Читать книгу Les remords du docteur Ernster - Jules Girardin - Страница 5
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Comme chacun le sait, l’Université du grand-duché de Münchhausen est organisée à la française. Elle a à sa tête un grand maître de l’Université qui a rang de ministre. Ce ministre réside dans un ministère où il y a beaucoup d’employés et beaucoup de cartons verts remplis de documents universitaires. L’Université de Münchhausen se subdivise en deux académies: 1° celle de Münchhausen; 2° celle de Ditto. Chacune de ces académies possède le nombre réglementaire de facultés, plus un certain nombre de facultés supplémentaires, créées au fur et à mesure «pour répondre aux besoins nouveaux d’une époque nouvelle», comme le dit fort doctement le texte des décrets de création. Les personnes curieuses de ces sortes de choses pourront, pour plus amples informations, consulter l’Annuaire du grand-duché de Münchhausen.
A la page 30 dudit Annuaire, ces personnes trouveront le nom du docteur Ernster, docteur en philosophie naturelle et en mathématiques transcendantes, et elles constateront que le docteur Ernster est chargé, à Münchhausen, du Cours d’esthétique pratique, d’après les textes anciens et modernes.
Mon nom est aussi dans l’Annuaire, et je suis collègue du docteur Ernster. Mais, comme mon nom importe peu à l’affaire, je m’abstiens de le faire connaître ici. Ce que je tiens à dire, par exemple, c’est que je suis l’un des nombreux amis du docteur. Au fait, qui ne serait pas l’ami de notre bon Ernster? Je n’ai connu qu’une exception à ce que j’oserai appeler une règle générale; Cette exception, c’est notre collègue Würtz. Oui, pendant ses années de misanthropie, le docteur Würtz s’est tenu à l’écart. Mais, depuis sa conversion au bon sens et à la sociabilité, il a bien rattrapé le temps perdu.
Pourquoi nous aimons Ernster, je m’en vais vous le dire.
Il y a des gens qui sont foncièrement bons, mais que la nature a affligés d’un extérieur ingrat et déplaisant. Ceux-là, comme disait cet ancien, payent les intérêts de leur mauvaise mine. On ne revient sur leur compte que par expérience et par raisonnement. Certaines personnes même, tout en leur rendant justice, n’arrivent pas à les aimer comme ils méritent d’être aimés.
Il y en a d’autres, au contraire, dont l’extérieur aimable vous séduit à première vue. A l’user seulement, on découvre que leur fait n’est que bonne mine, que leur bonté n’est qu’apparente, banale et sans effet. Ceux-là, on ne tarde guère à les estimer ce qu’ils valent, et, par conséquent, à les mépriser et à les délaisser.
Le docteur Ernster était foncièrement bon, et sa bonté se reflétait sur son aimable physionomie.