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II

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Et non seulement il était bon de cœur et séduisant de physionomie, mais encore il avait l’air parfaitement heureux de vivre et de voir vivre tout ce qui a vie en ce monde. C’était une séduction de plus, et une grande séduction, qui ne manquait jamais son effet.

Nous aspirons tous au bonheur, c’est un fait qui n’a pas besoin d’être prouvé. «Le bonheur n’est pas de ce monde», c’est un axiome philosophique auquel l’ensemble des faits semble donner raison. Et cependant le docteur Ernster était heureux, incontestablement heureux. Et, ce qui paraîtra curieux pour quiconque connaît le fond de la nature humaine, tout le monde lui savait gré d’être heureux et de le paraître. Décidément, nous valons beaucoup mieux, nous autres simples bourgeois de Münchhausen, que ce haut et puissant personnage de l’antiquité, le Destin, puisqu’il faut l’appeler par son nom; car le Destin jalousait les mortels heureux, et n’avait pas honte d’user de sa puissance pour précipiter les heureux de ce monde dans les catastrophes les plus tragiques.

C’est qu’aussi le docteur Ernster n’avait le bonheur ni insolent ni égoïste: ni insolent, comme les parvenus qui narguent la foule; ni égoïste, comme le sage de Lucrèce qui regarde du haut de sa froide sérénité les luttes, les faiblesses et les malheurs de l’humanité.

Le docteur n’allait pas jusqu’à s’excuser d’être heureux, mais il ne s’était jamais targué de son bonheur, il n’en avait même jamais parlé. Il ne se désintéressait pas non plus des souffrances, des misères, des faiblesses d’autrui. Bien des gens auraient pu affirmer, sous la foi du serment, qu’on ne recourait jamais en vain à sa bourse, à ses conseils, à sa sympathie.

Le docteur avait eu sa part des douleurs humaines. Il avait perdu son père et sa mère, il avait perdu une fiancée, au souvenir de laquelle il était resté fidèle depuis vingt ans. Nous le connaissions trop bien pour croire que l’oubli eût accompli son œuvre dans cette âme d’élite, quel que fût le nombre des années écoulées. Alors comment expliquer cette sérénité inexplicable et cette joie de vivre, après que la mort lui avait ravi tout ce qui peut faire de la vie une bénédiction?

J’ai dit que j’étais son collègue, je puis ajouter que j’étais son disciple, en ce sens que j’assistais à son cours toutes les fois que cela m’était possible, c’est-à-dire quand mes heures de leçons ne coïncidaient pas avec les siennes.

Sous différentes formes, je lui ai entendu développer les pensées suivantes, qui, je le crois, peuvent donner la clef de toute son existence et dissiper tout mystère: «Mes amis, nous allons chercher la vie dans les textes écrits qui peuvent sembler, à première vue, aussi morts et aussi froids que les feuilles d’antan. Mais la vie est partout, même dans la mort; car la mort n’est que le passage à une vie supérieure, où nous attendent ceux que nous avons aimés.... Nous sommes sur la terre, non en exil, mais en apprentissage. Mauvais apprenti, celui qui boude son métier. Ne boudons jamais le métier de vivre, qui, en somme, est un noble métier, et tirons-en non seulement la connaissance du métier, qui est requise de chacun pour passer maître, mais encore la joie qui vient de la connaissance acquise et du devoir accompli. Imitons l’apprenti légendaire du cordonnier Schnaps, qui travaillait, en sifflant et en chantant, «entre

«un merle qu’il élevait en cage et un basilic qu’il cultivait en

«pot», comme dit la chanson, et qui, toujours gai et toujours prêt à donner la riposte aux passants, n’en était que meilleur apprenti!» — «Les causes de nos chagrins sont diverses et nombreuses, mais il n’est pas de douleur humaine qui ne soit tolérable au moment où nous recevons le coup, et «surmontable », grâce à l’action du temps et du courage, toutes les fois que cette douleur n’est pas accompagnée d’un remords.... Je hais les remords, a dit une Française de beaucoup de sens, Mme de Sévigné. Si j’ai bonne mémoire, Mme de Sévigné écrivait ces paroles à propos d’une vieille tante à elle, condamnée par les médecins, et qui n’en finissait point de mourir. Le désir de Mme de Sévigné l’emportait loin de la vieille tante, mais sa haine du remords la retenait auprès d’elle; elle eut patience et fit son devoir jusqu’au bout. En toute circonstance elle agissait de même; de là lui vient cette saine, robuste et franche gaieté qui la rapproche de nous autres bons bourgeois, toute grande dame qu’elle était; qui en fait, à deux cents ans de distance, notre contemporaine à nous autres gens du dix-neuvième siècle, et j’allais dire notre compatriote à nous autres Münchhausenois; qui aimons la paix du cœur et la franche gaieté....» — «La gaieté, mes amis, est une vertu et une force pour les peuples comme pour les particuliers. Nos voisins d’outre-Rhin, les Français, ont fait de grandes choses; et là où ils ont le plus brillé, c’est quand ils ont eu l’héroïsme gai et boute-en-train. Il y a dans leur langue une expression si familière que je ne devrais peut-être pas l’employer ici; mais elle peint si bien le génie de la race, et elle vient si à point pour mon propos, que je la risque sans craindre de vous scandaliser: «Allons-y gaiement», disent-ils au moment de risquer leur vie; et ils accomplissent gaiement des actes d’héroïsme....»

Ici, par parenthèse, le docteur Ernster fut interrompu par une double salve d’applaudissements. Nos étudiants ne cachent pas leur sympathie pour la France; et nous autres, gens plus mûrs, nous ne partageons point les préjugés et les haines que nourrit contre elle une partie de l’Allemagne.

Les remords du docteur Ernster

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