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ОглавлениеLe pope du bourg et sa femme reçurent Missaïl avec beaucoup d’éclat, et, le lendemain de son arrivée, ils réunirent le peuple à l’église.
Missaïl, en soutane de soie neuve, la croix sur la poitrine, les cheveux bien peignés, prit place sur l’ambon, ayant à côté de lui le pope, un peu plus loin les diacres et les chantres; des agents de police se tenaient près des portes latérales. Les sectaires, en pelisses courtes et sales, vinrent aussi. Après un Te Deum, Missaïl fit un sermon dans lequel il exhortait les dissidents à rentrer dans le sein de la mère Église, les menaçant de toutes les souffrances de l’enfer et promettant le pardon complet à ceux qui se repentiraient. Les sectaires se taisaient. Quand on se mit à les interroger, ils répondirent. Ils expliquèrent qu’ils s’étaient séparés principalement parce que dans l’Église on adore des dieux de bois, fabriqués avec les mains, alors que non seulement ce n’est pas dit dans l’Écriture, mais que dans les prophéties il y a le contraire. Quand Missaïl demanda à Tchouieff s’il était vrai qu’ils appellent les saintes icônes, des planches, Tchouieff répondit: «Mais retourne n’importe laquelle, tu verras toi-même.»
Quand on leur demanda pourquoi ils ne s’adressaient pas au pope, ils répondirent qu’il est dit dans l’Écriture: Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement, tandis que les popes ne donnent leurs services que contre argent. À toutes les tentatives de Missaïl de s’appuyer sur la sainte Écriture, le tailleur et Ivan objectèrent tranquillement, mais avec fermeté, en se basant sur l’Écriture qu’ils connaissaient très bien.
Missaïl se fâcha et menaça du pouvoir laïc. À cela les sectaires répondirent qu’il est dit: On m’a persécuté et on vous persécutera.
Les choses en restèrent là, et tout semblait devoir bien se passer. Mais le lendemain, pendant la messe, Missaïl parla dans son sermon de la malfaisance des dissidents, qu’il déclara dignes de tout châtiment, et le peuple, en sortant de l’église, se mit à dire qu’il faudrait une bonne leçon aux athées, afin qu’ils ne troublent plus les gens. Et ce jour, pendant que Missaïl déjeunait de saumon et de lavaret, en compagnie du pope et d’un inspecteur venu de la ville, une bagarre avait lieu au bourg. Les fidèles orthodoxes s’étaient massés près de l’isba de Tchouieff et attendaient la sortie des sectaires pour les mettre à mal. Ils étaient là une vingtaine de sectaires, hommes et femmes. Le sermon de Missaïl, l’attroupement des orthodoxes, et leurs paroles menaçantes, firent naître chez les sectaires de mauvais sentiments qu’ils n’avaient point auparavant. Le soir vint. Il était temps pour les femmes d’aller traire les vaches. Les orthodoxes étaient toujours là et attendaient. Un garçon s’étant aventuré à sortir, ils le frappèrent et l’obligèrent à rentrer dans l’isba. On discutait sur l’attitude à tenir, mais on ne tombait pas d’accord. Le tailleur disait qu’il fallait souffrir et ne pas se défendre. Tchouieff opinait que si on se laissait faire, eux tous seraient tués, et, s’armant du tisonnier, il sortit dans la rue.
— Eh bien, selon la loi de Moïse! S’écria-t-il, et il se mit à frapper les orthodoxes, et creva l’œil de l’un d’eux. Les autres sortirent de l’isba et retournèrent dans leurs demeures. Tchouieff fut jugé pour sa propagande et pour sacrilège.
Quant au père Missaïl, on le récompensa et il fut fait archimandrite.