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XV
ОглавлениеIl allait ensuite faire son rapport au grand-duc, et le grand-duc, comme Louis XIV, se plaignait de sa grandeur qui l’attachait au rivage. A la fin, il n’y tint plus, et une belle nuit, sous la conduite de Son Excellence, il vint contempler de ses yeux les trésors sans prix que je n’ai pas besoin de louer ici, puisque l’univers entier les a vus depuis, soit à Münchhausen, soit dans les albums de gravures ou de photographies.
Son Altesse Sérénissime ne renouvela pas son escapade, parce que, le lendemain, le premier gentilhomme de la garde-robe, homme épris de ses fonctions et singulièrement formaliste, faillit se trouver mal en découvrant que les vêtements de Son Altesse étaient souillés de plâtre, de terre, d’étoupe, de foin et de toiles d’araignée. Il allait faire un esclandre, ou tout au moins une enquête, quand le grand-duc lui imposa silence. Son Altesse fit des gorges chaudes de l’aventure avec la princesse Horta, qui était dans le secret, mais elle se tint pour avertie.
Le plus plaisant de l’affaire, c’est que M. l’ambassadeur d’Allemagne faisait grand bruit et grand fracas de quelques broutilles gréco-romaines qu’un Winckelmann de troisième ordre avait déterrées en Italie pour le compte de son gouvernement.
Et comment savions-nous que c’étaient des broutilles? Par une lettre d’Ernster, signée Ernster, où il nous parlait de ses excursions en Italie. Toutes les lettres où il était question du fameux commerce de vins partaient de Sicile. Elles nous annonçaient l’envoi d’un tonneau marqué AC ou MK, et le tonneau (lisez la caisse) arrivait toujours, après avoir touché barre à l’un des endroits que j’ai indiqués. Puis les annonces de tonneaux cessaient pendant un certain temps, et alors nous recevions d’Italie des lettres où Ernster nous racontait ses joies et ses ravissements. Celles-là, on en parlait ouvertement devant M. l’ambassadeur d’Allemagne, et quelquefois même on lui en lisait des passages.
Nous nous demandions tout le temps comment des fouilles si considérables n’attiraient pas l’attention publique, et nous craignions à chaque instant de voir signaler le fait dans les journaux. Autre problème: Comment se faisait-il que les caisses fussent de provenances différentes? C’était un procédé fort ingénieux pour dépister les indiscrets; mais comment les expéditeurs s’y prenaient-ils?
Le prudent Miller n’en disait rien dans ses lettres, et il avait bien raison; quant à nous, nous nous perdions en conjectures. Nous n’eûmes la solution du problème qu’après le retour d’Ernster.
Quoique je sois né dans le grand-duché, je puis bien dire ici, sans être accusé de fanfaronnade, ce qui est de notoriété publique, à savoir que les indigènes ont une réputation méritée de finesse et d’ingéniosité. Établi en Sicile, et forcé de voyager souvent pour son commerce, notre compatriote de là-bas avait jugé prudent de se mettre en excellents termes avec les messieurs qui, sous le nom de brigands, lèvent par le pays des taxes extralégales, et dont les traits caractéristiques, quant à l’extérieur, sont le chapeau pointu et le tromblon évasé. En toute occasion, il les avait régalés au détriment de sa cave et au profit de sa sécurité personnelle. Bref, il s’était établi entre ces braves gens et lui un petit commerce de bons procédés.
Quand il s’était décidé à éventrer sa vigne, il avait prié ses amis de la montagne de venir un peu plus souvent lui rendre visite. Ils se rafraîchiraient, et même ils pourraient emporter avec eux, sur un mulet d’emprunt, quelque tonnelet des bons crus.
Il avait prié ses amis de la montagne de venir lui rendre visite.
La vue des chapeaux pointus et des tromblons évasés avait suffi pour tenir à l’écart les simples curieux du pays et les Anglais, toujours munis de petits marteaux de géologues et d’une provision de papier à lettres destinée à leur correspondance avec le Times.
De brigand à contrebandier il n’y a que la main. Notre compatriote connaissait aussi bon nombre de contrebandiers sans ouvrage. Par amitié pour lui, et par amitié aussi pour les pièces d’or dont il n’était pas chiche, ayant carte blanche, ils transportaient ses caisses dans tous les ports imaginables. Pour les travaux d’excavation, il avait employé des Maltais, gens robustes, discrets, qui n’avaient pas le temps de voisiner, et qui d’ailleurs redoutaient la population du pays, au moins autant que la population redoutait les brigands.