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XII

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En attendant son arrivée, nous allâmes faire un tour dans les salons.

«Oh! comme on a fumé ! dit Mme la grande maîtresse de l’Université à son mari.

— Oui, pas mal, répondit le brave homme; mais, vous savez, ajouta-t-il en lui lançant un regard d’intelligence et en se frottant les mains, on fait quelquefois de très bonne besogne en fumant.

— Ah! et cette besogne?

— Secret d’État! Je vous laisse pour aller consoler M. l’ambassadeur d’Allemagne. Je vois, à son air renfrogné, qu’il a dû perdre des sommes folles; et comme Hansdell fait la roue, je suppose que ces sommes folles ont passé de la poche de M. l’ambassadeur dans la sienne.

— Précisément.»

M. le grand maître réussit, à force de bonne grâce et de cajoleries, à ramener, momentanément du moins, le sourire sur les lèvres de M. l’ambassadeur. Et moi, je me disais, en voyant de loin cette petite scène si amusante, que dans les âmes les meilleures, comme celle par exemple de Son Excellence le grand maître, il y a toujours un petit coin de rouerie et de scélératesse.

M. l’ambassadeur se retira; la plupart des invités se retirèrent. Enfin, M. le contrôleur des ministères arriva. Le grand maître l’emmena avec lui, notre ami les accompagna.

«Écoutez, me dit-il avant de les suivre, l’affaire d’argent sera vite réglée, puisque M. le contrôleur n’a qu’à signer sur le registre, au-dessous de l’indication de la somme empruntée; mais M. le ministre a quelques instructions à me donner. Voici la clef de mon appartement. Au lieu de bâiller ici sur une banquette en m’attendant, ayez la bonté de monter chez moi. Dites à mon domestique de préparer mes deux portemanteaux, et puis mettez-vous à l’aise. Votre pipe Wilhelmine est toujours accrochée au même clou. Vous savez où sont les cigares et les rafraîchissements. Mille pardons pour toute la peine que je vais vous donner,... oui, oui, je sais que je puis compter sur vous. Allons, à bientôt!»

J’avais quitté Ernster à une heure du matin. Étendu dans son grand fauteuil, je m’occupais à voir le taciturne Jffland, son domestique, comprimer méthodiquement des effets et du linge dans les deux portemanteaux. Ayant décroché le manteau de fourrure, il me le montra sans rien dire; je fis de la tête un signe négatif, et il s’en alla flegmatiquement le remettre où il l’avait pris. Là se borna notre entretien. Quand notre ami rentra, j’avais bourré et fumé trois fois Wilhelmine, je n’eus donc pas besoin de regarder à la pendule pour savoir qu’il était deux heures et demie.

Iffland, debout devant les portemanteaux, les désigna d’un signe de tête interrogatif; traduction: Est-ce bien cela? Notre ami lui répondit par un signe de tête affirmatif et le congédia du geste. Iffland salua profondément et se retira, sans demander la moindre explication.

«Je crois rêver, me dit notre ami en marchant de long en large et en s’arrêtant chaque fois qu’il passait devant moi. J’ai dans le cœur tant de sentiments qui se combattent, et dans la tête tant d’idées contradictoires, que je ne me sens pas dans mon état ordinaire. Je ne pouvais pas refuser, n’est-ce pas?

— Non, certes, vous ne pouviez pas refuser. Étant données les circonstances, c’était votre devoir d’accepter.

— Je le crois; j’ai besoin de le croire.

— Et pourquoi donc avez-vous besoin de le croire?

— Pourquoi? Mais pour légitimer à mes propres yeux la joie folle que j’éprouve à l’idée de voir l’Italie et la Sicile, et aussi pour me donner le courage de quitter, ne fût-ce que pour un temps, un pays où j’ai été si heureux; de renoncer à mes plus chères habitudes, de laisser derrière moi mes meilleurs amis. Que de liens à rompre, et si brusquement! Et puis, je hais les remords; et, dans tous les sens, j’éprouverais des remords si je n’avais l’assurance, la ferme assurance que j’accomplis un devoir tout en satisfaisant mes goûts. Pardonnez-moi cette explosion; j’en rougirais devant tout autre que vous. Tenez, parlons d’autre chose.»

Il me donna alors ses instructions et me remit l’argent nécessaire pour accomplir ma mission. Il n’y eut rien de nouveau pour moi, sinon les noms de ses protégés, dans les confidences qu’il fut obligé de me faire en rougissant. Je ne lui dis pas, bien entendu, que je l’avais deviné depuis longtemps, et que je n’étais pas le seul. La charité a sa pudeur, comme toutes les autres vertus; elle veut bien se confier, en de rares occasions, dans les cas de force majeure; mais elle n’aime pas à être devinée; sans cela, pourquoi se cacherait-elle? Je pus voir, à la somme que me confia notre ami, qu’il eût été fort en peine s’il lui avait fallu renoncer à la moitié de son traitement, comme le grand maître le lui avait proposé en plaisantant. La charité nous fait une loi d’obligation morale, à tous, de donner aux pauvres le dixième de notre revenu; le docteur Ernster leur en consacrait presque les cinq dixièmes. Je compris aussi (avec quel redoublement d’estime et d’affection!) pourquoi cet adorateur passionné du beau dans les œuvres de l’art et dans celles de la nature n’avait jamais vu l’Italie.

Les remords du docteur Ernster

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