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§ XVI.
ОглавлениеDu blé d’Espagne, ou maïs, dans les Landes.
(Extrait du Mémoire sur la meilleure manière de tirer parti des Landes de Bordeaux, quant à la culture et à la population, qui a remporté le prix en 1776, au jugement de l’Académie royale des belles-lettres, sciences et arts de Bordeaux; par M. Desbiey, entrepreneur et receveur des fermes du Roi, à la Teste. )
Ce Mémoire est divisé en trois parties. La première décrit l’état des Landes de Bordeaux, au moment où l’auteur écrivoit. Il dit que ce qu’il y avoit d’inculte dans les grandes Landes, dans les petites, et dans celle du pays de Médoc, n’alloit pas à moins de 400 grandes lieues carrées, en donnant à la lieue courante 3000 toises courantes. (page 56.) Quelle magnifique province à conquérir! et ce n’est pas la seule en France!
La seconde- partie traite des moyens généraux qu’il seroit à propos d’employer pour remplir le but du programme.
La troisième en développe les moyens particuliers.
«Selon M. Desbiey, la culture des bois de pin, de liége et de chêne, devroit être la plus considérable dans le défrichement de ces vastes Landes. Elle devroit occu per les deux tiers du terrain vide que laisseroient les chemins et les canaux, par la construction desquels il faudroit commencer. L’autre tiers devroit être distribué en deux mille huit cents domaines, de 600 journaux d’étendue (le journal des Landes est de 1936 toises carrées: les 600 journaux proposés pour chaque domaine équivaudront à 1400 journaux bordelais, page 56 ). La portion de ces domaines qui seroit consacrée à la culture des grains, admettroit, suivant l’auteur, d’abord le seigle, ensuite le maïs. Pour entendre ce qu’il dit du dernier de ces grains, il est nécessaire de voir aussi ce qu’il dit du premier, et de la préparation du sol pour recevoir l’un et l’autre.
» En ouvrant les fossés mitoyens des domaines, on jetteroit sur les deux bords les terres qui en seroient extraites, et on les y laisseroit reposer pendant deux hivers. On féroit transporter sur les carrés profondément bêchés, et destinés à la culture des grains, ces terres extraites, après que les gelées et les pluies de deux hivers en auroient divisé les parties les plus compactes, et les auroient réduites à des molécules plus atténuées.
» Ces terres ainsi préparées ne demanderoient ni charrue, ni semoir, ni procédés extraordinaires. Attentif à n’y semer que les espèces de grains qu’elles pourroient nourrir avec le moins d’efforts, le laboureur les trouveroit toujours dociles, si, en les travaillant et les ensemençant à propos, il leur rendoit dans les temps convenables, par les engrais et de profond labours, les sucs qu’une production continuelle ne cesseroit de leur enlever.
» Les seigles sont, de tous les grains de première nécessité, ceux que Desbiey croit convenir le mieux aux terres légères et sablonneuses des Landes. Ce seroit se faire illusion, dit-il, que d’imaginer pouvoir avec succès cultiver le froment dans les fonds ordinaires de ces contrées. Les fonds des hautes Landes ne sauroient en produire qu’à force d’engrais et de soins, qui les rendroient trop coûteux aux cultivateurs. (Il faudroit voir ce que produiront les essais du blé de mars, qui sont tentés aujourd’hui dans ce pays, d’après mes vues énoncées dans l’Art de multiplier les grains. )
» L’usage des jachères n’est pas connu dans le peu de terrain mis en culture dans les Landes; et Desbiey est bien éloigné de le conseiller dans le plan des nouveaux établissemens qu’il propose. Les terres destinées à la culture des grains n’y reposent jamais. L’expérience avoit même prouvé à Fauteur que les terres de l’espèce de celle des Landes se perdent entièrement par l’usage des jachères. Le chiendent et les autres plantes de mauvaise qualité s’y multiplient alors au point qu’il faut les défricher à nouveaux frais, avant de les remettre en rapport. Jamais ces terres ne sont mieux disposées à produire que quand, ensemencées de quelque grain utile, elles forcent, pour ainsi dire, le laboureur à les sarcler, à les purger de toutes les plantes étrangères et nuisibles à la réçolte qu’il attend. Celles de ces terres sur lesquelles on n’a pu répandre des engrais, portent au moins une fois chaque année ou du seigle, ou quelques autres menus grains. Les autres, munies d’engrais suffisans au moment où les seigles vont être semés, donnent deux récoltes annuellement, l’une de seigle, l’autre de blé d’Espagne, de panis ou de millet. Quelques-unes rapportent même jusqu’à trois fois dans la même année; c’est-à-dire, du seigle au mois de juin, des petites féves vers la mi-septembre, du blé d’Espagne, du panis ou du millet à la fin du même mois, ou au commencement d’octobre. Ce système d’agriculture, particulier aux habitans des Landes, est justifié par une expérience immémoriale, et par des succès toujours constans. ( Page 51. )
» Parmi les grains de première nécessité, le blé d’Espagne, connu en certains lieux sous les dénominations de maïs, de blé d’Inde et de blé de Turquie, est, après le seigle, celui qui mérite le mieux l’attention des laboureurs. ( Ibid. )
» Un préjugé, qui subsistoit encore en 1757 dans le canton des Landes, que Desbiey habitoit alors, et où il cultivoit une portion de l’héritage de ses pères, avoit tellement borné la culture de ce grain, qu’il n’étoit semé que dans les meilleurs fonds, et dans l’unique objet d’avoir du vert pour les chevaux et les boeufs de labour. S’il étoit cultivé pour en recueillir le grain, ce n’étoit que par une espèce de luxe ou de curiosité, dans quelques carreaux seulement des jardins les plus frais de MM. les curés et des principaux propriétaires.
» Desbiey n’avoit pas oublié qu’il en avoit vu autrefois semer en plein champ dans les palus et les terres fortes de la Chalosse et de l’Armagnac. Il savoit que les Basques avoient également réussi à le naturaliser sur le sol pierreux qu’ils habitent. Il conçut le dessein de le naturaliser aussi dans les Landes, si l’essai qu’il projetait pouvoit être couronné de quelques succès.
» Il avoit dans un champ d’une assez grande étendue une pièce de terre d’un mauvais sablon, de la contenance d’un journal et demi (le journal de 48 cannes carrées, la canne de 48 caneaux, le carreau de 5 pieds et demi à chacun de ses cotés, donnant chacun 3o pieds un quart de superficie ). Malgré tous les soins de l’auteur et le secours des engrais, l’ancienne culture du millet avoit tellement amaigri cette pièce de terre, que le seigle y étoit toujours très-bas, fort laid, et ne portant que des épis très-petits, et très-peu fournis de grains. Au lieu de l’ensemencer en seigle, comme c’étoit l’usage, Desbiey se borna à la faire labourer deux fois bien profondément pendant l’hiver de 1757. Les gelées et les pluies des mois de novembre et décembre passèrent sur l’un et l’autre labourage. Au printemps suivant, lorsqu’il se détermina à essayer si le blé d’Espagne réussiroit en plein champ dans les terres sablonneuses des Landes, il fit ameublir sa pièce de terre, en la faisant couper au vif et en travers, à menus sillons, et en la faisant herser ensuite pour en tirer le chiendent et les autres mauvaises herbes qu’il fit brûler avec soin. Il fit tailler ensuite de grands sillons à 30 pouces, c’est-à-dire à la véritable largeur de la rège du journal. Cette méthode parut extraordinaire à ses voisins. L’usage du pays réduisoit alors le sillon à 20 pouces de largeur, et même au-dessous. Desbiey avoit observé que les seigles ne produisoient pas proportionnellement à l’étendue du terrain, parce que les premières chaleurs du printemps absorboient l’humidité qui vivifie les plantes. Il imagina qu’en donnant plus de terre à la crête des sillons, les chaleurs les pénétreroient moins; que les chaleurs de l’hiver ne décharneroient pas autant les seigles, et que par conséquent les blés y auroient, jusqu’à leur maturité, l’humidité nécessaire à leur végétation. Un araire et un soc exécutés conformément à son idée, formèrent des sillons dont la profondeur de la cave procuroit toute la terre nécessaire pour garnir et relever leur crête.
» Ses sillons étant ainsi tracés avec cet araire, il prit deux femmes avec lui, et afin de pouvoir mieux juger de son essai, il voulut présider au travail qu’il leur expliqua. L’une d’elles, en travaillant à reculons, pratiquoit, à grands coups de sarcloir, au fond de la cave du sillon, des creux de 3 ou 4 pouces, et à la distance à-peu-près d’un pied et demi l’un de l’autre. L’autre femme entroit dans le sillon à mesure que les creux y étoient faits, et, munie d’un panier plein de fumier haché bien menu, elle en jetoit une poignée dans chaque fosse. Desbiey venoit ensuite: il laissoit tomber dans chaque creux deux ou trois grains de blé d’Espagne, et d’un coup de pied il les recouvroit de terre. L’exécution d’un sillon apprit à ces femmes la manière d’ensemencer les autres. Il augmenta leur nombre, et il atteste que ce travail n’est ni trop long, ni trop coûteux, à en considérer le résultat.
» Les pluies du printemps de 1758 furent malheureusement très-abondantes, et elles entraînèrent tant de sable dans les sillons, que toutes les fosses où étoient semés les grains de blé d’Espagne en furent comblées. N’en voyant sortir aucune pousse après un temps qui lui avoit déjà paru bien long, il eut la curiosité d’examiner le travail de ces grains dans une des fosses. Il écarta avec les doigts la terre et le sable qui les avoient comblées; il trouva que le blé avoit germé, que le développement de ses feuilles étoit déjà commencé ; mais qu’ayant été surprises au moment de la pousse, par l’abondance et la rapidité des eaux pluviales, ses feuilles avoient été couchées par le poids des sables roulés avec les eaux, sans avoir eu la force de se relever. Des femmes furent aussitôt mandées; l’auteur leur montra la manière dont il vouloit qu’elles s’y prissent pour dégager ces pousses naissantes dans chacune des fosses, et elles l’exécutèrent parfaitement.
Deux de ces fosses seulement furent laissées par ses ordres dans le même état où les sables entraînés par les pluies les avoient mises, ayant eu l’attention de vérifier auparavant que les feuilles du blé d’Espagne y étoient couchées, et d’une couleur jaune pâle, comme il l’avoit observé dans toutes les autres.
» Tous les grains de ces deux fosses périrent; il n’en parut pas une seule pousse.
» Les autres, au contraire, acquirent tant de vigueur dans l’espace de huit jours, que l’auteur commença dès-lors à faire abattre un peu de terre de la crête des sillons pour en chausser les jeunes cannes. A mesure qu’elles prirent de la consistance, il leur fit continuer la même opération, et à quatre différentes reprises, jusqu’à ce que la crête des sillons se trouvât presque entièrement renversée à leur pied. Ce semis devint admirable par la beauté des cannes, et par celle des épis. Il produisit tant en fourrage qu’en grain une récolte qui, au jugement des connoisseurs, égaloit celle des meilleures terres de la Chalosse. ( Pages 52, 53 et 54. )
» L’intention de l’auteur n’étoit pas de laisser reposer cette terre. Il s’abstint cependant de la faire labourer, et se borna à la faire herser, dans le même automne de 1758, deux jours avant de l’ensemencer en seigle. Toutes les cannes d’Inde furent soigneusement arrachées et couchées dans le même alignement où elles avoient pris naissance. L’auteur y fit répandre la même quantité de fumier qu’on étoit dans l’usage d’y employer ci-devant; on sema le seigle, et il fit former ensuite de grands sillons de 3o pouces, de manière que la cave des anciens sillons devint la base de la crête des nouveaux, et que les cannes se trouvèrent couvertes par les terres qui s’élevèrent des nouvelles caves.
» Cette portion de champ donna du seigle si beau en 1759, que la paille surpassoit de 4 à 5 pouces en hauteur celle de tous les seigles qui l’entouroient. (Page 54. )
» Cet exemple invita les voisins de l’auteur, et successivement tous les habitans de sa paroisse et de quelques autres paroisses des environs, à semer du blé d’Espagne en plein champ, et à donner plus de largeur aux sillons de leurs terres labourables. La culture du millet commença. à devenir plus rare, on y substitua celle du blé d’Inde; et on ne tarda pas à s’apercevoir qu’en produisant un grain plus précieux, cette dernière culture amaigrissoit aussi beaucoup moins les terres. ( Page 54. )
» L’introduction de cette nouvelle culture produisit encore un avantage bien consolant pour l’humanité. Elle fut l’époque d’une heureuse révolution dans le tempérament des laboureurs de cette partie des Landes. L’épilepsie étoit une des maladies les plus communes dans ce canton, où la caudelée, ou la cruchade, faite avec la farine de millet, étoit la principale nourriture des habitans. Depuis que la farine de blé d’Espagne a remplacé celle de millet, pour faire cette espèce de bouillie, le nombre des épileptiques a diminué sensiblement, au point même qu’ils y sont très-rares aujourd’hui. ( Ibid. )»
N. B. M. Parmentier, qui a cité de mémoire cette observation de M. Desbiey dit par erreur que l’usage du maïs avoit délivré les habitans de la Gascogne des apoplexies auxquelles ils étoient très-sujets auparavant. Desbiey n’a pas parlé d’apoplexies, mais d’épilepsie.