Читать книгу Manuscrit de l'an trois (1794-1795) - Fain Agathon-Jean-François - Страница 13

Оглавление

CHAPITRE VIII.

Table des matières

OUVERTURE FAITE PAR LE GENÉRAL EN CHEF ESPAGNOL DON JOSEPH URRUTIA

(Nivôse. Janvier 1795. )

IL est un autre point sur lequel les membres du Comité demandent encore l’intervention de M. de Bernstorff, tant ils sont portés à la confiance envers ce ministre. «Nous allons,

» lui font-ils dire, nous efforcer, à Bâle, de concentrer

» toute la guerre continentale sur l’Autriche

» seule; mais pour isoler de même notre

» ennemie maritime, l’Angleterre, il nous faudrait

» en détacher l’Espagne. Cette dernière

» puissance avait paru vouloir traiter; le Comité

» s’étonne de ne plus en entendre parler...

» Nous ne pouvons attribuer son silence qu’à

» l’erreur du Cabinet de Madrid sur nos intentions,

» et peut-être à une sorte de désespoir

» qui ne s’attend pas à trouver de la générosité

» dans une République qu’on a gratuitement

» outragée.»

Telles sont, à l’égard de l’Espagne, les expressions dont le comité de Salut Public se sert dans la dépêche qu’il expédie à Grouvelle le 3 nivôse. Mais son inexpérience des procédés diplomatiques le rend trop impatient; il n’est pas nécessaire d’aller chercher Madrid à Copenhague, et le Comité ne tarde pas à s’en convaincre. Sa dépêche pour le Nord était à peine partie, qu’il apprend qu’un trompette espagnol s’est présenté le 26 nivôse au camp français sous Figuières; ce parlementaire a apporté la lettre suivante, à laquelle beaucoup de franchise et un peu d’enflure espagnole prêtent un caractère tout particulier.

«Au quartier-général de Gironne, le 13 janvier 1795.

» Le général en chef de l’armée espagnole, au

» général en chef de l’armée française.

» Depuis que j’ai pris le commandement de

» cette armée, j’ai eu tant d’occasions de savoir

» qu’entre toutes les qualités dont tu es doué,

» celle de l’humanité était une des plus saillantes,

» que j’ai formé l’idée de t’écrire sur les objets

» importans que contiendra cette lettre; mais

» je me suis vu retenu par des bruits vagues qui

» annonçaient un autre général. Je le fais à présent,

» dans la confiance que tu garderas pour

» toi seul cette lettre, ou du moins la partie qui

» pourrait me compromettre, et j’attends de ta

» générosité que tu ne m’exposeras pas en publiant

» cet écrit, dicté par l’intention la plus

» pure.

» Les dernières opérations de ton prédécesseur

» et les tiennes ont été heureuses; il se peut que

» les subséquentes le soient aussi. Mais les événemens

» de la guerre sont sujets à des hasards.

» Le comte de La Union, général vaillant et expérimenté,

» a été vaincu et tué, et peut-être

» il m’est réservé la gloire de te vaincre. Dans

» tous les cas, convenons de ne pas flétrir les

» lauriers de la victoire par le sang des vaincus

» ni par les gémissemens des habitans désarmés;

» qu’on respecte le laboureur, et qu’on le laisse

» tranquille dans sa chaumière; qu’on traite les

» prisonniers avec générosité, et qu’on recueille

» avec humanité les blessés, sans distinction d’amis

» ou d’ennemis; je te promets la réciproque, et

» j’attends une réponse positive.

» Puisque l’Espagne et la France se trouvent

» compromises, et croient devoir se faire la

» guerre, qu’elles la fassent; mais que cette

» guerre se dépouille d’une inimitié enflammée,

» et que ceux qui tirent l’épée volontairement

» contre les droits, l’honneur et les opinions de

» leur patrie, que ceux-là seuls soient victimes

» des horreurs de la guerre. Plût au ciel que ce

» conflit cessât! et que deux nations faites naturellement

» pour être unies revinssent à l’être!

» La guerre est mon métier: ainsi l’espoir

» d’acquérir l’estime de mes compatriotes, le

» respect des ennemis même, et de faire connaître

» à toute l’Europe que le soldat espagnol ne

» manque pas d’énergie pour vaincre, pourrait

» exciter en moi une ambition que les Stoïciens

» même ne pourraient blâmer....mais plus ambitieux

» encore de contribuer au bonheur général,

» mes vœux seront toujours pour la paix,

» quoiqu’elle doive mettre fin à mon commandement,

» et jeter mon nom dans l’obscurité.

» Par de certaines notes que j’ai trouvées dans

» les papiers de mon prédécesseur, j’ai vu qu’il

» projetait depuis quelque temps des moyens

» pacifiques; mais je n’ai pu découvrir si ces projets

» lui avaient été suggérés, s’il a eu des conférences

» avec Dugommier, ou si ses propres désirs

» les lui avaient dictés. Quoi qu’il en soit,

» et pour ne pas perdre de temps, je vais au

» plus court, et je passe à te faire la proposition

» suivante:

» Notre rivalité n’a pas encore un but direct.

» Qu’elle s’exerce donc à des objets plus dignes

» que celui de répandre le sang! Le voisinage de

«l’Espagne et de la France rendra toujours ces

» deux nations inséparables en commerce et en

» amitié. Pourquoi donc travaillent-elles avec

» tant d’efforts à se détruire? Pourquoi la ruine

» de l’une doit-elle servir de base à l’élévation

» de l’autre? Pourquoi ne pas fuir ce précipice?...

» Si de généraux ennemis que nous sommes,

» nous nous changions en conciliateurs de la paix,

» la gloire serait à tous deux, au lieu que la gloire

» militaire n’exalte que le vainqueur; en échange

» d’une gloire affreuse qui ne fleurit qu’arrosée

» par des larmes, nous nous attirerions les applaudissemens

» de tout ce qui est digne du nom

» d’homme!

» Je te demande que tu me répondes sur ce

» point, avec la franchise dont je te donne l’exemple;

» nous ne sommes autorisés, toi et moi, qu’à

» nous faire la guerre. Faisons-la sans manquer à

» nos devoirs, mais cherchons en même temps les

» moyens de faire la paix. Quand nous nous aurons

» réciproquement communiqué nos idées,

» et que nous aurons vu leur utilité, faisons-en

» part à nos gouvernemens: qu’une noble émulation

» nous anime, et qu’on élève une statue dans

» le temple de l’humanité au premier de nous

» qui réussira à inspirer l’esprit de paix à ses con-

» citoyens.

» Réponds-moi sans retard, et si nous restons

» d’accord de travailler pour le bien, je ne perdrai

» pas un moment à l’insinuer à mon souverain,

» et j’emploierai tous mes efforts à le faire consentir

» à un arrangement que tant de millions d’hommes

» désirent.

» Signé, JOSEPH D’URRUTIA.»

Certes! un général en chef n’écrit pas une telle lettre sans être sûr de l’aveu de son gouvernement; les représentans du peuple près l’armée des Pyrénées, auxquels le général Pérignon s’est empressé de remettre le cartel espagnol, n’ont aucun doute à cet égard: cependant, sans attendre les instructions du Comité , n’écoutant toujours que l’austérité de leur politique révolutionnaire, ils ont cru devoir dicter à Pérignon une réponse en ces termes:

«Au quartier-général de Figuières, le 26 mars an III.

» Le général en chef de l’armée des Pyrénées

» Orientales, au général en chef de l’armée

» espagnole.

» Je connais comme toi les lois de l’humanité.

» Je connais celles de la guerre et je saurai me renfermer

» dans le cercle qu’elles me prescrivent;

» mais je connais aussi l’amour de mon pays, et

» partout où je trouverai des hommes armés contre

» sa liberté, mon devoir est de les combattre...

» même jusque dans les chaumières.

» Il ne m’appartient pas de répondre au second

» objet de ta lettre. Je n’ai pas le droit de m’ériger

» en conciliateur; je ne suis ici que pour me battre.

» Si le gouvernement espagnol a des propositions

» à faire à la République, c’est à la Convention

» nationale ou à son comité de Salut Public

» qu’il doit s’adresser directement.

» Je dois ajouter que les représentais du peuple

» près cette armée, en présence desquels j’ai

» ouvert ta lettre, m’ont chargé de te rappeler, à

» toi et à ton gouvernement, la violation de la

» capitulation de Collioure.

» Signé, PÉRIGNON.»

Cette réponse ne peut être considérée à Paris que comme un fâcheux contre-temps.... Laissons le Comité délibérer à cet égard: d’autres chapitres qui appartiennent à cette période réclament ici leur place.

Manuscrit de l'an trois (1794-1795)

Подняться наверх