Читать книгу Manuscrit de l'an trois (1794-1795) - Fain Agathon-Jean-François - Страница 11
ОглавлениеLA QUESTION DE LA PAIX PASSE DU COMITÉ A LA TRIBUNE,
( Frimaire. )
ENCOURAGÉS par l’ascendant de notre position militaire, les orateurs de la Convention n’hésitent plus à parler de l’espoir qu’on a d’arriver à la paix. Chacun se met à faire de la politique à sa manière. Eschasseriaux apporte à la tribune un travail sur les principes qui doivent diriger un peuple républicain dans ses relations avec les autres nations. «Tous les peuples sont fatigués
» de la guerre, dit Pelet de la Lozère. Tous
» admirent le courage des Français. Les rois eux-
mêmes» ne sont pas à se repentir de s’être mêlés
» de nos affaires, et vous les verriez bientôt à
» votre barre, si le Cabinet britannique ne les
» retenait.» Tallien, l’orateur du parti qui domine depuis le 9 thermidor, prend aussi la parole:
«L’intrépidité de nos défenseurs va bientôt
» forcer les rois ébranlés à se courber devant la
» majesté du Peuple Français. Nous sommes au
» moment de les voir réclamer une paix qui ne
» peut que nous être honorable. Que la France
» se débarrasse ainsi d’une partie de ses ennemis
» pour aller porter la gloire de ses armes sur les
» bords de la Tamise..... C est depuis le 9 thermidor,
» surtout, que vous êtes grands aux yeux
» de l’Europe. La justice, reprenant son empire
» et développant ses rameaux sur la France, a
» rallié tous les Français. Il faut apprendre aux
» gouvernemens étrangers que ce n’est plus avec
» un simple Comité qu’ils auront à traiter, mais
» avec la masse des Représentans de vingt-cinq
» millions d’hommes. Prenons des mesures sages
» pour faire une paix honorable avec quelques-uns
» de nos ennemis; puis, à laide des vaisseaux
» hollandais et espagnols, portons-nous
» avec vigueur sur les côtes de la nouvelle Carthage!» Ces dernières paroles, surtout, sont accueillies par les acclamations les plus vives!.... Toutefois, les vœux des Représentans sont loin d’être unanimes. Les débris du parti décemviral sont, encore puissans dans l’assemblée, et cette minorité garde avec aigreur ses principes. Les uns ne veulent entendre parler de paix qu’à condition qu’on la dictera dans un cercle, à la manière de Popilius; les autres repoussent comme mesquine et trop déliée l’idée de se débarrasser d’abord de quelques ennemis, pour se retourner avec plus de force contre le reste. Duhem est de cette dernière opinion; il va lui-même déposer au comité de Salut Public un acte qu’il signe, et par lequel il déclare que l’intérêt national ne permet pas de conclure de paix partielle; qu’il ne faut penser qu’à une paix générale, et que toute proposition contraire est suggérée par nos ennemis. Enfin, les dissidens se plaisent à faire circuler mille bruits accusateurs qui prennent leur source dans le secret dépit avec lequel les anciens meneurs, écartés du pouvoir, voient se consolider, par le grand œuvre de la paix, la popularité de leurs successeurs. «La marche du
» nouveau Comité sera timide et lâche, disent-ils;
» il va, dans son empressement à conclure, sacrifier
» l’honneur et les intérêts de la République!» On va plus loin; on parle de sourdes intrigues. Sans doute les demandes de l’Espagne ont transpiré. On les a devinées, du moins pour ce qui regarde les enfans de Louis XVI, et l’on assure que l’adoucissement de leur sort est le prélude des transactions humiliantes que nous allons subir. On reproche même au Comité d’avoir donné un instituteur au fils de Louis, et cette farouche accusation obtient une réponse qui n’est pas moins sauvage. «Les membres de votre Comité,
» dit l’un d’eux à la tribune, savent comment
» on fait tomber la tête des tyrans; mais ils
» ignorent comment on élève leurs enfans!»
Cette exagération révolutionnaire qu’une partie de l’assemblée conserve encore dans ses principes et dont le plus grand nombre a peine à purger son langage, pourrait être interprétée au dehors, de manière à faire méconnaître les véritables intentions de la majorité qui maintenant dirige les affaires en France. Le comité de Salut Public croit donc nécessaire de couvrir ces discussions par un exposé de principes fait en son nom à la tribune, «Les uns, dit le rapporteur,
» supposent que la République ne veut absolument
» souffrir pour voisins que des gouvernemens
» basés sur la démocratie, et qu’elle ne
» consentira à faire la paix avec aucune nation
» sans stipuler au préalable le changement de
» son gouvernement, et lui imposer une constitution
» républicaine; d’autres plus adroits assurent
» que le gouvernement français est devenu
» tout à coup plus facile à traiter, qu’il a besoin
» de la paix, et qu’il se prêtera à tous les sacrifices
....» Nos triomphes et nos principes nous
» permettent de réfuter ces fausses assertions et
» de dire tout haut ce que nous voulons. Nous
» voulons la paix, mais la paix solide et glorieuse.
» Le Peuple Français, en traçant de sa
» main triomphante, les limites dans lesquelles
» il lui convient de se renfermer, ne repoussera
» aucune offre compatible avec ses intérêts, sa
» dignité, son repos et sa sûreté ; il traitera avec
» ses ennemis, comme il les a combattus, à la
» face de l’univers!
» L’Espagne, continue l’orateur du Comité,
» ne tardera pas à reconnaître que sa seule et
» véritable ennemie, c’est l’Angleterre; et, quant
» à la Prusse, elle finira par s’apercevoir que
» c’est dans une paix solide avec la France et
» dans son union intime avec les puissances du
» Nord qui l’avoisinent, qu’elle peut retrouver la
» seule résistance qu’elle ait à opposer à la dévorante
» Russie.»
La Convention nationale accorde sa sanction à cette allocution politique, en ordonnant que le discours soit imprimé et traduit dans toutes les langues. L’attention reste fixée sur le passage qui concerne particulièrement les Cabinets de Berlin et de Madrid. On rapporte le décret qui défendait de faire des prisonniers espagnols. Le cri de l’humanité achève de se faire entendre, et le décret qui défendait de faire des prisonniers anglais et hanovriens est aussi rapporté.