подняться наверх