Читать книгу Les remords du docteur Ernster - Jules Girardin - Страница 14
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Оглавление— Merci! mille fois merci! s’écria le grand maître en lui serrant les deux mains dans les siennes. Je n’attendais pas moins de vous!»
Par suite d’une réaction qui se produit fréquemment chez les gens profondément émus, le grand maître quitta brusquement le ton solennel pour retomber dans la plaisanterie.
«Et maintenant, dit-il, avouez, notre ami, que vous toussez et que vous avez besoin d’un congé pour aller vous refaire dans le Midi.
— Je l’avoue, répondit Ernster en souriant.
— On vous accordera ce congé, soyez tranquille. Ce ne sera pas long. Avouez encore, pendant que vous y êtes, que c’est un grand plaisir pour vous de laisser pour un an le champ libre à notre autre ami le privat-docent, et de lui donner lieu de se faire connaître et de gagner enfin sa pauvre vie.
— J’avoue cela encore; oui, sérieusement, c’est pour moi une compensation au regret de quitter mon auditoire.
— Et vous partez?
— Après-demain. Est-ce assez tôt?
— Oh! certainement. Mais, si la Prusse....
— Demain, alors. Seulement, accordez-moi la matinée, j’ai quelques petites affaires à régler.»
Nous pensâmes tous, le grand maître comme les autres, que notre ami songeait à ses pauvres protégés.
«Retournons-nous là-bas?» demanda le grand maître en indiquant du pouce, par-dessus son épaule, la région des salons.
Il disait cela pour nous mettre à notre aise, mais on voyait bien qu’il n’enviait nullement au jeune homme roux les honneurs de la table de whist.
«Ma foi non! répondit délibérément Vischer. On est très bien ici. Et puis, vous savez, nous fumâmes si consciencieusement que le cabinet de Votre Excellence est une vraie tabagie. Nous emporterions l’odeur du tabac dans les salons; la princesse Horta ne dirait rien, elle est trop bien élevée pour rien dire, mais elle froncerait le nez, sans le vouloir et sans le savoir. Comme son auguste frère ne fume pas, elle est un peu sensitive en matière de tabac.... Ne pas fumer! ajouta-t-il en chassant avec emphase une épaisse colonne de fumée, c’est le seul défaut que je connaisse à Son Altesse Sérénissime.»
Le grand maître, si j’ose parler ainsi, se tassa dans son fauteuil, avec le sentiment de bien-être que l’on éprouve quand on acquiert tout à coup la certitude que, pour une raison ou pour une autre, on va pouvoir rester chez soi à tisonner, en pantoufles, au lieu d’aller accomplir quelque corvée mondaine.
«Eh bien! dit-il en jetant sur nous un regard circulaire de bienveillance paternelle, savez-vous ce que nous allons faire, mes bons amis?
— Nous allons causer, boire de la bière et fumer, répondit Vischer.
— Nous allons ouvrir les fenêtres pour donner de l’air à la pièce, ajouta un autre.
— Nous allons, séance tenante, nous occuper du voyage de notre ami, reprit le grand maître.
— C’est cela, répondit le chœur.
— Article premier, dit le grand maître, qui veut me servir de secrétaire?
— Moi, répondit immédiatement le docteur Kohl, qui n’avait encore ouvert la bouche que pour ingurgiter de petites gorgées de bière et pour émettre des spirales de fumée.
— Merci, docteur Kohl; vous avez, pas loin de vous, tout ce qu’il faut pour écrire; je m’en vais vous dicter, selon les formules officielles, la demande de congé de notre ami, qu’il voudra bien signer ensuite, puis la réponse du ministre compétent, que je signerai aussi, séance tenante: ce sera toujours cela de fait.»
La demande de congé et la réponse dûment signées et parafées, le grand maître ajouta:
«Docteur Vischer, vous trouverez un indicateur des chemins de fer sous cette pile de brochures. Oui, là où vous avez la main. Oh! ne perdez pas votre temps à ramasser les brochures qui sont tombées, c’est l’affaire de Pippermann. Voulez-vous me passer l’indicateur, maintenant? Ah! Kohl, en faisant pivoter votre fauteuil sur un des pieds de derrière, oui, comme cela, vous êtes en face du gisement des atlas de géographie: voulez-vous en distribuer à ceux qui en voudront, pour dresser l’itinéraire de notre cher voyageur?»