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XIII

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Je restai avec lui le temps seulement qu’il employa à parfaire l’œuvre si bien commencée par le silencieux Iffland. Il insistait pour me retenir, il avait tant de choses à me dire!

«Vous me les direz en chemin de fer, lui répondis-je; je n’ai rien à faire demain, et je vous accompagnerai jusqu’à Ditto. Vous allez tâcher de dormir quelques heures, en prévision des fatigues du voyage.»

Alors seulement il me laissa aller.

Nous nous retrouvâmes le lendemain à la gare, un peu avant le passage du train éclair. Pour ne point donner l’éveil, il avait envoyé ses bagages de bonne heure. Iffland avait pris le billet et avait fait enregistrer les bagages longtemps à l’avance. Nous avions donc l’air de deux excursionnistes qui, n’ayant pas loin à aller, portent sur leur personne tout leur attirail de voyage.

Comme le train venait d’être signalé, Son Excellence l’ambassadeur d’Allemagne nous apparut, de l’autre côté de la voie, arrêté devant la barrière fermée. Il venait de faire, suivant son habitude, une promenade matinale à cheval.

Nous le saluâmes le plus naturellement du monde; il nous rendit notre salut, et nous cria:

«Excursion?

— Excursion à Ditto», lui répondis-je en souriant.

C’était la stricte vérité, en ce qui me concernait. Le train nous le cacha bientôt. Une minute après, nous passions lentement devant lui. Je m’étais mis à la portière, laissant notre ami dans l’ombre, afin qu’il n’eût pas à payer de sa personne, dans le cas où M. l’ambassadeur d’Allemagne songerait à nous adresser d’autres questions.

M. l’ambassadeur d’Allemagne avait fort à faire pour maintenir son cheval, que le sifflement de la locomotive avait effrayé. Néanmoins, pour montrer qu’il avait l’esprit libre et qu’il était maître de sa monture, il m’adressa un petit signe familier avec sa cravache, et cria:

«Bon voyage! bonne chance!»

Comme j’avais l’esprit passablement troublé, je ne compris pas tout de suite ce que ces souhaits avaient de piquant et de comique, venant de lui. Mais plus tard, lorsqu’ils me revinrent à la mémoire et que je contai l’aventure au grand maître, il en rit aux larmes pendant plus de cinq minutes.

Nous avions beaucoup de choses à nous dire, Ernster et moi, et je lui faisais la conduite jusqu’à Ditto afin que nous pussions nous les dire. Mais, en dépit de nos efforts, nous avions le cœur si gros que nous parlâmes de choses indifférentes; ou, parmi les sujets qui n’étaient pas absolument indifférents, nous n’abordâmes que ceux où le sentiment n’avait rien à voir.

Quand je consulte ma mémoire pour me rendre compte de ce que nous avons bien pu nous dire pendant ce trajet de deux. heures, j’y retrouve en tout et pour tout les dernières instructions données à notre ami par le grand maître, au cours de leur dernière entrevue.

Par exemple, dans toutes ses correspondances, dépêches ou lettres, notre ami devait signer du nom de Miller, parce que, vous savez, les dépêches passent sous les yeux de tout le monde. Quant aux lettres, dame! elles se perdent quelquefois, et il est probable que, dans ce cas, quelqu’un les trouve et en fait discrètement son profit: l’Allemagne a l’œil et la main partout!

A. supposer que le trésor de notre compatriote de Sicile fût véritablement un trésor, peut-être l’évaluation du docteur Ernster s’élèverait-elle à un taux que ne pourrait solder la cassette particulière de Son Altesse Sérénissime; alors, oh! alors, le délégué de notre cher ministre avait mission de faire prévenir le ministère français, parce que, comme avait dit Son Excellence, après le bonheur de posséder des chefs-d’œuvre, il y a encore celui de les contempler. Or nos bonnes gens de Münchhausen vont rarement à Berlin, et souvent à Paris.

Telles étaient les instructions du délégué, et tel fut le fond de notre conversation entre Münchhausen et Ditto. Joignez-y de longs intervalles de silence, pendant lesquels notre ami regardait par une portière et moi par l’autre, parce que nous n’osions pas nous regarder en face. Joignez-y enfin quelques remarques banales et sans intérêt sur le paysage, sur les châteaux et sur l’état de l’agriculture dans le grand-duché, et je puis affirmer que c’est tout. Et pourtant nos cœurs débordaient de tendresse, et jamais nous n’avions ressenti plus vivement à quel point nous étions amis.

A Ditto nous nous serrâmes assez stoïquement la main. Si j’avais osé, je me serais tout simplement jeté dans les bras du docteur Ernster, et peut-être avait-il, de son côté, une furieuse envie de se jeter dans les miens. Quoi qu’il en soit, nous nous serrâmes stoïquement la main. Le train l’emporta, et je suis persuadé qu’il broya du noir pendant de longues heures après notre séparation. Quant à moi, en attendant le train descendant, je m’en allai flâner à travers champs, non pas que le paysage eût pour moi beaucoup d’attrait, mais parce que, vous savez, quand on a le cœur bien gros, on aime mieux pleurer devant des haies et des saules que devant des hommes.

Les remords du docteur Ernster

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