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V
Оглавление«On vous couvrira d’or! riposta le grand maître.
— Vous ne feriez pas cela, monsieur le ministre, les règlements s’y opposent.
— Nous verrons tout à l’heure. Est-ce votre seule objection?
— J’en ai une autre, répondit notre ami en rougissant.
— Voyons cette objection, dit le grand maître, qui se pencha en avant pour regarder notre ami de plus près. Il avait familièrement appuyé ses deux coudes sur ses genoux et rapproché ses deux mains, qu’il tapotait l’une contre l’autre, en mesure.
— Je crois être utile à mes auditeurs, je crois, je... suis sûr que je leur fais du bien.
— La modestie est la parure du mérite, dit le grand maître qui cessa de se tapoter le bout des doigts et porta vivement sa main droite à son menton. De sorte que vous vous croyez nécessaire.
— Il n’y a pas d’homme nécessaire, mais il y a des hommes utiles. Je suis fâché d’avoir à dire de moi que je suis utile, cela a mauvaise grâce et mauvais air. Mais je ne fais que répéter ce que vous avez eu l’obligeance de me dire vous-même il n’y a pas huit jours.
— Oh! quel malheur! s’écria le grand maître, voilà ma femme qui me fait signe et m’appelle à la rescousse. J’aurais tant aimé, notre ami, à vous tenir plus longtemps sur la sellette; vous y faites si bonne figure! Me voilà forcé d’abréger et d’aller droit au but. Oui, notre ami, vous êtes utile ici, je vous ai même dit: très utile; mais momentanément vous pouvez être plus utile, beaucoup plus utile ailleurs qu’ici.»
Du coup, le grand maître parlait sérieusement; il n’y avait pas à s’y méprendre. Et comme il avait baissé la voix, après avoir jeté autour de lui un coup d’œil circonspect, nous rapprochâmes nos sièges du sien et nous nous penchâmes en avant, pour qu’il pût continuer de parler à voix basse.
«Il n’y a ici, dans ce coin, reprit le grand maître, que des membres de l’Université ; je puis donc dire que nous sommes en famille. Messieurs, je vais parler comme en famille, en vous priant tous de considérer cet entretien comme confidentiel. Eh! qu’est-ce que c’est?»
Ces dernières paroles s’adressaient à un jeune homme roux, en irréprochable tenue de soirée, qui s’était approché de notre groupe, et qui, par discrétion, se tenait à trois pas, l’échiné pliée en deux, le claque pressé sur son cœur, la bouche souriante, attendant le bon plaisir du grand maître. Le jeune homme roux était un des professeurs de la Faculté de médecine. Il s’appelait Hansdell; on le disait très ambitieux; dans tous les cas il professait un culte presque superstitieux pour les grands de la terre.
«Eh? reprit le grand maître, qu’y a-t-il, docteur Hansdell?
— Un message que Son Excellence hautement bien née, madame la grande maîtresse, m’a fait l’honneur de me confier.
— Ah! voyons ce message.
— Son Excellence hautement bien née, madame la grande maîtresse de l’Université, a organisé un whist d’honneur; les joueurs sont Mme la princesse Horta, Son Excellence l’ambassadeur d’Angleterre et Son Excellence l’ambassadeur d’Allemagne. Il manque un quatrième, et Son Excellence madame la grande maîtresse de l’Université prie Votre Excellence de vouloir bien faire le quatrième.»
Cette macédoine de titres pompeusement énumérés par le jeune homme roux fit sourire le grand maître, qui était la simplicité et la bonhomie en personne; néanmoins il reprit, avec toute la gravité convenable:
«Savez-vous, docteur Hansdell? eh bien, je vais à mon tour vous charger d’un contre-message.»
Le jeune homme roux s’inclina profondément pour montrer à quel point il ressentait l’honneur que l’autre voulait bien lui conférer en faisant de lui son porte-parole.
«Le fait est, docteur Hansdell, que ces messieurs et moi, sous le couvert d’une réunion consacrée au plaisir, nous traitons une affaire qui n’admet pas de délai, une affaire d’État.»