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VIII

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L’avocat se chargea de l’affaire, non pour le profit qu’il y avait à en tirer, mais parce qu’il crut Ivan et trouvait révoltante la manière dont on avait trompé ce paysan.

Les deux parties comparurent devant le juge. Le portier Vassili était témoin. Au tribunal, la même scène se répéta: Ivan Mironoff invoquait Dieu, et rappelait que nous tous mourrons. Eugène Mikhaïlovitch, bien que tourmenté par la conscience de sa mauvaise action et des conséquences qui en pouvaient résulter, maintenant ne pouvait pas varier dans sa déposition, et, tranquille en apparence, continuait à nier tout.

Le portier Vassili avait reçu encore dix roubles, et, souriant, confirmait avec assurance qu’il n’avait jamais vu Ivan Mironoff. Et quand on lui fit prêter serment, malgré la peur qu’au fond de son âme il ressentait, l’air calme, il répéta après le vieux prêtre la formule du serment, et jura, sur la croix et le Saint Évangile, de dire toute la vérité.

L’affaire se termina de la façon suivante: le juge débouta de sa plainte Ivan Mironoff et le condamna à cinq roubles de dépens, dont, généreusement, Eugène Mikhaïlovitch le tint quitte. Avant de laisser partir Ivan Mironoff, le juge lui adressa une semonce, l’engageant à être désormais plus prudent, à ne pas accuser à la légère les gens respectables, à être reconnaissant de ce qu’on l’ait tenu quitte des dépens et de ce qu’on ne le poursuive pas pour calomnie, ce qui lui vaudrait trois mois de prison.

— Je vous remercie, dit Ivan Mironoff, et en hochant la tête et soupirant, il sortit de la justice de paix.

Tout paraissait s’être bien terminé pour Eugène Mikhaïlovitch et Vassili. Mais cela semblait seulement ainsi. Il arriva quelque chose que personne ne pouvait voir, mais qui était beaucoup plus important que ce qui était apparent.

Il y avait déjà deux ans que Vassili avait quitté son village et habitait la ville. Chaque année il envoyait de moins en moins à sa famille, et ne faisait pas venir sa femme, n’ayant pas besoin d’elle. Il avait ici, en ville, autant de femmes qu’il voulait, et plus jolies que la sienne. Avec le temps Vassili oubliait de plus en plus les mœurs et les coutumes du village, et s’habituait à la vie urbaine. Là-bas tout était grossier, terne, pauvre, sale. Ici tout était raffiné, bien, propre, riche, ordonné. Et il se persuadait de plus en plus que les gens de la campagne vivent sans penser, comme des bêtes sauvages, et qu’il n’y a qu’en ville que sont de vrais hommes. Il lisait de bons auteurs, des romans; il allait au spectacle dans la Maison du Peuple. Au village, on ne pouvait voir cela, même en rêve. Au village, les anciens disaient: Vis avec ta femme; travaille; sois sobre; ne sois pas vaniteux; et ici, les hommes intelligents, savants, qui connaissaient les vraies lois, vivaient tous pour leur plaisir. Et tout était bien.

Avant l’histoire du coupon, Vassili ne croyait pas que les maîtres n’ont aucune loi morale. Mais après cette histoire, et surtout après le faux serment, lequel, malgré sa crainte, n’avait été suivi d’aucun châtiment, au contraire, on lui avait donné dix roubles, il acquit la conviction profonde qu’il n’y a aucune loi et qu’il faut vivre pour son plaisir. Et il vécut ainsi. D’abord il gratta sur les achats des locataires, mais c’était peu pour ses dépenses, et alors il commença à dérober de l’argent et les objets de valeur des appartements des locataires. Un jour, il vola la bourse d’Eugène Mikhaïlovitch. Celui-ci le prit sur le fait, mais ne porta pas plainte et se contenta de le renvoyer.

Vassili ne voulut pas retourner au village; il resta à Moscou, avec sa maîtresse, et se chercha une place. Il en trouva une, pas brillante, une place de portier chez un épicier. Vassili l’accepta; mais le lendemain même on le prit en flagrant délit de vol de sacs. Le patron ne déposa pas de plainte, mais rossa Vassili et le chassa.

Après cela il ne trouva plus de place. L’argent filait. Il dut engager ses vêtements, dépensa encore cet argent, et, à la fin des fins, resta avec un seul veston déchiré, un pantalon, et des chaussons de feutre. Sa maîtresse l’avait abandonné. Mais Vassili ne perdit pas sa bonne humeur, et, le printemps venu, il partit chez lui à pied.

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