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XVIII

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— Pas le moins du monde.

— Alors je n’y suis plus du tout.

— Vous allez me comprendre. Supposez que vous soyez avocat; supposez que vous ayez plaidé une cause, une cause sacrée. Vous l’avez plaidée au pied levé, avec négligence, et vous êtes parti, le cœur léger, pour un voyage d’agrément. Au retour de ce voyage, vous entendez parler de cette fameuse cause. Vous apprenez qu’elle est perdue, que, faute par vous d’avoir expliqué nettement votre pensée, des milliers d’innocents ont subi et subissent tous les jours les conséquences de votre légèreté, de votre inexcusable légèreté.

— Mais, mon ami, vous n’êtes pas avocat, que je sache.

— Je ne suis pas avocat de profession, c’est parfaitement vrai, mais je l’ai été une fois par occasion, à mon dam, comme vous allez le voir....»

En ce moment, Iffland entre-bâilla la porte, passa sa tête par l’entre-bâillement, et regarda son maître en haussant par deux fois les sourcils. Traduction:

«Monsieur est servi!»

Méphisto prit les devants.

«Dînons d’abord, me dit Ernster; aussi bien je commence à m’apercevoir que je n’ai pas déjeuné. Hé, Seigneur Dieu, je ne me suis pas même donné un coup de brosse. Excusez-moi, je reviens dans deux minutes.»

Il disparut dans son cabinet de toilette, où je l’entendis faire ses ablutions à grande eau. Je me creusais la tête pour deviner quelle était cette cause sacrée qu’il prétendait avoir perdue, et plus je cherchais, moins je trouvais, naturellement. Ernster reparut et me dit en souriant:

«Je rentre dans la vie civilisée; par-dessus le marché, j’ai faim. C’est bon signe, n’est-ce pas? Maintenant, entre nous, comme je ne veux pas faire à Iffland le chagrin de le renvoyer de la salle à manger, et que je ne tiens pas, d’autre part, à raconter ma déconfiture devant lui, je vous demanderai d’avoir un peu de patience. Je lui dirai de servir le café dans mon cabinet de travail, et nous aurons toute la soirée devant nous.

— Accordé », lui répondis-je.

Là-dessus, nous passâmes dans la salle à manger. Méphisto était déjà installé à sa place, qui n’était pas à table, bien entendu. A chaque repas, le méthodique Iffland étalait une natte de paille dans le fond de la salle. C’était la nappe de Méphisto. C’est là qu’on lui permettait de manger les os qu’il venait chercher très poliment, sur invitation, sans nul soupçon d’importunité ou de grossièreté.

L’usage de la natte de paille était de tradition dans la famille Ernster, depuis l’arrière-grand-père de mon ami, de même que l’usage des chiens bien élevés, répondant tous, à tour de rôle, au nom de Méphistophélès. Cet arrière-grand-père, qui s’appelait Wolfgang, comme Mozart, avait été l’ami intime de Gœthe. Il avait vécu très vieux, puisque notre ami l’avait connu dans son enfance. Il parlait volontiers de Pawolfgang ou Pawolf, comme on l’appelait dans la famille. Tous ces souvenirs me revinrent à l’esprit en l’espace d’une seconde, pendant que je regardais, avant de m’asseoir à table, un petit pastel qui représentait Pawolfgang, et auquel j’étais destiné à tourner le dos, une fois assis à ma place, en face de notre ami.

«Quelle aimable et douce physionomie! dis-je presque sans m’en apercevoir.

— N’est-ce pas? me répondit-il avec un sourire de satisfaction. Vous connaissez les deux autres portraits de Pawolfgang, je veux dire le croquis au crayon qui est à la tête de mon lit, et qui est signé Gœthe, et la peinture à l’huile que j’ai en face de moi, dans mon cabinet. Celui-ci est le moins précieux des trois comme objet d’art; mais je le préfère aux deux autres, en dépit de la signature de Gœthe et de celle d’Angelica Kauffmann que portent les autres. Celui-ci me représente mieux Pawolfgang tel que je l’ai connu, avec ses ailes de pigeon poudrées à frimas, ses yeux d’un bleu de pervenche, si doux et si profonds, et ses lèvres si souriantes et si bonnes, quoique un peu minces.»

Les remords du docteur Ernster

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