Читать книгу Manuscrit de l'an trois (1794-1795) - Fain Agathon-Jean-François - Страница 24
ОглавлениеMISSION DES CITOYENS BOURGOING ET ROQUESANTE A FIGUIÈRES.
( Fin de ventôse. Premiers jours de mars. )
LORSQUE les plénipotentiaires espagnols se présenteront sur la frontière, il faut qu’ils y trouvent les nôtres, et que la négociation puisse commencer aussitôt. Les petites combinaisons que le comité de Salut Public fait entrer dans ses dispositions, ne décèlent que trop le peu d’aplomb qu’on a encore sur ce terrain nouveau, et la méfiance que l’on conserve contre tout ce qui est diplomatie et diplomates. On envoie deux négociateurs, le citoyen Bourgoing et l’adjudant général Roquesante; derrière eux sera le représentant Goupilleau de Fontenay dont on a tant à se louer, et que le Comité considère comme son véritable plénipotentiaire. Les deux négociateurs ne seront que ses adjoints. L’un tiendra la conférence, tandis que l’autre restera comme conseil et comme secrétaire auprès du Représentant. Si la négociation vient s’ouvrir dans le camp français, ce sera Bourgoing qui traitera; s’il faut aller la chercher dans le camp ennemi, ce sera Roquesante, que l’habit militaire rend plus convenable pour le rôle de parlementaire. Dans tous les cas, l’un servira de contrôle à l’autre.
Quant aux instructions, en voici le sommaire:
D’abord, pas d’armistice.
— Ne faire connaître nos conditions qu’après que l’Espagne aura présenté les siennes.
— Si l’Espagne veut revenir sur l’article des enfans de Louis XVI, défense de rien entendre.
— Rappeler pour base des indemnités que nous avons à réclamer: 1°. L’armement fait par la France en 1790 pour protégea l’Espagne contre l’Angleterre, service en retour duquel l’Espagne a déclaré la guerre à la France; 2°. les treize vaisseaux que l’Espagne a contribué à nous faire perdre à Toulon.
Vient ensuite l’article des cessions qu’on peut exiger pour indemnités. Une discussion s’élève ici. — Dès le premier mot de paix avec l’Espagne, Dugommier avait proposé de retenir la Cerdagne, Fontarabie et le port du Passage. Depuis, on a particulièrement insisté sur le Guipuscoa, petit pays que le prolongement de la chaîne des Pyrénées semble jeter de notre côté. On allègue les mêmes raisons de convenances géographiques pour garder la vallée d’Aran. Ceux-là demandent qu’on profite de l’occasion pour s’assurer l’intégrité de la possession de Saint-Domingue, par la cession de la partie Espagnole; ceux-ci réclament la Louisiane. Ce serait une colonie continentale dans un climat salubre, et il est peut-être plus important qu’on ne pense, dit-on à ce sujet au Comité, d’avoir pour la fin d’une révolution une grande colonie continentale en réservé.
L’honnête Bourgoing ne peut cacher le découragement qu’il éprouve en voyant tant de prétentions et d’exigeances qui s’entassent l’une sur l’autre. Sa loyauté ne craint pas de se mettre aux prises avec les donneurs de conseils qui ont pour eux la faveur des présomptions républicaines.
«L’Espagne, toute vaincue qu’elle est, leur
» dit-il avec ménagement, ne sent pas cependant
» assez le besoin de la paix pour se soumettre à
» de tels sacrifices.» — Eh bien! on le lui fera sentir, et l’on aura recours à de nouvelles victoires.
— «Mais, reprend le diplomate, ces nombreuses
» cessions affaibliraient beaucoup l’Espagne, et
» l’affaiblissement de cette puissance est contraire
» à notre politique,» — Oui, réplique-t-on, s’il s’agissait de l’affaiblir au profit d’un tiers; non, si c’est au profit de la République. — Ici, un troisième avis se présente; c’est celui du mezzo termine: «Il faut que la France prenne sur l’Espagne,
» mais il ne faut pas que l’Espagne y
» perde; et de même que nous offrons à la Sardaigne
» de l’indemniser du comté de Nice et de
» la Savoie sur le Milanais, offrons à l’Espagne
» l’appât de la conquête du Portugal....» Bourgoing cherche encore à dissiper ces illusions.
«Charles IV, dit-il, est un honnête homme. Un double mariage unit sa famille à celle qui règne en Portugal; il ne voudrait pas détrôner sa fille. Un prétexte ne suffirait pas pour une pareille guerre, et ici le prétexte même n’existe pas.»
Le comité de Salut Public se décide à laisser ces différentes prétentions dans le vague. On en obtiendra ce qu’on pourra; aucune n’est prescrite comme condition absolue.
On complétera, s’il est possible, la paix avec l’Espagne par une alliance offensive et défensive contre l’Angleterre. On se contentera d’offrir l’assistance de la France pour l’invasion du Portugal et la reprise de Gibraltar. Enfin, et cet article qui termine les instructions, fait trop d’honneur au Comité pour être passé sous silence, on stipulera au profit de l’agriculture de la France le don d’un certain nombre de jumens poulinières, de brebis et de béliers mérinos.
Bourgoing et Roquesante partent donc avec une grande latitude de pouvoirs. Ils arrivent à Figuières le 28 ventôse ou 18 mars; mais personne ne s’est encore présenté de la part de l’Espagne; on n’a reçu aucune réponse aux lettres de Madrid; depuis vingt jours, il n’y a pas eu la moindre communication entre les avant-postes, et les opérations militaires ont redoublé d’activité. Que penser de ce mécompte? les intentions de l’Espagne ne seraient-elles plus les mêmes, ou se serait-on réellement abusé sur la sincérité des ouvertures précédentes?
Après dix grands jours d’attente sur la frontière, Bourgoing reçoit enfin, le 7 germinal (27 mars ) une première réponse à l’une des lettres que nous l’avons vu écrire à Madrid, il y a plus de six semaines, sous le couvert du ministre des États-Unis. Cette réponse est de M. Ocaritz; mais elle ne vient ranimer aucune des espérances qu’on s’était faites. Le correspondant de Madrid, après avoir satisfait à ce qu’il y avait de personnel dans la lettre de Bourgoing, lui dit que, quant aux insinuations politiques, il n’a pas cru devoir toucher cette corde avec M. le duc de la Alcudia; qu’il ne s’en aviserait que dans le cas où il aurait à proposer des bases plus solides que les bruits qui courent; qu’il faudrait préalablement connaître les dispositions du gouvernement français... Toutefois, M. Ocaritz termine par des vœux qui répondent à ceux de M. Bourgoing, et par l’invitation de continuer cette correspondance.
Quelque disparate qu’il y ait entre ce langage et celui du général Urrutia, la lettre espagnole laisse du moins une porte ouverte pour s’entendre, et l’on s’empresse d’en profiter afin de réchauffer, s’il est possible, la tiédeur de ces interminables commencemens. Bourgoing répond donc dès le lendemain en ces termes:
«Je suis peiné, mon cher Ocaritz, que vous
» n’ayez, relativement aux apparences de paix,
» que vos vœux personnels à me transmettre...
» quoique je sois, comme vous, étranger aux affaires
» politiques, je pourrais, comme vous, me
» flatter d’être écouté de mon gouvernement si
» j’avais à lui faire passer, de la part du vôtre,
» des propositions propres à servir de base aux
» négociations de la paix. Mais tant qu’il ne
» se présentera pas quelque personne chargée
» d’une commission oflicielle, nos vœux, mon
» cher Ocaritz, fussent-ils partagés par nos gouvernemens,
» pourraient rester long-temps stériles...» Le citoyen Bourgoing parle aussi de son arrivée à Figuières; il espère que ce voyage, entrepris pour des affaires personnelles, ne sera pas inutile, si l’on en vient enfin aux pourparlers entre les deux gouvernemens.
Le général Pérignon transmet cette lettre au commandant de l’armée espagnole, non pas cette fois par un trompette, mais par l’adjudant-général Roquesante lui-même. Celui-ci la remet ouverte au général Urrutia qui en prend lecture, et l’envoie aussitôt par un courrier à Madrid.
Ces allées et venues ne sont pas à leur terme. Pour nous en distraire un moment, portons notre attention du côté de Bâle, où la négociation de la Prusse nous rappelle.