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VI

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Le jeune homme roux fit un salut plus profond encore que les précédents, et, quand il se fut décidé à redresser son échine, il nous jeta un regard de respectueuse envie. Une affaire d’État! songez donc.

Le grand maître reprit: «Savez-vous où est le herr lieutenant von Siegvalt?»

Le jeune homme roux fit passer prestement son claque de sa main droite dans sa main gauche, enfonça sa main droite dans la poche intérieure de son frac, en tira un petit écrin de chagrin noir, timbré aux armes du grand-duché, et tendit l’écrin au grand maître, en lui disant:

«Excellence, le hautement bien né lieutenant von Siegvalt a pris froid ce matin, à l’inauguration du nouveau Jardin d’enfants, qu’il présidait au lieu et place de Votre Excellence. J’ai l’honneur d’être son médecin; il m’a fait appeler; je lui ai ordonné de prendre le lit et de transpirer à outrance, si j’ose m’exprimer ainsi. Au moment où j’allais le quitter, il m’a remis l’écrin où sont ses insignes, dans le cas où Votre Excellence aurait besoin de se faire représenter par une autre personne pendant la durée de son indisposition, qui, j’ose le dire, n’aura pas de suites.

— Très bien», répondit le grand maître.

Alors, ouvrant l’écrin, il en tira une rosette aux couleurs nationales, c’est-à-dire rouge et blanche. Cette décoration se prolongeait en un ruban moiré rouge et blanc, terminé par trois ornements d’or, un glaive, une palme et un lion.

«Mettez cela à votre boutonnière, dit-il au jeune homme roux, et soyez mon représentant à la table de whist.

— Excellence! s’écria le jeune homme roux, un tel honneur! à moi! je suis confus,... je ne sais comment vous témoigner mon ravissement, mon extase....

— Bon! bon! reprit tranquillement le grand maître pendant que le jeune homme roux, cramoisi d’orgueil et de joie, attachait à sa boutonnière la décoration rouge et blanche aux ornements d’or massif qui tremblaient au bout du ruban comme les ferrets d’une aiguillette.

Ayant salué cérémonieusement le grand maître, le jeune homme roux traversa la salon, la tête haute, les épaules effacées, la poitrine bombée, la pointe des pieds en dehors, tout fier d’avoir à remplacer le herr lieutenant von Siegvalt dans les fonctions de représentant officiel du grand maître de l’Université.

Le grand maître nous regarda avec une bonhomie malicieuse, et nous ne pûmes nous empêcher de sourire en voyant le lieutenant par intérim fouler le tapis d’un pas majestueux. Quelques-uns songèrent peut-être en leur for intérieur à l’âne chargé de reliques; et j’avoue que moi j’y songeai, sans en rien dire à personne. Mais plus d’un, dans l’assistance, envia la bonne fortune du jeune homme roux, qui allait faire la «partie d’honneur» avec deux ambassadeurs et avec la princesse Horta, la propre sœur de Son Altesse sérénissime le grand duc de Münchhausen.

Et puis, parmi les invités, beaucoup étaient assez mal accommodés du côté de la fortune. Or on jouait gros jeu à la table d’honneur. Si le représentant de Son Excellence perdait, c’était Son Excellence qui supportait la perte; en cas de gain, le représentant empochait la somme, quelle qu’elle fût. L’étiquette le voulait ainsi.

Pendant que le vice-lieutenant s’avançait à pas comptés vers la maîtresse de la maison, Mme la ministre de l’instruction publique lança à son mari ce que je me permettrai d’appeler un regard d’augure. Ce regard disait, aussi clairement qu’un regard humain peut le dire: «Gros paresseux (Son Excellence était rondelette de sa personne), voilà comme tu esquives les corvées solennelles! Mais tu as bien raison, puisque tu le peux».

Le vice-lieutenant s’avançait à pas comptes.


Un second regard, accompagné d’un petit mouvement de tête derrière l’éventail, désigna clairement certaine porte qui était derrière notre groupe, une porte peinte en blanc et réchampie de filets d’or. Cette porte donnait sur un couloir qui conduisait tout droit au cabinet du ministre.

«Hum!» fit le ministre. Et il ajouta aussitôt: «Elle a raison; deux soleils ne peuvent briller à la fois sur le même univers. Je suis de trop ici, il faut que je m’éclipse: qui m’aime me suive.»

Nous le suivîmes tous, en prenant des airs très affairés.

Les remords du docteur Ernster

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